Les prix des logements au Québec sont systématiquement inférieurs à ceux des villes ontariennes de taille comparable, soutient le professeur Mario Polèse dans un article paru dans la plus récente édition du magazine Options politiques.

L’auteur cherche à mettre en garde les décideurs locaux de reproduire l’erreur que l’Ontario a commise dans les années 1980 et qui a nui à l’abordabilité du logement dans la province voisine.

Lisez l'article de Mario Polèse dans le magazine Options politiques

La proportion des ménages locataires du Québec qui doivent consacrer plus de 30 % de leur revenu au logement est systématiquement moins élevée qu’en Ontario lorsque l’on compare des villes à la dynamique semblable, démontre le professeur émérite. La mesure est utilisée fréquemment pour déterminer l’abordabilité d’une région.

C’est le cas entre Montréal et Toronto, entre Drummondville et Peterborough et entre Saguenay et Sudbury.

Certains soutiendront que la différence des revenus explique l’écart dans le prix du logement, mais l’universitaire rappelle que le revenu médian au Québec est en train de rattraper celui de l’Ontario. L’explication se trouve donc ailleurs.

La principale raison, selon l’auteur du livre Le miracle québécois, est le recours limité au Québec aux redevances d’aménagement.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’INRS

Le professeur émérite et auteur Mario Polèse

Jusqu’à tout récemment, les villes québécoises n’avaient pas le pouvoir d’imposer de pareilles charges, contrairement aux villes ontariennes, qui disposent de ce droit depuis 1989.

À Toronto, la redevance atteint aujourd’hui la somme astronomique de 80 218 $ pour un appartement de deux chambres.

Le principe de la redevance est de faire payer par les promoteurs les coûts sociaux du développement. En pratique, la tentation est forte d’utiliser cet outil pour payer toutes sortes de dépenses, ce qui a eu pour effet au fil des années de faire exploser le montant des redevances exigibles.

Effets pervers

Ce montant s’ajoute au prix d’achat du logement, ce qui nuit évidemment à son abordabilité. Il a aussi comme effet pervers d’éloigner les petits constructeurs du marché en raison des négociations que ça implique entre le promoteur et le pouvoir municipal. « Le résultat : un marché du logement oligopolistique, moins fluide et une offre réduite », écrit M. Polèse.

Autre impact, les redevances étant fixées par logement, le promoteur est incité à construire les unités les plus chères possible pour mieux les absorber. Dans ces circonstances, il faut faire son deuil des petits immeubles à revenus comme les plex caractéristiques du Québec.

L’effet est à ce point dommageable que l’Ontario a décidé de faire marche arrière avec la Loi de 2022 visant à accélérer la construction de plus de logements. Cette loi a pour objectif de resserrer le pouvoir des villes de percevoir des redevances.

De son côté, le Québec a succombé au charme des redevances d’aménagement en 2017 avec la loi 122. Depuis, leur utilisation gagne en popularité. Encore modestes par rapport aux redevances exigées chez nos voisins, elles sont néanmoins en augmentation.

À Beauharnois, elle peut s’élever jusqu’à 15 000 $ pour un logement situé aux étages supérieurs d’une tour, rapportait une étude de l’Institut de développement urbain du Québec parue le printemps dernier.

Lisez l’article « Les redevances de développement ne respecteraient pas la loi »

Pour le professeur Polèse, Québec doit rapidement fermer le robinet. « La réforme annoncée de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire offre en ce sens une occasion en or de repenser les redevances. »

Pour le Québec, le message est clair, s’il ne fait pas attention, le logement y sera bientôt aussi inabordable qu’en Ontario.

Mario Polèse, professeur émérite à l’Institut national de la recherche scientifique à Montréal

Une prise de position que partagent les constructeurs de maisons. « Je vous dirais que c’est de la musique à mes oreilles », confie Paul Cardinal, directeur du Service économique de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ). « On est d’accord avec tout ce qui est dit. On n’a jamais été chaud à l’idée [que les redevances] étaient une bonne voie dans laquelle s’engager. »

Un contrôle des loyers « souple »

Mario Polèse a aussi de bons mots pour le système de contrôle des loyers en vigueur au Québec depuis presque 50 ans. Décrié à la fois par les associations de propriétaires et les groupes de locataires, le Tribunal administratif du logement agit de façon équilibrée et suffisamment souple pour ne pas nuire à l’offre de logements, aux yeux du professeur.

Celui-ci considère d’ailleurs que le projet de loi 31 de la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, reste fidèle aux principes de contrôle « souple » des loyers. Une appréciation qui contraste avec les critiques virulentes qu’on a entendues sur la place publique.

Sur le contrôle des loyers, Paul Cardinal exprime sa dissidence. Selon lui, la grille de fixation des loyers actuellement en vigueur ne permet pas aux propriétaires de justifier sur le plan économique les dépenses de rénovation. « Minimalement, il faudrait que le délai de recouvrement permis soit égal ou inférieur à la durée de vie utile des rénovations », dit-il.

Le règlement établit le facteur d’ajustement des loyers pour travaux majeurs en fonction du rendement obtenu sur un certificat de dépôt garanti de 5 ans majoré de 1 %. En 2022, le pourcentage d’ajustement a été fixé à 2 %. Pour 1000 $ de travaux, on récupérait 20 $ par année. À ce rythme, le délai de recouvrement s’étirait sur 50 ans. Avec la montée des taux d’intérêt, le délai s’est raccourci cette année et sera réduit de nouveau l’an prochain, possiblement à 22 ans.