En vieillissant, bien des gens cherchent à rester à la maison le plus longtemps possible. Cela signifie souvent adapter son domicile ou encore, en trouver un nouveau plus compatible avec ses besoins. Mais cela vient avec des coûts. Comment financer ce type de projet ? Même si on a les économies nécessaires, cela peut être complexe si sa stratégie de placements est incohérente avec ses besoins.

La situation

France*, 66 ans, est retraitée depuis un an. Elle vit seule dans une maison à étage. « Les escaliers commencent à se montrer inquiétants et j’aimerais déménager dans une maison de plain-pied adaptée à une personne vieillissante avec une baignoire à porte, des planchers antidérapants, un foyer au gaz, etc. », énumère-t-elle.

France évalue que ce type de maison se vend environ 500 000 $. Elle se demande si elle peut se permettre cet achat tout en ayant un train de vie d’environ 40 000 $ par année, soit un peu plus que ce qu’elle a actuellement. « Est-ce raisonnable, demande-t-elle, si je ne veux pas épuiser mes économies avant 95 ans ? »

Une autre option serait d’aménager sa maison : elle évalue les coûts des travaux à environ 150 000 $. « Pouvez-vous m’aider à voir quelle solution serait la plus avantageuse ? »

Les chiffres

France*, 66 ans

Maison : valeur de 280 000 $, entièrement payée

Rente du Régime de rentes du Québec (RRQ) : 630 $ par mois, demandée à 60 ans

Rente d’un fonds de pension : 2100 $ par mois, indexée au coût de la vie

Pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) : reportée à 70 ans

Régime enregistré d’épargne-retraite (REER) : 141 000 $ avec différentes échéances

Compte d’épargne libre d’impôt (CELI) : 88 000 $ avec différentes échéances

Placements non enregistrés : 270 000 $ avec différentes échéances

Liquidités compte chèques : 10 000 $

Dettes : 0 $

Des décisions qui coûtent cher

Lorsque Hadi Ajab, planificateur financier indépendant et représentant en épargne collective rattaché à Services en placements PEAK, a jeté un premier regard au cas de France, il s’est dit que la solution était si évidente étant donné qu’elle a les économies nécessaires pour financer son projet qu’il ne voyait pas l’utilité d’en faire un article de journal. Jusqu’à ce qu’il creuse un peu...

D’abord, il a demandé si les placements de France étaient disponibles maintenant. C’est ici que ça se gâte.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Hadi Ajab, planificateur financier indépendant et représentant en épargne collective rattaché à Services en placements PEAK

« France a de nombreux certificats de placement garantis [CPG] avec un total de 55 dates d’échéance, s’étonne-t-il. C’est très difficile à suivre et, surtout, cela fait que la grande majorité de son argent n’est pas disponible pour financer son projet. »

En tenant compte des échéances, il remarque qu’elle devrait attendre au 17 juin 2031 pour avoir suffisamment de liquidités pour rénover sa maison tout en s’offrant un train de vie de 40 000 $ par année. « C’est une aberration à mes yeux, affirme l’expert. Sa stratégie de placement n’est pas du tout adaptée à ses besoins. »

Il voit aussi un enjeu fiscal. « La majorité de ce qu’elle détient dans ses placements non enregistrés est des CPG qui rapportent des intérêts, indique-t-il. Or, les intérêts sont imposables à 100 %. Mais elle détient presque 40 000 $ dans des fonds d’action dans son REER qui donnent un gain en capital imposable à 50 %. Il aurait été plus avantageux d’avoir ces fonds d’action en placements non enregistrés et les CPG dans son REER. »

Hadi Ajab accroche aussi sur le fait qu’elle a demandé sa rente du Régime de rentes du Québec (RRQ) à 60 ans. « Elle est pénalisée de 36 % en raison de cette décision : elle recevrait 1070 $ par mois si elle avait attendu à 65 ans, précise-t-il. Cette différence de 440 $ par mois n’est pas négligeable, d’autant qu’elle n’en avait pas besoin puisqu’elle travaillait à temps partiel à l’époque. Elle n’a pas non plus de problème de santé particulier qui raccourcit son espérance de vie. »

Depuis cette année, il est même possible de reporter la rente du RRQ à 72 ans, ce qui la bonifie de 58,8 % par rapport au montant prévu à 65 ans.

Selon le planificateur financier, ces décisions qui ont été prises montrent que France a été mal conseillée, ou pas conseillée du tout. Heureusement, malgré cela, il y a moyen de réaliser son projet.

