Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

C’est fou comme trois mois peuvent changer les choses.

L’automne dernier, ma boîte de réception débordait de messages d’investisseurs nerveux, voire paniqués.

Après un début d’année à la hausse, les marchés financiers s’enfonçaient un peu plus chaque jour. L’inflation était de retour. Et des experts prédisaient une chute brutale à venir.

Trois mois plus tard, où en sommes-nous ?

L’inflation est en baisse. Les marchés ont grimpé de 12 % au Canada et 18 % aux États-Unis. Et la fin du monde ne s’est toujours pas produite.

Donc, tout le monde est satisfait ? Non ! Désormais, ce sont les marchés à des sommets records qui provoquent des remises en question.

« J’ai 21 ans, je suis étudiant, et je me suis ouvert un compte de courtage en ligne afin de placer 10 000 $ pour 10 ou 15 ans », m’écrit un lecteur décidément moins perdu que je ne l’étais à son âge.

Ce lecteur écrit vouloir acheter des parts d’un fonds négocié en Bourse (FNB) à répartition d’actifs « comme VEQT ou XEQT ». Il se demande s’il devrait acheter tout de suite ou attendre que la valeur du fonds diminue.

« Si je commence mon investissement à long terme 10 % plus bas, ça pourrait quand même faire une bonne différence, non ? »

Un autre lecteur a une question semblable : « Est-ce qu’il y a un temps optimal pour investir ? Devrait-on accumuler notre argent et attendre une chute avant d’acheter ? Où devrait-on acheter à intervalle fixe à chaque paie ? »

J’aime ces questions, car tous les investisseurs se les posent un jour ou l’autre. C’est dans la nature humaine de vouloir maximiser ses chances de faire un gain.

Le problème, c’est qu’en investissement, la nature humaine travaille généralement à nous appauvrir.

Le meilleur moment pour investir

Premièrement, c’est vrai que les marchés sont à des niveaux élevés.

Le S&P 500, l’indice qui représente les 500 plus grandes entreprises aux États-Unis et qui a ravi le cœur de millions d’investisseurs depuis une décennie, a récemment clôturé à 4927 points, un record. Un placement dans le S&P 500 est en hausse de 26 % depuis un an, lorsqu’on inclut le réinvestissement des dividendes. Pour ceux qui suivent à la maison, c’est 22 % de plus que l’inflation au cours de cette période.

Au Canada, l’indice du S&P/TSX, qui représente le marché des actions au pays, a clôturé récemment à 21 244 points. C’est moins que le niveau de 22 000 points enregistré en 2022. Mais on est à 4 % d’un sommet.

Ensuite, est-ce que ces niveaux élevés devraient nous empêcher d’investir ?

Benjamin Felix, responsable de la recherche chez PWL Capital, a étudié le phénomène dans huit marchés développés, dont les États-Unis et le Canada, avec des données allant de 1970 à 2020. Son analyse1 a montré qu’attendre une chute de 10 % ou 20 % d’un sommet avant d’investir une somme produisait de moins bons rendements en moyenne dans la majorité des périodes de 10 ans étudiées.

Quant à l’idée d’investir une somme fixe à intervalles réguliers plutôt qu’investir une somme d’un coup, la recherche montre aussi que c’est généralement moins payant.

M. Felix a calculé qu’investir une somme d’un coup donnait de meilleurs rendements après 10 ans⁠2 dans 65 % des cas qu’acheter à intervalles réguliers.

Même dans les mauvaises périodes historiques pour les actions, investir une somme d’un coup était préférable dans un peu plus de 50 % des cas qu’investir à intervalles réguliers.

Bref, le meilleur moment pour investir est lorsqu’on a l’argent pour le faire. « Attendre les chutes » peut sembler logique. Mais ce n’est pas une façon prévisible d’améliorer les rendements.

Cela dit, on va souvent investir à intervalles réguliers tout simplement parce qu’on fait des achats à partir de son salaire – on ne peut faire autrement. D’un point de vue comportemental, cette méthode peut aussi nous aider à minimiser les regrets si on achète tout juste avant une chute. On peut par exemple diviser la somme à investir en cinq, et en investir une partie le premier jour de chaque mois.

Est-ce optimal ? Statistiquement, non. Mais si ça peut nous aider à bien dormir, cette technique aura accompli son travail.

Aussi, c’est contre-intuitif, mais le fait qu’on vient de vivre une année haussière ne nous dit rien sur ce que les marchés nous réservent pour l’année qui s’annonce.

L’auteur financier Ben Carlson a calculé3 que le S&P 500 était en hausse près de trois années sur quatre depuis 1926. Après une année de chute ? L’indice était en hausse près de trois années sur quatre. Et après une année de hausse ? L’indice était en hausse... près de trois années sur quatre.

« Tenter de prédire la trajectoire du marché boursier sur la base de ce qu’il a fait au cours de la dernière année est beaucoup plus difficile qu’on pourrait le croire », dit-il.

Synchroniser les marchés

Le problème avec le fait d’« attendre les chutes » avant d’investir dans un portefeuille diversifié est qu’on ne sait jamais quand, ou même si, des chutes vont survenir.

J’ai commencé à investir sérieusement en 2012. À l’époque, l’indice du Dow Jones, qui mesure la performance de 30 grandes sociétés américaines, venait de dépasser la barre des 12 000 points. C’était énorme : quelques années auparavant, le Dow Jones évoluait sous les 9000 points.

Qu’est-ce qui se serait passé si j’avais décidé d’attendre les soldes ?

Douze ans plus tard, je serais encore en train d’attendre.

C’est que le Dow Jones n’a plus revisité les 12 000 points. Il est aujourd’hui à 38 000 points.

Bien sûr, le marché aurait pu vite chuter à 9000, et j’aurais été déçu d’avoir acheté lorsqu’il était à un sommet. Tout ça était impossible à prévoir. C’est la leçon à en tirer.

Sur un graphique, une chute semble être un excellent moment d’achat. Dans la vraie vie, quand les marchés chutent, c’est souvent pour une bonne raison. Et cette bonne raison est souvent terrifiante.

Soudainement, bien des investisseurs décident de remettre leur projet d’investir... Certains décident même de vendre, cristallisant ainsi leurs pertes.

« Vous ne pouvez pas exercer de contrôle sur le marché. Vous devez essayer d’enclencher le pilote automatique pour que vos émotions n’aient pas raison de vous », a écrit l’auteur financier Burton Malkiel.

Les mauvais comportements d’investisseur font partie de la nature humaine : ils ne changent jamais.

Notre défi est d’utiliser la connaissance afin de mieux gérer nos comportements. C’est tout ce qu’on contrôle de toute façon.

1. Consultez l’étude de Ben Felix de PWL Capital sur l’attente sur les marchés (en anglais) 2. Consultez l’étude de Ben Felix de PWL Capital sur l’investissement d’un coup comparé à des achats réguliers (en anglais) 3. Consultez l’article de Ben Carlson sur ce qu’il arrive lorsque les marchés sont au sommet (en anglais) Recevez chaque lundi l’infolettre L’argent et le bonheur