Face à la fraude, tous ces vols d’identité, transactions frauduleuses et hameçonnage qui nous pourrissent la vie, on pourrait multiplier à l’infini les conseils pratiques pour se protéger. Nous avons plutôt demandé à deux experts de sortir des listes d’épicerie habituelles pour proposer quelques règles d’or, de grands principes valables pour les milliers de fraudes répertoriées. Ils ont joué le jeu et se sont entendus sur trois commandements.

Expert régulièrement interrogé par les médias, Benoit Dupont, professeur de criminologie et titulaire de la Chaire de recherche en prévention de la cybercriminalité à l’Université de Montréal, a changé son approche avec le temps.

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Benoit Dupont, professeur de criminologie et titulaire de la Chaire de recherche en prévention de la cybercriminalité à l’Université de Montréal

« Avant, j’aurais donné une liste de conseils plus pratiques et plus ciblés. Au fil du temps aussi, je me rends compte que les gens sont bombardés de conseils. Ils ont développé une espèce de fatigue de la cybersécurité. Je ne suis plus certain qu’ils soient très attentifs aux longues listes de conseils. Moi le premier. »

Valérie Parente, conseillère principale en prévention de la fraude chez Desjardins, rappelle que les fraudeurs rivalisent de créativité pour trouver les failles. « Ce qui est important, ce n’est pas tant la liste de ce qu’il faut faire, mais plutôt les façons de réduire mon risque de fraude […] Le risque zéro n’existe pas, mais on a la possibilité de le réduire. » La Presse l’a sollicitée pour parler de cybersécurité des particuliers, faut-il le préciser, et non de celle des entreprises, domaine dans lequel Desjardins a subi une gigantesque fuite de données en 2019.

Règle 1 : vigilance

Ce qui aurait pu passer pour de la paranoïa il y a quelques décennies est aujourd’hui établi : la fraude guette le citoyen dans toutes ses activités. « On ne peut plus dire aujourd’hui que ce sont des gens particulièrement crédules ou naïfs qui deviennent victimes, parce que les fraudeurs arrivent vraiment à nous convaincre, analyse M. Dupont. Il faut vraiment développer cet état d’esprit de vigilance, cet instinct pour éviter de tomber dans le panneau. »

Dans quel domaine faut-il développer cette vigilance ? À 99 %, les milliers de scénarios utilisés pour la fraude dans le monde ont le même but : l’argent. Mme Parente aime rappeler quelques définitions de base qui « mettent la table ». « Un fraudeur, c’est quoi ? Une personne mal intentionnée qui va tromper, qui va manipuler pour atteindre son principal objectif, qui est d’obtenir de l’argent. Il va faire preuve de créativité et d’imagination, il va utiliser de nombreux stratagèmes, faire appel à différents moyens de communication. Et comme il va utiliser des techniques de manipulation, il doit être un très bon acteur. »

La vigilance se concrétise de plusieurs façons, d’abord en limitant au maximum la dissémination des renseignements personnels. « On ne divulgue pas nos mots de passe, on ne prête pas sa carte de crédit, on questionne les appelants, et on se méfie des offres non sollicitées », résume en vrac Mme Parente.

Règle 2 : connaissance

Rester informé des fraudes les plus courantes, apprendre les nouvelles techniques de manipulation et les scénarios inventés par les fraudeurs, « ce n’est pas très amusant, mais c’est indispensable », affirme M. Dupont. Le professeur en criminologie croit tellement en ce conseil que son département a mis en ligne l’outil le plus utile au Québec à ce chapitre, Fraude-alerte.ca. Plus de 6000 fraudes y sont répertoriées, divisées en 12 grandes catégories.

« Si on est un investisseur, on veut se tenir au courant des nouvelles opportunités, de l’évolution des titres qui ont des bons et moins bons rendements, illustre-t-il. Il faut se tenir informé des dernières tendances pour les détecter quand les fraudeurs vont nous tomber dessus. »

Si les victimes potentielles ne s’informent pas, les fraudeurs le font abondamment, rappelle Mme Parente. « Ils sont opportunistes, ils vont exploiter nos faiblesses à leur avantage, utiliser des contextes économiques aussi pour se mettre en scène, consulter des sources d’actualité et s’en inspirer. »

S’informer, c’est aussi savoir que des sites transactionnels bien établis, comme Amazon, Best Buy ou Shopify, hébergent des offres de vendeurs « tiers » qui peuvent être des fraudeurs. « Amazon a rapporté qu’en 2021, elle a bloqué 2,5 millions de comptes de vendeurs qu’elle jugeait frauduleux », note M. Dupont. Même prudence avec les résultats commandités de recherches sur Google ou Bing, qui peuvent avoir été achetés par des fraudeurs.

Un outil précieux pour évaluer la crédibilité d’un site : Fr.scamdoc.com, qui donne une note sur 100 et énumèrent les points négatifs qui rendent une adresse internet risquée.

Règle 3 : gros bon sens

Les fraudeurs connaissent très bien les techniques de manipulation de base, et les plus efficaces découlent de l’interaction entre deux personnes seulement. La victime finit par croire le fraudeur si elle ne dispose que des informations que ce dernier lui fournit.

La solution : en parler à d’autres. « Les fraudeurs peuvent parfois être très persuasifs et vont vous plonger dans l’incertitude, explique Benoit Dupont. En allant chercher l’avis d’autres personnes qui ne sont pas nécessairement des spécialistes, en expliquant la situation à quelqu’un d’autre, on rompt le charme. »

À l’autre bout du processus, il faut garder le contact avec « les gens plus seuls, plus vulnérables », conseille Mme Parente. Parler, expliquer, décrire permet de mettre en lumière des scénarios bien connus qu’on sait à risque. « Il faut reconnaître les drapeaux rouges : un sentiment d’urgence, un ton menaçant ou trop courtois, une offre trop belle pour être vraie. »

Elle rappelle un détail trop souvent oublié, qui fait en sorte que les fraudes sont des crimes sous-estimés : le signalement. « C’est important, auprès des corps policiers, de l’Autorité des marchés financiers, des écoles, des réseaux sociaux. Il faut apprendre de nos erreurs, tirer des leçons de nos expériences pour que d’autres ne tombent pas dans le piège. »

Comment éviter les fraudes, arnaques et escroqueries ?

Conseils en rafale

On a beau avoir voulu éviter l’avalanche de conseils et la liste d’épicerie contre la fraude, difficile de passer à côté de quelques évidences plus techniques. En voici cinq.

  • Privilégier l’utilisation de l’authentification à deux facteurs
  • Utiliser des mots de passe différents d’un site à l’autre, longs, répertoriés dans un gestionnaire de mots de passe de confiance
  • Vérifier régulièrement ses relevés de cartes de crédit
  • Demander une fois par année son dossier de crédit auprès d’Equifax ou TransUnion
  • Limiter au maximum les renseignements personnels fournis en ligne, conserver une trace des comptes ouverts

Centre antifraude du Canada

Site web

Téléphone : 1-888-495-8501

En savoir plus
  • 57 578
    Nombre de victimes de fraude en 2022 selon le Centre antifraude du Canada, un nombre de toute évidence sous-estimé.
    78
    Catégories de fraudes répertoriées par le Centre antifraude du Canada, qui incluent souvent des dizaines de combines. On y liste aussi bien l’échange de carte SIM que les combines à la Ponzi en passant par l’extorsion sexuelle, la menace d’un tueur à gages, les menaces à la bombe et les classiques hameçonnages, rançongiciels et fausse facturation.