Déjà que la culture de la patate douce, une plante tropicale, n’est pas courante au Québec, pour en vendre une version petite et une version crochue, il faut beaucoup d’ingéniosité. Et de persévérance…

Quoi ?

La culture de la patate douce a commencé au Québec il y a une douzaine d’années, tout au plus. Sa version biologique est plus récente encore. Pro-Bio, une entreprise de Saint-Léonard-d’Aston, a été pionnière en la matière.

Les deux frères Richard, Samuel et Gabriel, ont grandi dans une ferme de pommes de terre. Quand ils ont repris l’entreprise familiale, déjà, ils savaient qu’ils voulaient passer à l’agriculture biologique. Ce qu’ils ont fait.

Rapidement, l’appel de la diversification s’est aussi fait entendre. Les frères ont décidé de tenter leur coup dans la patate douce biologique en 2019, sans trop mesurer l’ampleur des défis.

Le premier s’est vite présenté : notre climat fait la vie dure aux patates douces, qui sont souvent récoltées petites et difformes. Ce qu’elles gagnent en charme, elles le perdent de toute évidence en attrait à l’épicerie puisqu’elles ne se vendent (pratiquement) pas.

Pro-Bio s’est donc retrouvée avec 30 % de rejets à la récolte, plus encore après des mois d’entreposage, puisqu’une blessure à la peau de la patate aura tôt fait de prendre une telle ampleur qu’elle sera défigurée, donc impossible à commercialiser.

L’innovation

Il a fallu beaucoup d’ingéniosité pour développer cette culture et la commercialiser. Après des premières plantations et récoltes entièrement manuelles, Samuel Richard a conçu de la machinerie pour manipuler les fragiles patates. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les machines pour les pommes de terre ne conviennent pas du tout à la culture de la patate douce. Pour un diplômé en génie agroenvironnemental, ce premier défi était emballant.

Les plus difficiles étaient à venir...

Ces patates non conventionnelles, il fallait trouver un moyen de les passer ailleurs qu’au compost.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Pro-Bio est une entreprise familiale : ici, Samuel Richard et son cousin Guillaume Allyson. Leur grand-père était cultivateur de pommes de terre.

La petite douce est née ainsi. Il s’agit des plus petits spécimens des plants, ressemblant un peu aux pommes de terre grelots. Ils sont réunis dans une boîte de carton et vendus autour de 5 $. La présentation est pratique et chic pour une boîte de patates !

Malheureusement, ça n’a pas été le coup de foudre immédiat dans les commerces, où les tests n’ont pas été concluants. « C’est un produit que les gens ne connaissent pas », explique Samuel Richard.

« Les distributeurs ne feront pas de marketing pour nous », ajoute Guillaume Allyson, responsable du développement commercial chez Pro-Bio. Il précise que les épiceries (et les consommateurs !) demandent des produits standards et uniformes.

Les chiffres de vente ont été sans équivoque : les patates difformes, peu importe leur taille, restent sur les étals. Guillaume Allyson, responsable du développement commercial chez Pro-Bio, explique que la situation économique actuelle ne les aide pas : les détaillants cherchent désormais davantage le bas prix que le produit local.

La plupart des patates douces vendues au Québec sont américaines. Dans le sud du pays, la saison est plus longue, le climat plus chaud, ce qui permet au légume d’être plus gros et plus résistant à la récolte.

La « petite douce » n’a pas dit son dernier mot. Elle reviendra prochainement sur les étals de certains commerces, avec une meilleure stratégie marketing.

Un nouveau projet 

L’acceptation de la différence passera peut-être par les plus grosses patates.

L’entreprise donne ses légumes non conformes à des banques alimentaires. Comme les dons en argent sont plus efficaces pour ces organismes, qui achètent ce dont ils ont besoin, Pro-Bio vient de lancer un projet pour plutôt vendre les patates difformes en épicerie. Les recettes de ces ventes seront versées à Moisson Mauricie.

Mine de rien, cela devient aussi un outil marketing puisque les consommateurs vont découvrir ces patates aux formes diverses...

  • « Les dons en argent chez Moisson Mauricie se multiplient par 21 en ce qui concerne ce qui va être redonné en nourriture à la communauté », précise Guillaume Allyson.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    « Les dons en argent chez Moisson Mauricie se multiplient par 21 en ce qui concerne ce qui va être redonné en nourriture à la communauté », précise Guillaume Allyson.

  • Pro Bio a aussi un sac de 3 lb de calibre moyen.

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    Pro Bio a aussi un sac de 3 lb de calibre moyen.

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Guillaume Allyson est toutefois honnête : le but de Pro-Bio n’est pas de faire de l’éducation pour que les consommateurs acceptent la patate différente, mais d’atteindre une certaine conformité qui plaira au marché.

En attendant, il y a ces jolies patates rejetées que les gens de la Mauricie peuvent mettre dans leur panier à très bas prix.

La suite

L’équipe travaille maintenant sur un projet de transformation à la ferme, pour lequel Recyc-Québec lui a accordé une subvention de 300 000 $.

Les patates douces déclassées pourraient devenir des frites ou des cubes surgelés, prêts à cuisiner, destinés dans une première phase à une clientèle institutionnelle.