Les comédiens sont pour moi une source de fascination et de mystère. J’en ai encore eu la démonstration jeudi après-midi quand, au beau milieu d’un tapis élimé, entourée de ses musiciens, avec une sonorisation moyenne et des ampoules 100 W comme éclairage, Guylaine Tremblay a offert d’une traite le spectacle J’sais pas comment, j’sais pas pourquoi qu’elle crée ce week-end.

Au cours de cette ultime répétition, elle a chanté et joué les chansons et les textes devant quatre paires d’yeux (Monique Fauteux, sa coach vocale, Michel Poirier, le metteur en scène, Martin Leclerc, le producteur, et moi). Et pourtant, elle s’est donnée comme s’il y avait 850 spectateurs devant elle. Un mystère, je vous dis.

Il faut dire que cette idée qu’elle porte en elle depuis des années, la comédienne a très envie d’enfin la faire vivre sur scène. Né de son amour inconditionnel pour Yvon Deschamps, ce spectacle rassemble une quinzaine de chansons du créateur du monologue Les unions, qu’ossa donne.

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La comédienne (et chanteuse) Guylaine Tremblay

« Ça fait dix ans que je réfléchis à cela, dit-elle. Un matin, quelques semaines après le début de la pandémie, je me suis levée et je me suis dit que c’était le moment ou jamais de me lancer là-dedans. »

Quand elle a fait part de cette idée à Michel Poirier, en mai 2020, celui-ci a été dubitatif. « Elle s’est mise à me dire pourquoi elle voulait faire telle ou telle chanson et à me raconter des moments de sa vie qui correspondaient à ces chansons, raconte le metteur en scène. Je lui ai dit : “Ben voilà, c’est ça qu’il faut que tu fasses !” »

Le jour où elle a proposé ce projet à Yvon Deschamps, elle s’est sentie « comme une enfant de 8 ans ». L’humoriste l’a invitée chez lui un dimanche, à la campagne. « Il m’a dit qu’il était très touché que quelqu’un pense enfin à ses chansons. Il m’a donné toute sa confiance et il a posé une seule condition : que je chante Seul, une chanson qu’il a écrite avec Serge Fiori. »

Ce spectacle nous permet donc de réentendre quelques-unes des chansons de Deschamps, mais aussi d’entrer dans la vie de la comédienne qui séduit le public québécois depuis des décennies par sa capacité d’élever très haut les rôles qu’on lui confie.

Ces moments de vie sont drôles, bouleversants, attendrissants… Ils sont à l’image de ce que faisait Yvon Deschamps en jonglant avec ses monologues et ses chansons, un procédé déjà exploité par Clémence DesRochers et que peu d’humoristes ont repris par la suite (à part Jean Lapointe et Dominique Michel dans le spectacle Showtime Dominique Showtime !).

« Et pourtant, c’est la chose la plus l’fun à faire, dit Guylaine Tremblay. Il n’y a rien de plus enivrant, pour une interprète, que de passer d’un pôle à l’autre et d’entraîner le public là-dedans. C’est ce qui ressemble le plus à la vie. »

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Michel Poirier, metteur en scène du spectacle J’sais pas comment, j’sais pourquoi

Dans ce spectacle, Guylaine Tremblay nous parle de la beauté de son Charlevoix natal, de sa grand-mère adorée, de l’immense dose d’amour qu’elle a reçue de ses parents, de la stressante audition du Conservatoire, de son jeune frère Mario devant lequel elle mimait la mort et à qui elle faisait croire toutes sortes de choses.

Et puis, comme le faisait Yvon Deschamps, elle ose faire rire le public avec des sujets tabous, comme la mort. Ses anecdotes de salons funéraires sont absolument désopilantes.

