J’ai moins aimé la nouvelle série Fragments de Serge Boucher que ses téléséries précédentes comme Fragile, Apparences ou Feux.

Comprenez-moi bien ici. Fragments n’est pas une émission ratée, au contraire. Elle surpasse un paquet de téléromans génériques qui pullulent actuellement sur les ondes. Reste que le brillant Serge Boucher, le maître du suspense psychologique aux multiples couches et revirements, nous a habitués à un niveau d’intensité très élevé que Fragments n’atteint pas. Du moins, pas dans les deux épisodes sur un total de dix que j’ai visionnés lundi.

Cette perte d’efficacité découle notamment de l’abandon du volet policier dans Fragments, une série qui n’implique pas un incendie ravageur, deux morts dans un accident d’auto ou une disparition inexpliquée. La première moitié de Fragments sort jeudi sur l’Extra de Tou.TV et la deuxième s’y déposera le 15 décembre. Aucune date n’a été annoncée pour un passage de Fragments à la télé traditionnelle de Radio-Canada. Prédiction : septembre 2023.

Projet qui ressemble le plus à Serge Boucher, Fragments raconte une enquête plus « personnelle », sans sergent-détective, au sein d’un groupe de quatre amis, qui ont cimenté leurs liens à Victoriaville, au début des années 1990.

Le quatuor de Victo, qui a longtemps vécu en colocation, se composait alors des inséparables Paul-André (Étienne Courville), Marlène (Carla Turcotte), François (Alexis Déziel) et Jacynthe (Camille Felton). Comme son titre l’indique, Fragments nous provient en pièces détachées, de trois époques différentes : les années 1990, le présent et un avenir rapproché. Ça demande un certain effort pour replacer qui fait quoi et dans quelle période, car cette série déconstruite virevolte à travers les années en se concentrant sur aujourd’hui.

Du quatuor original des années 1990, seuls Paul-André (maintenant joué par René Richard Cyr) et Marlène (Céline Bonnier) se côtoient encore. Les deux habitent de magnifiques condos dans le même duplex montréalais. Paul-André, l’alter ego de Serge Boucher, gagne sa vie comme auteur de télé – il écrit la série à succès Hasards, tiens, tiens –, tandis que la chic Marlène, qui fait le ménage en Gucci, dirige une chaire d’études en science politique à l’Université McGill.

Alors qu’elle termine une journée de merde, Marlène croise François (James Hyndman) pour la première fois en 35 ans. Malaise entre eux. François, aujourd’hui chirurgien et cardiologue, a été l’amour de jeunesse de Marlène. Mais pourquoi ont-ils coupé les ponts de façon aussi draconienne ?

Voilà où Serge Boucher nous amène dans Fragments, qui se rapproche davantage d’Aveux : les familles que l’on choisit, les regrets, le rapport à l’autre et, surtout, la mort. Le médecin François vit le deuil de sa femme Sylvie (Dominique Leduc), avec qui il a eu deux enfants, la prof de primaire Céleste (Shelby Jean-Baptiste) et l’artiste-photographe Édouard (Irdens Exantus).

Le personnage de Tomas (Félix-Antoine Duval), que je ne décrirai pas par peur de divulgâcher l’intrigue, se remet d’une tentative de suicide. Ce Tomas ressent un mal-être profond et une détestation de soi rarement vus à la télé.

Dans les deux premiers épisodes de type chassé-croisé, le personnage d’universitaire interprété par Céline Bonnier est vraiment peu aimable. On se demande même comment cette femme cassante et froide a pu conserver aussi longtemps son amitié avec Paul-André et le conjoint de celui-ci, Renaud (Luc Guérin).

Le premier épisode de Fragments nous abandonne sur un beau punch à la Serge Boucher, comme on les aime. Le deuxième se conclut en douceur, sans nécessairement qu’on ait le goût de se garrocher sur le troisième.

Il y a beaucoup de musique d’accompagnement dans Fragments, trop même. Ça devient irritant à la longue. Le réalisateur Claude Desrosiers insère également les personnages de 2022 dans les retours en arrière des années 1990, ce qui confère à l’œuvre un aspect poétique que l’on ne connaissait pas à Serge Boucher.

Et contrairement à la plupart des téléséries d’ici, les protagonistes de Fragments consomment de la culture. Ils parlent d’Hosanna et de La duchesse de Langeais de Michel Tremblay, ils dévorent les livres du Quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrell, ils assistent à des spectacles de Louise Lecavalier et citent Au clair de la lune d’André Forcier. C’est génial.

Serge Boucher excelle quand il pose son regard juste et bienveillant sur la classe moyenne dite ordinaire, rien de péjoratif ici. Fragments navigue dans la bourgeoisie montréalaise et il manque un côté plus rugueux, plus « vrai monde », que l’on retrouvait dans Fragile.

Cela dit, du Serge Boucher plus lent et introspectif demeure du bon Serge Boucher. C’est certain que je veux voir l’image finale quand tous les morceaux du casse-tête seront enfin assemblés.

Le masque lance et compte

Sans surprise, la finale de Chanteurs masqués a été l’émission la plus regardée dimanche soir avec ses 1 793 000 accros. La finale de Révolution, toujours à TVA, a été suivie par 1 261 000 mordus, contre 990 000 fidèles qui ont syntonisé Tout le monde en parle à Radio-Canada. Quant à L’heure de vérité réparatrice de Noovo, elle a attiré 410 000 fans d’OD.