Quartier multiethnique du nord de Montréal. Une fusillade éclate entre deux gangs de rue, en plein jour. Une balle perdue atteint une (innocente) passante dans le dos. Les suspects glissent entre les doigts des flics.

S’agit-il d’un article récent de la section des faits divers de votre Presse préférée ? Nope. C’est plutôt le point de départ de l’excellent suspense policier Larry, du tandem mythique qui a créé La vie, la vie, soit l’auteur Stéphane Bourguignon et le réalisateur Patrice Sauvé.

J’ai visionné les trois premiers épisodes de Larry lundi, sans cligner des yeux, et j’ai très hâte de voir les sept suivants, qui atterriront sur l’Extra de Tou.TV jeudi. Pour ceux qui ne souscrivent pas à cette plateforme payante, sachez que Radio-Canada déposera Larry dans sa prochaine saison de télé régulière.

Larry ne se classe pas dans la filière des séries policières traditionnelles.

Bien sûr, cette œuvre dense et brillante renferme une enquête haletante et des rebondissements imprévus, mais elle y incorpore des touches comiques et un drame personnel qui colore toute l’intrigue.

Le tout, nappé de musique psychédélique des années 1970 et livré dans un emballage visuel évoquant le film classique The French Connection du cinéaste William Friedkin. C’est franchement captivant.

Le Larry du titre de la série est un ancien policier d’infiltration (solide Benoît Gouin) de la police de Montréal, qui a été ostracisé après une affaire de filature douteuse, où il a soi-disant copiné avec le crime organisé. Amer, déçu et humilié, Larry, 62 ans, a remis badge et arme. Depuis huit ans, il occupe un boulot de gardien de sécurité dans un immeuble anonyme.

Mais l’échec de sa dernière enquête, couplé à un sentiment de trahison aigu, l’obsède encore. Le jour où son épouse France (très juste Monique Spaziani) reçoit une balle d’arme à feu dans la colonne vertébrale, Larry active le mode « justicier ».

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Monique Spaziani dans Larry

D’abord, parce que la culpabilité le ronge. Il a été incapable de protéger sa femme. Il l’a abandonnée au beau milieu d’un échange de coups de feu. Il aurait pu et aurait dû prévenir l’attaque, franchement.

Ensuite, parce que Larry refuse d’affronter les épreuves qui se dressent devant lui. Sa conjointe des 40 dernières années ne marchera plus jamais sur ses deux jambes. Et la vie qu’ils ont construite à deux changera de façon draconienne.

Larry fuit tout ça dans l’enquête parallèle — et pas du tout légale – qu’il mène dans les rues du quartier Parc-Extension.

Qui a donc tiré sur sa femme ? Larry plonge dans une spirale inquiétante, qui causera autant de bien que de mal aux gens qui gravitent dans son entourage.

Rapidement, Larry en découd avec le sergent-détective Romain Félix (Irdens Exantus), qui supervise l’investigation sur la fusillade. Larry se brouille aussi avec la seule amie qu’il lui reste dans la police, Lisa Jackowska, jouée par Macha Limonchik. En fait, Larry carbure aux conflits et s’aliène la quasi-totalité de son entourage, dont sa fille Annie (Alexa-Jeanne Dubé), qui souffre encore de ses nombreuses absences du temps où il officiait comme agent double.

Dans la lignée de Jimmy McNulty de The Wire ou Luther dans la série du même nom, le personnage d’antihéros de Larry souffle habilement le chaud et le froid. Dans un épisode, on comprend la détresse de Larry et on se range derrière sa quête de justice. Dans l’épisode suivant, Larry fait un geste répréhensible et on aurait le goût de le secouer violemment, ciboulette.

La voisine de Larry, la mère seule Tara (Sharon James), occupera un rôle important dans l’histoire, tout comme sa fille Selena (Michaëna Benoit), âgée de 16 ans.

Le scénario tissé par Stéphane Bourguignon est vaste, riche et touffu. Le premier épisode, qui se termine sur un énorme punch, roule à fond de train et installe de façon efficace les figures clés du récit, dont le patron d’une organisation criminelle (Anglesh Major), un flic louche (Jean-Moïse Martin) et une tête brûlée chez les bandits (Vincent Paradis-Montplaisir). Le collègue agent de sécurité de Larry, le sympathique et geek Jonathan (Simon Lacroix), sert de soupape humoristique lors des moments plus tendus.

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Benoît Gouin et Simon Lacroix dans Larry

Sans rien divulgâcher, vous vous doutez que tous les éléments du passé de notre solitaire Larry forment un énorme puzzle que le téléspectateur assemblera au fil des dix heures de ce thriller.

Il y a beaucoup de profondeur dans les textes de Stéphane Bourguignon, qui offre probablement sa série la plus aboutie et la plus intense à ce jour. J’ai pas mal plus aimé Larry que Fatale-Station, mettons.

Mon plus gros bémol ? La scène cruciale de la fusillade aurait pu être mieux chorégraphiée. Il y a du mou dans cette séquence, qui manque légèrement de réalisme.

Au final, l’auteur n’éprouve pas l’ombre d’un peu de fatigue.