Depuis presque 30 ans, Marilyn Manson incarne un personnage de cauchemar dans l’univers musical américain, au grand plaisir de ses fans.

J’ai toujours trouvé qu’il y avait quelque chose d’un peu poseur et grand guignol dans son art, mais j’appréciais son envie de déranger en étant l’un des rares à reprendre le flambeau de la provocation horrifiante, dans de grandes messes spectaculaires qui utilisaient parfois l’imagerie nazie. Comme le groupe Kiss, genre, en beaucoup plus sombre. Ses admirateurs, et l’industrie en général, ont toujours fait la part des choses entre l’homme, né Brian Warner, et son personnage, dont le nom est inspiré de l’actrice Marilyn Monroe et du psychopathe Charles Manson.

Jouer au monstre ne fait pas de vous un monstre, mais après avoir vu Phoenix Rising, le documentaire en deux parties d’Amy J. Berg (réalisatrice de Deliver Us from Evil sur les scandales sexuels de l’Église catholique, sélectionné aux Oscars en 2006), on se dit que oui, ce type-là est bel et bien un monstre, finalement. Un autre, malheureusement. Cette production offerte sur HBO et Crave donne la parole à la comédienne Evan Rachel Wood, qui raconte les sévices qu’elle a subis aux mains de Marilyn Manson, dont elle a été la conjointe de 2007 à 2010.

La première partie de Phoenix Rising, présentée au début de l’année au festival du film de Sundance, a fait grand bruit, car Wood avait révélé publiquement en 2021 le nom de son agresseur dont elle parlait depuis quelques années dans son combat pour faire changer les lois sur les victimes de violence conjugale, notamment lorsqu’elle a témoigné devant le Congrès américain en 2018. Beaucoup de femmes veulent que soit augmenté le délai de prescription dans les cas où cela peut prendre des années avant que les victimes aient le courage de dénoncer, tellement la peur, la honte et le traumatisme les tétanisent.

Juste avant la diffusion sur HBO, Marilyn Manson a déposé une poursuite en diffamation contre Evan Rachel Wood et sa partenaire Illma Gore, qu’on voit dans le documentaire. Selon Manson, il s’agit d’allégations complètement inventées pour le détruire et il demande un procès devant jury pour laver sa réputation. Il dit avoir en sa possession des preuves pour le disculper.

Depuis la sortie d’Evan Rachel Wood, une douzaine de femmes ont accusé Marilyn Manson d’agressions physiques et de harcèlement psychologique, dont quatre ont déposé des plaintes. Mais Manson nie tout et soutient qu’elles ont été recrutées par Wood et Gore, qui auraient scénarisé leurs témoignages.

La bataille est donc officiellement lancée, mais on se demande comment Manson va s’en sortir après avoir vu une réunion de ses victimes, dont Wood, se faisant part de leur expérience éprouvante avec lui. D’autant que parmi elles se trouve Dan Cleary, collaborateur de l’artiste sur ses tournées, qui confirme leurs dires et révèle en passant que Manson piratait les données privées de son entourage avec son WiFi. « Elles ne mentent pas », dit-il.

Mais la réalisatrice Amy Berg suit essentiellement le parcours d’Evan Rachel Wood avant qu’elle ne balance le nom de Manson sur les réseaux sociaux, ultime et dernier moment du documentaire où la jeune femme se libère, non sans fondre en larmes. On la comprend, car ce qu’elle raconte est épouvantable.

Elle n’avait que 18 ans lorsqu’elle a rencontré Manson, qui en avait 36, alors qu’ils étaient tous les deux déjà en couple. La star de Westworld venait de connaître le succès avec le film Thirteen, lui était déjà un dieu de la musique. Outre la différence d’âge, à peu près tous les modèles habituels d’une relation toxique sont présents – lavage de cerveau, isolement, chantage, emprise – avec une couche supplémentaire de sadisme à la Manson, car il y aurait eu viols, torture, scarifications, drogues administrées à son insu, obligation de boire son sang… la liste est longue et consternante.

Elle l’accuse aussi de l’avoir violée sur le plateau de tournage du vidéoclip Heart-Shaped Glasses, qu’elle souhaite voir retirer du web, et ceux qui l’appuient militent de plus en plus pour que cela se fasse.

« L’agression était un art pour lui », résume Evan Rachel Wood, qui aurait subi un avortement sous pression, ce qui l’a menée à entretenir des pensées suicidaires. Elle affirme qu’une façon pour Manson de faire taire les gens de son entourage était de les obliger à dire des injures racistes et antisémites devant une caméra, ce qui pouvait éventuellement être utilisé contre eux. « C’est un loup habillé en loup, il lui est facile de se cacher », note le frère de l’actrice. « Il a peur que les survivantes s’organisent », souligne Illma Gore. Evan Rachel Wood dit avoir reçu plusieurs menaces de Manson, qui voulait s’en prendre à sa famille.

Le masque de Marilyn Manson est en train de tomber, mais cela ne se fera pas facilement, car il est en mode contre-attaque, et beaucoup de ses fans veulent le soutenir en semant le doute sur le web. C’est un phénomène auquel nous commençons à être habitués chaque fois qu’une vedette tombe de son piédestal.

Est-ce que Marilyn Monroe était la façade glamour de Brian Warner et Charles Manson, la véritable influence de sa personnalité, qui tend vers les dérapages des gourous imbus d’eux-mêmes et de leur puissance sur les autres ? Il ne serait pas le premier à en avoir profité. C’est en suivant cette bataille que nous le saurons, car elle ne fait que commencer. Pour lui. Parce que ça fait déjà un bout de temps qu’Evan Rachel Wood se bat non seulement pour elle-même, mais pour toutes les victimes.

Phoenix Rising est offert sur HBO et sur Crave.