Il existe une île paradisiaque, éclaboussée de soleil et de signes en néon, où se baragouine une novlangue québécoise que seuls les moins de 30 ans peuvent connaître.

Dans cet endroit très genré, les spécimens masculins sont « full down » de faire des « chillings » avec leurs « girls », mais craignent d’être « turn off » après avoir frenché une personne de trop.

Le bon Kevin « relate » 100 % à cette crainte du faux surfeur Hugo de se faire « cancel » par les filles, qui ne veulent pas former, genre, « le match le plus boring ever ».

Mais attention, garçons de la génération Z : « ce n’est pas parce qu’il y a un goaler en avant du goal que tu peux pas shooter », a philosophé la dynamique Kim, 21 ans, de Val-d’Or. Avez-vous « catch » cette analogie sportivo-amoureuse ?

Traduction, pour ceux qui ne fréquentent pas L’île de l’amour de TVA : le fait que Bianka (avec un k, cela va de soi) et Édouard dorment dans le même lit ne devrait pas empêcher quiconque de se « mettre en chest » et de tirer la couette de son bord. Vraiment pas.

Et malgré le décor de tout-inclus vitaminé qui les inonde de fausse richesse, nos insulaires vivent un stress constant, surtout quand un concurrent hurle TEXTO sur le ton ahuri de celui qui découvre que, gros, le gym est fermé pour une semaine. Nooon.

Une a peur de se faire « switch » avec une autre, selon la « vibe » qui régule toutes les pulsions dans la maison. Fin renard de 26 ans, Hugo a « flagué plusieurs red flags » pendant ses conversations monosyllabiques avec Lorie, qui cherche un copain obéissant, qu’elle dressera comme un chien. Correction, Hugo : on dit qu’on a « flag plusieurs red flags ».

Même en vacances à Las Terrenas, en République dominicaine, les règles du franglais s’appliquent autant à Destiny et Stanley qu’au faucon pèlerin de la publicité de la CAQ. Carton jaune pour drapeau rouge, mon Hugo.

Parlant de Destiny, 21 ans, elle ne connaissait pas la signification du mot « boulet » dans l’expression être un boulet pour quelqu’un. Par contre, Destiny a adoré la « moustache live » de son boy Raphaël, 23 ans, le coiffeur de Saguenay à la coupe Longueuil.

À L’île de l’amour, royaume de la chemise rayée déboutonnée jusqu’au nombril, la langue explore plusieurs bouches et elle fourche comme celle de Kevin, 24 ans, qui s’est félicité d’avoir « parlé à toutes voutes ». Il essayait de dire, le pauvre Kevin, qu’il avait jasé avec vous toutes, les célibataires de sexe féminin de la villa.

Est-ce un signe de la fin du monde que ces jeunes soient « willing » à s’échanger des fluides dans un contexte linguistique assez sketch ? Bien sûr que non. Tous les vingtenaires francophones ne s’expriment pas de cette façon, évidemment. Et les candidats de L’île de l’amour, un échantillon bien précis de la société québécoise (beach day, every day !), ne représentent pas une génération complète d’analphabètes fonctionnels.

Pour sa troisième saison en ondes à TVA, L’île de l’amour a enfin misé sur la diversité. Kim est entrepreneuse en médico-esthétique, Lorie est technicienne en esthétique et Destiny est esthéticienne. Quoi ? Il s’agit de métiers très différents, vous saurez.

Chez les gars, Kevin est entraîneur privé, Gabriele est entraîneur dans un gym et Stanley est kinésiologue. Dans un effort ultime de détruire tous les clichés associés à la téléréalité de type Cupidon, la distribution de L’île de l’amour 2023 comprend également un pompier, un travailleur de la construction et un barman. Mot-clé : ironie.

Sans vouloir être méchant gratuitement, mettons que ça sent plus le Hawaiian Tropic que le prix Nobel sur la terrasse extérieure.

L’effet Jay Du Temple se manifeste encore de façon intense à coups de manucures aux couleurs pétantes chez les hommes de la villa, dont plusieurs enfilent aussi le collier de perles blanches popularisé par Capitaine Twist. Si Marc Dupré porte des perles à La voix, c’est un signe indéniable que la tendance mode a complété son cycle de vie utile.

Même le nouvel animateur de L’île de l’amour, Olivier Dion, ose des looks que l’on n’aurait jamais vus à TVA il y a quelques années. Il faut le donner à Jay Du Temple : il a pulvérisé les codes de la mode masculine et décoincé l’image que l’on se fait d’un présentateur de télé au Québec.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Olivier Dion et Geneviève Schmidt

Maintenant, comme il n’est apparu que dans le premier des cinq épisodes de L’île de l’amour, c’est difficile d’évaluer le travail d’Olivier Dion, qui succède à Naadei Lyonnais à la gestion des cérémonies de la flamme. Il semblait à l’aise et en contrôle lors de la formation des couples.

La narratrice Geneviève Schmidt, alias Dre Isabelle Granger dans STAT, pourrait se gâter davantage dans la réplique incisive. La matière à rigolade s’accumule en quantité industrielle à ses pieds, comme le dépôt dans une bouteille de vin nature à 56 $. L’an dernier, Mehdi Bousaidan ne se gênait pas pour égratigner davantage les insulaires qui, telle une Marilou trop enthousiaste dans une pub de Hyundai, vivent à fond leur wah.