On parle abondamment de la situation économique ; le terme « stress financier », il n’y a pas si longtemps inconnu, est entré dans le vocabulaire courant et devenu une préoccupation de bien-être. Malgré cela, l’endettement est toujours un sujet tabou. Pourquoi ?

Le sujet est délicat

Plus que les questions de santé ou de couple, les gens ont de la difficulté à aborder leurs problèmes financiers : 56 % des Canadiens affirment qu’il s’agit du sujet le plus délicat, pour eux, selon le plus récent indice d’accessibilité financière conçu par le cabinet de services-conseils BDO.

Lorsqu’il est carrément question d’endettement, la proportion grimpe à plus de huit Canadiens sur dix (85 %) qui ont du mal à en parler, même avec leurs proches.

Avec un professionnel, le discours n’est pas plus fluide : moins d’un Canadien sur quatre est à l’aise de discuter d’endettement avec un conseiller en crédit.

« Le mot tabou est important », dit Ronald Gagnon, syndic autorisé en insolvabilité chez BDO Montréal. « Quand on pense que les gens sont plus à l’aise de parler de leurs problèmes familiaux ou matrimoniaux ou de leurs ennuis de santé que de parler de leur endettement, poursuit-il, ça démontre à quel point c’est ancré profondément chez les Canadiens et les Québécois. »

On manque de connaissances

La même étude, dont les résultats sont dévoilés ce 6 novembre, précise que les jeunes, âgés de 18 à 34 ans, ont encore plus de mal à aborder le sujet. On estime que leur manque de connaissances en finances personnelles serait un blocage – ça l’est pour l’ensemble des Canadiens, mais particulièrement pour les plus jeunes.

Selon le syndic Ronald Gagnon, moins on en parle, moins on s’instruit. Ce qui mène souvent à des cas où la situation s’aggrave et où les gens endettés consultent les professionnels trop tard, au grand dam des syndics, dit Ronald Gagnon, qui rappelle que ses collègues et lui-même font bien plus que d’accompagner les gens vers la faillite.

Annick Kwetcheu Gamo est présidente de Code F., un OBNL dont le mandat est précisément de démystifier les finances personnelles. Elle précise que la littératie financière va au-delà des connaissances.

« C’est beaucoup plus complexe que ça », dit-elle d’entrée de jeu. Car si c’était simple, avec toutes les ressources disponibles, les gens s’éduqueraient. Or, ils ne le font pas. « La littératie financière comprend trois aspects, dit-elle. Les connaissances, les compétences et la conscience de soi. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Annick Kwetcheu Gamo, présidente de Code F. En ce mois de la littératie financière, cet OBNL de Québec organise un évènement webdiffusé le jeudi 9 novembre, où il sera notamment question du rôle du planificateur financier.

On a honte

Selon l’indice BDO, c’est la peur du jugement qui fait que l’on préfère garder le silence à propos d’une situation financière précaire.

« Beaucoup de personnes se jugent d’abord elles-mêmes et, ainsi, pensent que les autres vont les juger », dit Annick Kwetcheu Gamo, qui précise que cela contribue à nourrir ce sentiment de honte.

« Les gens attribuent leur problème de dettes à un manque de performance, dit-elle. Je ne suis pas bon pour gérer mes finances donc je ne suis pas bon tout court. Ça joue sur l’estime personnelle. »

On est dans le paraître, sur les réseaux sociaux notamment. On va montrer notre richesse, mais rares sont ceux qui montrent qu’ils ne vont pas bien, qu’ils ont des problèmes financiers.

Annick Kwetcheu Gamo, présidente de Code F.

Par contre, lorsque l’on se décide à parler de nos problèmes financiers, la famille passe avant tout.

La moitié des jeunes (de 18 à 34 ans) vont se tourner vers leurs parents. Les Canadiens de 25 à 54 ans vont plutôt se tourner vers leur conjoint – 60 % d’entre eux.

Ça crée un stress

Non seulement parler de nos problèmes financiers est-il difficile, mais ça fait aussi monter un niveau de stress, qui est déjà dans le plafond.

Selon Ronald Gagnon, le stress financier continue de monter comme les taux d’intérêt et la couverture médiatique de cette hausse. « L’augmentation fulgurante des taux d’intérêt depuis un an, un an et demi, a rendu ça très concret », dit-il.

Dans ce ciel gris, un petit bout de bleu local, puisque les Québécois sont en général moins inquiets, précise Ronald Gagnon. Au Québec, tout ça est moins mauvais, précise le syndic. « On stresse moins qu’ailleurs au pays. » Selon lui, le filet social québécois joue pour beaucoup. « Il y en a moins qui s’inquiètent de leur situation financière au Québec », précise Ronald Gagnon, qui ajoute que ceux qui s’en font tout de même s’en font moins, en général.

En savoir plus
  • 54 %
    Part des Canadiens qui ont des dettes qui s’en inquiètent. Et parmi ceux et celles qui s’en inquiètent, 60 % ne veulent pas en parler.
    84 %
    Part des répondants qui disent qu’ils seraient gênés d’avouer à leurs proches qu’ils n’arrivent plus à payer le solde de la carte de crédit ou le loyer. C’est encore plus gênant de dire qu’on n’arrive plus à payer l’épicerie : 86 % auraient de la difficulté à l’admettre.
  • 64 %
    Part des Canadiens âgés de 18 à 34 ans qui avouent être préoccupés par leurs dettes, alors que c’est le cas de 40 % des gens de 55 ans et plus.