Avez-vous si hâte que ça de retourner au bureau cinq jours par semaine, de 9 à 5, environ 50 semaines par année ?

Genre, se lever à la même heure, se grouiller pour déjeuner et sortir le chien, se jeter dans la circulation, agiter la carte magnétique devant le lecteur qui ne la reconnaît pas, endurer des réunions qui auraient pu ou qui auraient dû être un courriel, boire du café industriel infect, se jeter à nouveau dans la circulation, se demander pourquoi ça bloque toujours à Hickmore sur l’autoroute 13, pour recommencer exactement la même routine de robot le lendemain ?

Pas moi. Non merci. Et encore moins après avoir visionné l’excellent et troublant thriller dystopique Severance d’Apple TV+, Dissociation en version française, qui réunit des acteurs formidables comme Christopher Walken, Patricia Arquette, John Turturro et Adam Scott.

Comment décrire cette inquiétante minisérie de neuf épisodes, produite et réalisée par Ben Stiller ? Un drame entrepreneurial doublé d’un suspense de science-fiction. Pensez également à un croisement entre Homecoming avec Julia Roberts sur Amazon Prime Video et la série d’anticipation Black Mirror de Netflix.

Sans exagérer, Severance est l’une des séries les plus originales et les plus surprenantes de 2022. Oui, ça démarre lentement, c’est le plus gros défaut des deux premières heures, ne désespérez pas. Mais quand l’intrigue anxiogène décolle, c’est quasi impossible de s’en extirper.

Severance repose sur un concept simple, qui soulève plusieurs enjeux éthiques : accepteriez-vous que votre cerveau héberge une puce électronique qui séparerait, de façon étanche, votre vie professionnelle de votre vie personnelle ? Cet implant, impossible à retirer par la suite, scinderait votre existence en deux vases non communicants.

Par exemple, dès que vous mettriez le pied dans l’ascenseur du bureau, pouf, tout ce qui relèverait de la maison, des enfants ou de votre couple disparaîtrait. Ainsi, votre tête ne servirait qu’à bosser pendant huit heures, sans aucune distraction extérieure. Efficacité maximum.

À l’inverse, dès que vous sortiriez de votre lieu d’emploi, re-pouf, le travail accompli, les secrets d’entreprise et la nature même de vos tâches s’effaceraient de votre mémoire. Impossible ainsi de ramener du boulot à la maison ou de se tracasser avec des soucis de bureau.

Alors, le feriez-vous ? C’est quand même tentant. Sur papier, du moins. Dans le réel, c’est terrifiant. Pour adoucir le deuil de sa femme, Mark (Adam Scott), ancien prof d’histoire, accepte de recevoir la puce électronique de la mystérieuse multinationale Lumon. Pendant huit heures, du lundi au vendredi, Mark oublie qu’il a perdu la femme de sa vie en abattant du travail administratif aliénant.

PHOTO FOURNIE PAR APPLE TV+

Scène tirée de Severance

Et comme Mark, ses collègues chez Lumon fonctionnent comme des rats de laboratoire. Ils circulent dans un labyrinthe corporatif aux murs blanc lavabo et ne voient jamais la lumière du jour.

Si les employés de Lumon dépassent leurs objectifs trimestriels, ils reçoivent des récompenses. S’ils s’écartent des règles, ils sont punis par des patrons impitoyables.

L’arrivée d’une employée indocile, Helly (Britt Lower), bousculera la tranquillité de la cellule de travail de Mark. C’est que Helly conteste la rigidité et l’opacité des règlements de l’entreprise Lumon. Elle multiplie les tentatives d’évasion. Et elle sème un gros doute chez Mark : sait-il exactement ce qu’il fabrique chez Lumon. Et pour qui ? Pour quoi ?

Severance déploie ici toutes les couleurs – gris, bleu, sarcelle et sauge – d’un thriller glacial. Mark amorce son enquête sur son employeur, une multinationale louche qui fonctionne comme une secte, vraiment.

Un ex-camarade de Mark chez Lumon a réussi à désactiver son implant et sonne l’alerte, très fort. Des gens autour de Mark meurent ou « disparaissent ». Et c’est diablement captivant.

Avec ses accents d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Severance ne plaira pas aux téléspectateurs habitués à des séries popcorn ou sucrées, qui se dévorent en jouant à Candy Crush. Il s’agit d’une émission complexe, touffue, lente, qui fait réfléchir.

Il y a énormément de couches et de niveaux dans cette histoire foisonnante, et vous les découvrirez à la petite semaine, car Apple TV+ lance les épisodes de Severance au compte-gouttes. Le troisième sort en ligne vendredi.

Visuellement, c’est magnifique. C’est à la fois vintage et futuriste, rétro et moderne. Patricia Arquette est superbe en patronne cassante. John Turturro et Christopher Walken incarnent deux employés de deux services, qui ne devraient pas fraterniser, selon les règles de Lumon, mais qui nouent une amitié « interdite ».

Voilà une série sur la mémoire que vous n’oublierez pas de sitôt. Elle s’appelle Severance, pour ceux et celles qui souffrent d’amnésie.