L’inflation change notre façon de manger

Les patrons des grands détaillants alimentaires étaient convoqués lundi à Ottawa afin de trouver des stratégies pour freiner la hausse des prix à l’épicerie. Il semble toutefois que les Canadiens aient déjà adapté leurs comportements, puisque l’on achète moins, que l’on suit un budget en faisant les emplettes… et que l’on grignote davantage !

Malgré un budget plus serré, les grignotines trouvent toujours leur place dans les sacs d’épicerie. Le phénomène est observé ici comme ailleurs. Tellement que plutôt que d’analyser les repas pris trois fois par jour, on parle de plus en plus « d’occasions de manger », dit Francis Parisien, vice-président principal, ventes PME Canada, pour Nielsen. Aux États-Unis, cite-t-il en exemple, certains observateurs du comportement alimentaire n’hésitent plus à déconstruire les habitudes établies pour analyser les collations comme faisant partie du rituel quotidien.

Derrière cette donnée, surprenante de prime abord, Francis Parisien voit un signal plus important : le stress fait grignoter. Cet observateur rappelle qu’au début de la pandémie, une partie de la population a pris du poids. Notamment parce qu’on s’alimentait différemment et qu’on a beaucoup grignoté.

L’inflation, particulièrement celle qui touche les aliments, préoccupe les Canadiens, même plus que les autres populations, si on se fie aux sondages menés par Nielsen dans plusieurs marchés internationaux.

C’est au Canada que les consommateurs sont les plus préoccupés par l’inflation alimentaire, et ce, même si certains pays ont vu le prix des aliments et des produits de soins personnels monter beaucoup plus qu’ici – 14 % pour la France et 9 % aux États-Unis, par exemple. L’augmentation pour la catégorie comparable est de 7 % au Canada.

Une autre donnée peut aussi expliquer que les collations, et souvent pas les plus nutritives, soient populaires présentement : il faut s’offrir des plaisirs, même au marché où le budget est compressé. Selon Francis Parisien, la tablette de chocolat est un plaisir encore abordable.

Moins d’aliments

Mais ces « achats plaisirs » ne viennent pas faire bouger cette autre donnée qui se démarque des comportements à l’épicerie : les consommateurs réduisent leurs achats en quantité.

« On n’a jamais vu ça, dit Francis Parisien, qui suit les tendances du marché depuis 24 ans. Et il n’y a pas de transfert vers autre chose. »

La tendance est mondiale : « les gens achètent moins de bouffe ».

« On est habitué à gérer la croissance », dit-il. Or, c’est présentement l’inverse qui se produit. Et ce déclin de la consommation est encore plus frappant si on le couple avec la croissance de la population canadienne, insiste Francis Parisien.

Peu importe le type de commerce, du grand magasin entrepôt au commerce familial du coin, il y a eu une augmentation des prix dans pratiquement toutes les catégories d’aliments et, inversement, une diminution de la quantité achetée.

Cet été, le « ménage moyen » au pays a dépensé près de 1900 $ pour son épicerie et ses produits de consommation achetés en faisant les courses, comme les produits de beauté et de santé. Évidemment, la facture varie selon la taille du foyer.

La moyenne dépensée par visite au magasin est restée stable, tout comme le nombre de visites dans les commerces. « Sauf qu’au mois d’avril, on mettait 10 items dans le panier, maintenant, on en met moins, pour le même prix », explique Francis Parisien.

Ces données calculent les dépenses faites pour 12 semaines, de la fin de mai à la mi-août 2023.

La semaine dernière, Francis Parisien a présenté son bilan de milieu d’année devant les membres du Conseil de la transformation alimentaire du Québec. Sa présentation a suscité de nombreuses questions, particulièrement à propos de cette baisse de consommation.

« On se gratte vraiment la tête pour comprendre comment il se fait que les consommateurs achètent moins », admet Sylvie Cloutier, présidente du Conseil. Elle émet certaines hypothèses. « Est-ce que c’est parce que les gens ont repris l’habitude d’aller au restaurant ? Est-ce que c’est parce qu’ils consomment plus de boîtes repas, ces fameuses boîtes que l’on reçoit pour la semaine ? Est-ce que les gens ont encore des réserves faites pendant la pandémie, de conserves ou de produits secs ? »

Sylvie Cloutier n’hésite pas à qualifier cette situation de mystérieuse, et soulève le paradoxe que les voyages sont en hausse. « On est vraiment consternés devant ces données-là », dit-elle.

