Ça prenait une pandémie (et une ascension irrésistible du Canadien) pour que mon chum commence à aimer le hockey. À ma grande surprise, l’autre jour devant le match, il m’a dit :

« Franchement, je trouve ça le fun. Ça meuble une soirée ! »

Pardon ? C’est le même gars qui a en horreur les éruptions barbares des fans du CH qui me parle ? Sont-ce des effets secondaires d’une COVID-19 asymptomatique, ou la pandémie aurait-elle réussi là où j’ai échoué pendant 20 ans de vie de couple ?

Mon chum s’est toujours senti exclu de la fratrie sportive nationale, qui, comme le veut le cliché, soude les pères et les fils. Ses parents étaient des hippies, il a grandi dans les effluves du cannabis et n’a jamais communié à la sainte-Flanelle. Bref, son père était plus du genre à l’amener au Musée d’art contemporain qu’au Forum. Ce qui est drôle est que le premier amoureux de sa mère a été le peintre Serge Lemoyne, célèbre notamment pour ses toiles inspirées du CH.

De mon côté, je dois au hockey mon sommeil de plomb légendaire, développé dès le berceau où je dormais à poings fermés pendant que mon père et mes oncles hurlaient à chaque but du Canadien – et c’était dans le temps où l’équipe scorait beaucoup.

Chez nous, c’était vraiment une religion. Quelque chose de gênant quand j’invitais mes amies à la maison pendant les séries. Mon petit frère regardait le match complètement habillé en gardien de but avec un filet installé dans le salon, ses cartes de hockey et sa petite coupe Stanley en métal disposées comme des grigris devant la télé. « Faites pas attention à eux », que je disais à mes copines, mais c’était plutôt difficile à ignorer, surtout que mon père ne sacrait jamais autant que devant un match du CH pendant que mon frère perfectionnait le style papillon de Patrick Roy en cassant parfois des bibelots. Que faisait ma mère ? Quand elle n’en profitait pas pour sortir, elle riait du show, qui se passait bien plus dans le salon qu’à la télé. Notre phrase fétiche mère-fille de ces années-là était : « Mêles-toi en pas. »

Pour résumer, en ce qui concerne le hockey, mon couple était plutôt chien et chat. La meilleure façon de dégoûter mon chum était de scander des « na na na hey hey goodbye », et il trouvait pitoyable une chanson comme « C’est Maurice Richard qui est si populaire, c’est Maurice Richard qui score tout le temps ». Le genre à approuver les chroniqueurs amers qui nous sortent l’argument « du pain et des jeux » à chaque fin de saison prometteuse. Lui, il appelait ça « le n’hockey », reprenant à son compte l’expression d’un vieil humoriste de cabaret qui se moquait de la lenteur intellectuelle des sportifs. En ce moment, j’appellerais ça plutôt le knocké. Non mais, avez-vous vu la gueule des joueurs ? En plus de leurs barbes des séries, ils ont des poques, des bleus, des cicatrices, voire une hémorragie sous-conjonctivale qui donne des yeux gorgés de sang. On dirait qu’il faut avoir les bras meurtris autant quand on tend le flambeau que lorsqu’on le reçoit, en dépit de tous les débats sur la violence de ce sport.

Mais il y a quelques années, l’amoureux a subi une immersion intensive dans le hockey quand mon frère est venu habiter chez nous quelques mois, en pleine fièvre des séries. Des soirées de hurlements frère-sœur dans le sous-sol, qui le laissaient hébété autant que notre chien apeuré. Pour participer, il avait offert de prendre pour l’équipe adverse, afin d’épicer les matchs, mais le regard meurtrier de mon frère lui a fait comprendre que ce n’était pas une bonne idée. J’ai dû lui dire : « Chéri, mêles-toi en donc pas ». Parce que mon frère et le CH, c’est une passion grave, on ne niaise pas avec ça. J’ai d’ailleurs demandé à mon frérot si, comme Luc Ferrandez, il avait le goût de prendre pour Vegas parce qu’ils ont plus de joueurs québécois. « Jamais je ne prendrai pour une autre équipe que Montréal. JAMAIS ! »

PHOTO FOURNIE PAR DOMINIC GUY

Le salon du frère de notre chroniqueuse

Il faut dire que ce n’est pas le moment de tourner le dos à Montréal, meurtri et poqué comme les joueurs du CH après plus d’un an de restrictions sanitaires. Il se passe quelque chose de magique avec l’équipe en ce moment, disent à peu près tous les commentateurs, et mon chum, grand amateur de tribunes téléphoniques la nuit, trouve qu’ils ont raison.

« Mon amour, c’est juste la magie du hockey, et tout ce qui se dit désire être prophétique, comme d’habitude », dois-je lui préciser. Il admet que les fans sont très ésotériques, au fond.

Mais j’avoue qu’après avoir fait le tour trois fois de Netflix, le fait que le Canadien se rende aussi loin en série est une véritable bénédiction.

Tout le monde ne parle que de ça, des étoiles dans les yeux, avec ou sans masque. Le premier match à Las Vegas, dans un aréna rempli à craquer avec des effets démesurés jusqu’à l’absurde, a rappelé ce genre de liesse collective qui nous manque – j’en avais de la difficulté à regarder ce qui se passait sur la glace.

À la longue, mon chum a fini par comprendre les règlements du hockey, parce que j’ai la patience de lui expliquer, comme mon père faisait quand j’étais petite. Encore dernièrement, je lui ai appris que les petits chiffres sous le nom des équipes, c’est le nombre de tirs au but, et qu’il avait le droit d’être en furie contre les maudits refs.

« Les quoi ?

— Les arbitres, chéri. Particulièrement pourris cette année. »

Je n’en reviens pas, c’est rendu qu’il a hâte aux soirs de match, je n’ai plus à lui tordre un bras. Il aura fallu 20 ans et une pandémie pour y arriver – moins de temps que la dernière Coupe Stanley du Canadien –, la preuve qu’il ne faut jamais abandonner. Je souhaite voir le CH gagner juste pour sceller cette nouvelle alliance conjugale. Et aussi pour Montréal.