L’option d’acheter une nouvelle maison

France semble préférer acheter une nouvelle propriété à 500 000 $. Pour réaliser ce projet, il lui manque 220 000 $ si elle vend sa maison 280 000 $.

« En 2024, elle aura 129 000 $ de disponibles si on regarde ce qu’elle a dans son compte chèques, son CELI et ses placements non enregistrés, indique Hadi Ajab. Une fois l’impôt payé sur la somme retirée, puis environ 20 000 $ en frais de notaire, droits de mutation et dépenses liées au déménagement, puis en allouant des sommes pour atteindre un train de vie de 40 000 $ par année, il lui resterait environ 90 000 $. »

Avec ce qu’elle obtiendrait de la vente de sa maison, on arrive à 370 000 $. Il resterait donc 130 000 $ à aller chercher.

« J’ai demandé à un courtier hypothécaire combien une personne qui gagne 32 760 $ par année peut espérer avoir en prêt hypothécaire si elle a une bonne cote de crédit et aucun autre engagement financier, précise le planificateur financier. C’est seulement 100 000 $. »

Pour obtenir la somme nécessaire, elle devrait augmenter ses revenus. « Elle pourrait y arriver en demandant sa pension de la SV [Sécurité de la vieillesse] qui, reportée d’un an, atteindra 764,70 $ par mois imposables, indique Hadi Ajab. Mais c’est un pensez-y-bien parce que la pension de la SV est bonifiée de 7,2 % chaque année si on la reporte jusqu’à 70 ans. L’hypothèque aura pour sa part un taux d’intérêt d’environ 5 %. »

France devra par la suite considérer le paiement de son prêt hypothécaire dans son coût de vie. « En allant chercher l’aide d’un planificateur financier pour faire un plan de décaissement minutieux, elle pourrait y arriver tout en ayant suffisamment d’actifs jusqu’à la fin de ses jours, indique Hadi Ajab. Une femme en bonne santé de 66 ans a 25 % de chances de vivre jusqu’à 96 ans selon l’Institut de planification financière. »

Il souligne toutefois que déménager demande beaucoup d’énergie, que d’acheter une nouvelle maison vient avec une part d’inconnu et qu’il est aussi possible qu’elle doive y réaliser des travaux. « C’est faisable, mais il y a beaucoup d’éléments, de coûts et de contraintes à considérer », ajoute-t-il.

L’option de rénover sa maison

Le planificateur financier trouve l’option de rénover la maison plus intéressante parce qu’elle est moins coûteuse. Il conseille à France, si possible, de sortir ses placements sur deux ans, soit 2024 et 2025, pour réduire son taux d’imposition. Elle aurait ainsi besoin d’un prêt hypothécaire de seulement 100 000 $, ce qui ne l’obligerait pas à demander sa pension de la SV maintenant.

« Avec cette avenue, elle aurait assez d’argent pour soutenir son train de vie de 40 000 $, se garder un coussin de liquidités, avoir 50 000 $ net pour ses rénovations et payer son prêt hypothécaire en suivant un plan de décaissement qui tient compte de ses besoins et de la fiscalité », affirme Hadi Ajab.

De plus, comme la pension de la SV est bonifiée de 7,2 % par année jusqu’à ce que France atteigne 70 ans et qu’elle est en bonne santé, il lui conseillerait d’attendre avant de la demander. « Cela dépasse largement le rendement espéré de ses placements », remarque le planificateur financier.

Hypothèque inversée

Nous avons pris en considération ici que France a une bonne cote de crédit. Mais si ce n’est pas le cas, ou qu’elle s’est par exemple portée garante d’un emprunt, ou qu’elle loue une voiture, elle ne pourra pas se qualifier pour un prêt hypothécaire de 100 000 $ ou 130 000 $. Il lui resterait donc une option.

« Il s’agit de l’hypothèque inversée, qui a un taux d’intérêt supérieur à celui d’un prêt hypothécaire, indique Hadi Ajab. Comme sa maison est payée et qu’elle a 66 ans, elle pourrait aller chercher 84 000 $ d’un coup. Elle ne serait pas obligée de rembourser ce prêt avant la vente de la maison ou son décès. »

En retirant en plus des placements non enregistrés, elle serait capable de réaliser son projet. « Par contre, c’est une option qui finit par coûter cher, affirme Hadi Ajab. C’est à considérer si elle veut laisser un héritage. »

Mais peu importe ce que France décidera de faire, il insiste sur un point : « Elle doit aller chercher l’aide d’un planificateur financier pour élaborer un plan de décaissement personnalisé afin de réaliser son objectif. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, le prénom utilisé est fictif.

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