La visite de Stéphan Bureau chez Pénélope McQuade lundi matin, à ICI Première, a donné lieu au premier bon moment de radio de la rentrée. Comme a dit l’animatrice à la fin des 32 minutes de cette palpitante entrevue : « Ce n’était pas plate ! »

Cette rencontre a été intéressante non pas parce qu’il y a eu du sang, mais parce qu’on y a retrouvé du cran, de l’audace, de l’authenticité, un peu de malaise et une certaine part d’émotion.

On va se le dire tout de suite : cette rencontre m’a franchement donné l’impression que les deux animateurs souhaitaient « nettoyer » plusieurs choses. Et ils l’ont fait avec une certaine maîtrise, même si, à un moment donné, j’ai cru qu’on allait assister à un dérapage.

Pénélope McQuade n’a pas fait de cadeau à Stéphan Bureau et ce dernier, fidèle à sa réputation, a eu recours à son bagout riche et agile pour renvoyer la balle à son interlocutrice. Cette entrevue a rapidement pris les allures d’un débat offrant du même coup un avant-goût (qu’on aurait dit calculé) de l’émission Le monde à l’envers que pilotera Bureau à compter de vendredi à TVA.

Du courage, il en fallait à Pénélope McQuade pour accueillir celui qui l’a remplacée à quelques reprises durant la saison estivale. Ce n’était sans doute pas facile pour elle de recevoir celui à qui le public l’a tant comparée.

Je me souviens de son passage à l’émission Dans les médias, à l’automne 2021, où elle avait fait part de son exaspération au sujet des commentaires qu’elle recevait. « Je sais que Stéphan Bureau est un être immensément intelligent. On n’a pas besoin de m’écrire cinq fois par semaine en vacances pour me le rappeler », avait-elle dit.

Et du cran, il en fallait à Stéphan Bureau pour accepter de revenir sur la fameuse entrevue avec le professeur français Didier Raoult qui, en mai 2021, a divisé le public et le monde des médias. Lorsque le vendredi précédant sa première émission, l’animateur a annoncé à Pénélope McQuade qu’il allait recevoir le défenseur de l’hydroxychloroquine, celle-ci a déclaré qu’elle trouvait cela « étonnant, audacieux et dangereux ».

Quinze mois après ce fameux entretien, McQuade et Bureau ont abordé de front la question de la liberté de parole dans les médias. « Si on veut se comprendre, encore faut-il qu’on puisse entendre et qu’on puisse mettre sur la table toutes sortes de points de vue, accepter la dissension, accepter des idées que l’on estime par moments extrêmes », a défendu Stéphan Bureau.

Pénélope McQuade a coupé Bureau et a dit : « En filigrane, tout le monde comprend que l’on parle de l’affaire Didier Raoult ! » À partir de là, le ton a changé. « Oh non, pas du tout, a répliqué Bureau. Mais tu erres ! »

L’animatrice a insisté sur le fait que les journalistes ont la responsabilité d’offrir au public divers points de vue sur un sujet, particulièrement quand il est aussi controversé que des traitements contre la COVID-19. « C’est-à-dire que chaque fois que tu interviewes quelqu’un dont la pensée peut être divergente, tu t’efforces d’inviter quelqu’un tout de suite après qui va donner une parole qui est autre ? », a dit Bureau.

Une tension s’est alors installée.

Pénélope McQuade : « La liberté d’expression n’est pas un free pass pour dire n’importe quoi. »

Stéphan Bureau : « C’est ce que tu entends quand je te parle de liberté d’expression ? Que c’est un free pass pour dire n’importe quoi ? »

McQuade : « Mais qui parle de ne pas entendre ces opinions-là. On entend beaucoup ça, qu’on ne peut plus rien dire. »

Bureau : « Tu es en train d’instruire une affaire que je n’ai pas soulevée. »

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À propos de l’opinion que l’ombudsman de Radio-Canada, Pierre Champoux, a publiée à la suite de l’entrevue avec Didier Raoult et qui blâmait sévèrement Stéphan Bureau, ce dernier s’est contenté de dire que le gardien des pratiques journalistes à la radio et à la télé publiques a voulu « se faire sa tête ».

La discussion s’est poursuivie, et Stéphan Bureau a déclaré : « C’est le fun ! On a du fun ! » Le malaise était alors palpable.

On peut reprocher plusieurs choses à Stéphan Bureau : qu’il est prétentieux, distant, arrogant et qu’il s’écoute parler. Mais on ne peut pas dire qu’il est paresseux intellectuellement. Il se nourrit continuellement de l’actualité et consacre beaucoup d’énergie à forger sa pensée.

C’est aussi quelqu’un qui croit que le débat, le vrai, le riche, celui que l’on doit élever et celui dont on a si peur, manque cruellement au Québec.

Ce qui est intéressant avec Bureau, c’est qu’il aime rassembler et confronter divers points de vue sur des sujets sans qu’on connaisse ses couleurs. Il a dit au cours de cette entrevue qu’il a cherché pendant cinq ans une femme « fréquentable » antiavortement qu’il aurait aimé recevoir à son émission. Il a expliqué tout cela tout en évitant les indices permettant de savoir s’il est pro- ou antiavortement.

Cette rencontre s’est terminée sur une note plus positive. Les deux animateurs ont même blagué, et Bureau a tenu à dire, une fois de plus, qu’il était un homme à « fleur de peau ».

En tout cas, ce moment de radio m’a donné le goût de regarder Le monde à l’envers. Si on a droit à des échanges musclés et constructifs comme ceux entendus chez Pénélope, je serai un fidèle.

J’aimerais quand même conclure en disant que Stéphan Bureau a été accueilli à Radio-Canada, une institution qu’il a beaucoup fréquentée et qu’il a qualifiée d’« auberge espagnole », pour venir parler de l’émission qu’il présentera chez l’adversaire au cours de la prochaine saison. Il a bénéficié d’une extraordinaire tribune.

Jouira-t-il de la même liberté lorsqu’il souhaitera recevoir un invité provenant du diffuseur « ennemi » ? J’ai très hâte de voir.

Écoutez l’entrevue complète