En dépit de la rumeur qui a couru, Elon Musk, l’homme le plus riche du monde, ne témoignera finalement pas dans le procès en diffamation intenté par Johnny Depp contre Amber Heard (avec qui Musk a eu une brève liaison).

On le comprend de vouloir se tenir loin de cette affaire devenue un cirque médiatique délirant. Elon Musk est aussi celui qui veut lever le bannissement de Donald Trump sur Twitter, s’il réussit à acheter le réseau social, là où Amber Heard est quotidiennement brûlée comme une sorcière au bûcher.

Après une semaine de répit – en particulier pour ceux qui n’en peuvent plus de cette navrante saga –, le procès a repris lundi, et le show de plus belle. Quand bien même Amber Heard aurait tous les torts, cela n’explique pas complètement le déferlement de haine pure à son endroit. J’ai rarement vu une telle charge, qui dépasse de loin le banal voyeurisme. On prend parti comme s’il s’agissait du procès du siècle et clairement pour Depp. La pétition voulant retirer Amber Heard de la suite du film Aquaman a recueilli des millions de signatures.

J’ai l’impression qu’il y a là-dedans une revanche, voire de la vengeance, envers le mouvement #metoo. Amber Heard est sur le point de devenir un exemple qu’il ne faut pas croire les femmes sur parole quand elles dénoncent leurs agresseurs, puisqu’il peut y avoir des victimes « innocentes » comme Johnny Depp. Peu importe si les enregistrements audio et vidéo ont montré une image peu glorieuse de l’acteur.

Ce procès, demandé par Depp dans un État où ils sont diffusés intégralement, est décortiqué chaque seconde sur TikTok, Twitter, YouTube et Facebook, et c’est en train de se retourner contre Amber Heard.

Tous les clichés de la blonde folle et hystérique (surtout menteuse) sont ramenés à la vie – remarquez, ils n’avaient jamais vraiment disparu. J’ai lu des choses encore plus dures, voire des propos carrément orduriers. On se lâche lousse, disons.

Pour les femmes qui ont vraiment subi des violences, pour celles qui ont dénoncé ou qui pensent à le faire, ce procès est un supplice.

PHOTO BRENDAN SMIALOWSKI, ASSOCIATED PRESS

Les moindres gestes d’Amber Heard sont décortiqués sur les réseaux sociaux.

Des millions d’internautes scrutent le moindre mouvement de cil de l’actrice, analysent la qualité de ses hématomes sur photos, ses émotions, son absence de vraies larmes quand elle pleure. Je n’ai jamais vu autant de spécialistes patentés du langage non verbal. Elle joue la comédie, dit-on, et mal. Mais Johnny Depp ne l’est-il pas aussi, comédien ?

Peu importe, le ton est à #JusticeforJohnnyDepp, qui est passé de pirate des Caraïbes à pirate des algorithmes avec succès. Ses groupies l’applaudissent au tribunal. Hommes et femmes le remercient de montrer le vrai visage d’une profiteuse qui surfe sur une vague féministe.

Les réseaux sociaux sont pro-Depp depuis le début, et Amber Heard semble offrir ce spectacle de la femme qui ment dont beaucoup se régalent, sans égard pour les graves accusations de violence qu’on entend à la barre.

Il est documenté que les femmes et les minorités sont particulièrement visées par les propos haineux sur les réseaux sociaux. Mais c’est le prix à payer, j’imagine, pour la liberté d’expression si chère à Elon Musk, qu’il est prêt à payer très cher pour racheter Twitter, où il veut ramener Donald Trump.

Ce président qui a profité de Twitter pour encourager un coup d’État, adoré des fondamentalistes chrétiens aussi, puisqu’il a mené à bien la mission divine de nommer ce qu’il fallait de juges conservateurs à la Cour suprême pour être en mesure d’infirmer le droit des femmes à l’avortement aux États-Unis.

Pendant ce temps, l’affaire Heard-Depp alimente ce qu’il y a de pire chez les gens, qui ont déjà décidé de quel bord devrait pencher le verdict. Et peu importe ce qu’on pense de cette affaire, ça ressemble à un bûcher en ligne. Johnny Depp peut bien rire dans sa barbe, il sait qu’il a remporté la bataille de l’opinion publique.

Qu’elle gagne ou perde ce procès, Amber Heard est détruite. Et quelque chose du mouvement #metoo va sombrer avec elle, je le crains, à mesure qu’elle s’effondre dans le box des accusés.