Moins de gaspillage

Les hypothèses pour expliquer cette baisse sont multiples.

Assurément, la lutte contre le gaspillage alimentaire explique une partie du déclin, avance Francis Parisien, car les consommateurs qui dépensent beaucoup pour leurs aliments ne veulent pas les jeter à la poubelle.

On planifierait donc plus et mieux. « Il y a une question d’efficacité et de meilleure planification », confirme Francis Parisien.

Autre fait à noter : les consommateurs font et suivent des budgets plus que jamais. Selon les données de Nielsen, 43 % des Canadiens respectent un budget et limitent leurs dépenses.

« Je n’ai jamais vu ça », répète Francis Parisien, qui ajoute que cette donnée oscille habituellement autour de 20 % des consommateurs.

Et pour arriver à joindre les deux bouts, les consommateurs cherchent les bonnes affaires.

Un des moyens d’y arriver, l’achat de marques maison, qui sont très populaires, malgré un ralentissement des ventes à l’été. Plus de la moitié des consommateurs les voient d’un bon œil, considérant qu’elles donnent un bon rapport qualité-prix.

Un autre moyen de réduire la facture : favoriser les enseignes d’épicerie au rabais.

Cet été, ces chaînes ont vu leur clientèle augmenter de 2 %. Pour les magasins de type « à un dollar », c’est une hausse de 9 % qui a été remarquée pour cette période des 12 dernières semaines, selon les observations de Nielsen. À l’inverse, les mêmes analyses notent un déclin des visites à la pharmacie (- 4 %), au magasin d’aliments naturels (- 13 %) et aux supermarchés traditionnels généralistes (- 6 %).

Peu importe la stratégie, les consommateurs sont dans l’action. Selon Francis Parisien, il faut s’attendre à ce que certains changements de comportement durent, puisqu’ils sont efficaces et maintenant intégrés dans la routine.

Quels produits achète-t-on moins ?

Charcuterie : - 10 %
Boissons alcoolisées : - 5 % Cosmétiques : - 5 % Desserts : - 4 % Soins capillaires : - 3 %

La fin des circulaires dans le Publisac

Les circulaires sont encore une importante source d’information pour les consommateurs qui cherchent les aubaines – pratiquement six Canadiens sur dix les consultent intégralement, que ça soit dans une version virtuelle ou papier.

À Montréal, pour certains consommateurs, la disparition du Publisac livré à la maison a eu un impact.

« Je comprends cette décision pour le volet environnemental, mais pour les citoyens, c’est compliqué », dit Benoist de Peyrelongue, directeur général de la Cuisine collective d’Hochelaga-Maisonneuve, qui est particulièrement occupé depuis la flambée des prix alimentaires. En fait, les circulaires sont maintenant inclus dans la publication raddar. Il faudra voir si les consommateurs ont changé leurs habitudes pour y consulter les spéciaux de la semaine.

Benoist de Peyrelongue a vu une nette différence, depuis le printemps, les consommateurs ayant perdu des repères.

Nielsen compte faire une nouvelle étude dans le marché montréalais cet automne afin de voir quel a été l’effet de la disparition du Publisac au printemps dernier.

Appel à tous

Avez-vous changé vos habitudes alimentaires à cause des prix de la nourriture ? De quelle façon ? Êtes-vous satisfaits des résultats ?

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En savoir plus
  • 45 %
    Presque la moitié des consommateurs canadiens, soit 45 %, ont changé leurs façons de faire les courses pour économiser, et le tiers affirme n’acheter désormais que l’essentiel.
    Source : Nielsen
    52 %
    Un Canadien sur deux (52 %) est préoccupé par l’augmentation des prix des aliments. L’augmentation des coûts des services publics et celle des transports arrivent en deuxième et troisième positions des préoccupations budgétaires, mais seulement 15 % des répondants s’en soucient.
    Source : Nielsen
  • 52 %
    La moitié des consommateurs canadiens (52 %) consultent la version numérique des circulaires pour faire des comparaisons sur les prix des produits de grande consommation.
    Source : Nielsen