Les textes, écrits par Michel Poirier et Guylaine Tremblay, s’imbriquent judicieusement dans chacune des chansons de Deschamps que le tandem a choisies parmi la cinquantaine de titres recensés. Bien sûr que nous avons droit à Aimons-nous, J’sais pas comment, j’sais pas pourquoi, Les fesses et Le bonheur, mais aussi à Dans ma cour, Berceuse pour endormir la mort, La vie est belle, Papa et bien d’autres.

Elle chante aussi

Ce spectacle marque un tournant dans la carrière de Guylaine Tremblay. La soixantaine récemment franchie, la comédienne a eu envie de se donner un défi. Elle n’a pas raté son coup. Contrairement au titre du spectacle, elle sait exactement pourquoi elle se lance dans une telle aventure.

« Disons que mon ego d’actrice de télévision est pas mal rassasié. À mon âge, j’ai envie de faire des choses que je n’ai pas encore faites et qui vont m’apporter de nouvelles expériences artistiques et humaines. »

Certains seront peut-être étonnés d’apprendre que Guylaine Tremblay, en plus de jouer, sait aussi chanter. Elle n’a pas souvent eu l’occasion de le faire sur scène, à part dans la comédie musicale Belles-sœurs.

Je fais cela avec une certaine humilité. Je n’ai pas l’intention de remplacer Céline Dion au Caesars Palace. Je suis plus de l’école de Clémence DesRochers et d’Yvon Deschamps qui chantent parce qu’ils ont envie de partager quelque chose.

Guylaine Tremblay

C’est d’ailleurs ce qu’elle répète aux candidats de Star Académie, où elle officie en tant que professeure d’interprétation. « La différence entre un chanteur que tu vas entendre une fois et celui que tu as envie de revoir, c’est l’émotion et l’authenticité qu’il dégage », aime-t-elle à répéter.

Et puis, il y a ce quatrième mur qui s’abat. « C’est la première fois que je chante sur scène et c’est la première fois que je fais un spectacle où je m’adresse directement au public sans un personnage qui n’a pas mon nom. Là, c’est moi qui parle. »

Un long chemin

Le chemin parcouru pour arriver à la première de ce spectacle fut long et périlleux. La création, prévue à l’été 2021, a été annulée. Puis, la série de spectacles qui devait s’amorcer l’automne dernier a été repoussée. À la blague, Guylaine Tremblay raconte qu’elle a pensé rebaptiser le spectacle J’sais pas comment, j’sais pas pourquoi pis j’sais pas quand.

Il y a trois semaines, on ne savait pas encore si les salles de spectacle allaient rouvrir. Des répétitions, d’abord dans un studio, puis dans un théâtre, ont eu lieu tambour battant. L’équipe va connaître sa générale ce samedi, avant la véritable première prévue en soirée au Théâtre du Vieux-Terrebonne.

C’est complètement fou. Il n’y a rien d’habituel dans ce que l’on vit. Mais bon, go with the flow.

Guylaine Tremblay

Pour servir les chansons d’Yvon Deschamps, on a fait appel à Jean Fernand Girard qui signe des arrangements fins, justes et respectueux. Il s’est entouré de Michael Pucci (guitares), Patricia Deslauriers (contrebasse) et Francis Covan (violon et accordéon).

Ce spectacle, l’un des premiers à prendre la route après la réouverture des salles de spectacle, fera l’objet d’une longue tournée au Québec, qui comprendra un arrêt à Montréal, au Théâtre Maisonneuve (une salle si souvent habitée par Deschamps), le 27 mai.

« Je trouve tellement important de faire revivre ces chansons, dit Guylaine Tremblay. Dans Aimons-nous, le “quand même” prend tout son sens avec ce que nous vivons. Ça englobe toutes les difficultés de vivre ensemble aujourd’hui. »

J’ai vu ce spectacle dans une salle de répétition froide, sans les effets scéniques, sans les éclairages de Lucie Bazzo, sans la magie d’un théâtre. Et pourtant, j’ai ri, j’ai eu les yeux mouillés. C’est plutôt bon signe…

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