Un changement financier massif est sur le point de se produire dans les années à venir, à mesure que les baby-boomers transmettent leurs actifs aux milléniaux et aux membres de la génération Z. Mais de nombreux parents ne préparent pas leurs enfants devenus adultes à gérer ces richesses.

Selon les Comptables professionnels agréés du Canada (CPA Canada), il s’agira du transfert de richesses intergénérationnel le plus important de l’histoire du pays, les jeunes Canadiens devant recevoir au total 1000 milliards de dollars seulement au cours des prochaines années.

Cependant, parler d’argent reste encore tabou pour de nombreuses familles, mentionne Thuy Lam, planificatrice financière agréée chez Objective Financial Partners, une société de Toronto.

« La réalité est que la majorité des parents ne s’assoient pas avec leurs enfants [pour discuter]. Pas même un tiers des parents ne s’assoiront avec leurs enfants », soutient Mme Lam.

Même après avoir travaillé dans le secteur financier pendant plus de 20 ans, elle se dit toujours surprise lorsqu’une famille a eu une discussion ouverte avec ses enfants, car cela reste rare. Toutefois, avoir cette discussion est toujours quelque chose qu’elle encourage.

L’ironie malheureuse de ce silence est que les parents craignent plus que tout que leurs enfants manquent de connaissances financières ; ils craignent que leurs enfants ne sachent pas comment gérer leur argent, évoque Mme Lam.

Mais il est difficile d’en apprendre sur un sujet tabou, surtout si les parents ont des souhaits précis concernant leur patrimoine. Le manque de communication peut créer un conflit familial autour des héritages, souligne la planificatrice financière.

La question de l’héritage est particulièrement délicate, car elle implique la mort, affirme la directrice du groupe de consultation des clients chez Edward Jones Canada, Tracey McLennan.

« Nous n’aimons pas non plus parler de mortalité, dit-elle. Alors maintenant, nous associons argent et mortalité. »

Les conjoints, une préoccupation

Toutefois, les parents en parlent à leurs conseillers, et il s’avère qu’ils ont beaucoup à dire.

La principale préoccupation de cette génération riche en actifs est la littératie financière de leurs enfants. La deuxième préoccupation concerne les conjoints de leurs enfants, expose Mme Lam.

Même si les mariages entre leurs enfants et leurs conjoints vont bien à ce moment-là, c’est parfois une préoccupation. Ils veulent pouvoir protéger tout héritage d’une éventuelle rupture.

Thuy Lam, planificatrice financière agréée chez Objective Financial Partners

Même constat du côté de Mme McLennan. Beaucoup disent : « Nous aimons nos brus et nos gendres, mais que se passera-t-il si la relation ne dure pas ? »

« Je pense que nous entendons également les parents s’inquiéter du fait qu’ils ne veulent pas donner leurs richesses trop tôt, ou d’une manière qui affecterait la vie ou les relations de leurs enfants », affirme Mme McLennan.

Éviter de gaspiller son héritage

La génération plus âgée a travaillé dur pour gagner son argent et pour l’économiser, soutient Mme McLennan. La clientèle de cette dernière lui dit qu’elle s’inquiète du gaspillage de son héritage. Ses clients souhaitent que leur héritage ait un sens.

« Ils veulent s’assurer qu’ils auront un impact important sur la prochaine génération, et que cela ne sera pas gaspillé, indique Mme McLennan. Ou, s’il y a suffisamment de fonds, qu’ils seront effectivement disponibles pour plusieurs générations. »

Parfois, la vision des parents concernant les richesses peut être très précise, confie-t-elle : payer les études de leurs petits-enfants ou l’utiliser comme argent supplémentaire pour des vacances que leurs enfants ne pourraient pas se permettre autrement.

Ils peuvent également souhaiter une sécurité pour les héritiers qui sont des travailleurs autonomes ou qui travaillent pour l’entreprise familiale, ou qui souffrent d’un handicap ou d’une dépendance.

Les enfants adultes peuvent parfois lancer la conversation si leurs parents ne l’ont pas fait. Il arrive que Mme Lam se retrouve à enseigner à la jeune génération comment ouvrir le dialogue. Il faut commencer par poser des questions sur le rôle de liquidateur testamentaire.

C’est très authentique, car la planification successorale ne concerne pas seulement la répartition des actifs, mais aussi le rôle de liquidateur testamentaire. Qui va assumer certains rôles dans le règlement de la succession ?

Thuy Lam, planificatrice financière agréée chez Objective Financial Partners

Il peut s’écouler un an entre la mort d’un parent et la date de règlement, ajoute-t-elle. « Imaginez essayer d’apprivoiser ce rôle et d’apprendre à gérer une grosse somme d’argent en un an – ce n’est pas une très longue période. »

Être accompagné

Pour amorcer la conversation, Mme McLennan recommande de demander de l’aide pour ce qui peut être une période stressante pour les parents. Travailler avec des conseillers, ajoute-t-elle, peut aider à combler le fossé entre les membres de la famille en introduisant un médiateur.

« Il s’agit de s’assurer de leur transmettre les instructions concernant les documents, les testaments, les procurations et de veiller à ce qu’ils comprennent les souhaits de leurs parents. »

Les enfants adultes peuvent commencer leur propre éducation financière en lisant les actualités, en écoutant des émissions balados reconnues et en recherchant des conseils d’experts, affirme Mme Lam.

Bien avant qu’une succession ne leur tombe entre les mains, ils peuvent gagner en confiance en matière d’investissement, de gestion des dettes et de santé financière en général.

Cette confiance, selon Mme Lam, peut aider à atténuer une partie de l’anxiété ressentie par les héritiers qui se retrouvent soudainement à devoir gérer de grosses sommes d’argent.

Mme McLennan abonde dans son sens. Les enfants adultes reconnaissent la responsabilité du cadeau qui leur a été offert, qui peut avoir un impact sur le reste de la famille, sur une entreprise et sur leur communauté.

« Il y a un peu une crainte : “et si je prends la mauvaise décision ? Et si j’investis et que les marchés baissent ?” », dit Mme McLennan.

« Je pense qu’il y a parfois beaucoup d’inquiétude à propos de ce rôle de gestion. La plupart des enfants veulent réaliser les souhaits de leurs parents. Et ils veulent s’assurer qu’ils le font bien », dit-elle.