Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont repris ici le dimanche.

Avril et mai sont les mois les plus populaires pour tenter l’un des exploits les plus exigeants qui soient : grimper le mont Everest.

Alors que j’écris ces lignes, environ 1000 alpinistes essaient de gravir la montagne de 8849 mètres au Népal, un record.

Malgré sa popularité, grimper la plus haute montagne du monde demeure une expérience difficile. Historiquement, seuls 50 % des alpinistes entraînés et motivés qui ont tout mis en place pour gravir la montagne réussissent à atteindre son sommet.

Pour les investisseurs, l’équivalent de grimper l’Everest pourrait être de réussir à choisir des actions qui battent les rendements du marché boursier.

Beaucoup s’y essaient. Peu en reviennent indemnes.

En fait, les chances de succès sur l’Everest sont gigantesques si on les compare aux chances de surpasser les indices boursiers.

L’organisation S&P Global publie chaque année depuis 2002 le rapport S&P Indices Versus Active Funds (SPIVA). Ce rapport mesure la performance des professionnels (les gestionnaires de fonds communs de placement) par rapport à leurs indices de référence, c’est-à-dire la performance des actions du marché canadien, américain, des pays émergents, etc.

Les résultats à long terme sont frappants. Au bout de 5 ans, 84 % des gestionnaires de fonds ont obtenu des résultats inférieurs à ceux de leur indice de référence. Après 10 ans, 90 % ont sous-performé, et après 20 ans, plus de 95 % ont sous-performé.

« Autrement dit, les investisseurs qui épargnent pour leur retraite ont moins de 5 % de chances de simplement égaler le rendement d’un indice de référence passif, même s’ils investissent dans un fonds géré activement par un gestionnaire professionnel », écrivait récemment Sinan Terzioglu, conseiller financier chez Turner Investments (Raymond James) à Toronto.

Si les chiffres sont tellement clairs, pourquoi les investisseurs continuent-ils cette pratique ?

Autour de moi, je remarque que les gens qui sont captivés par l’idée de battre le marché ont souvent l’impression qu’ils n’ont pas le choix.

« J’ai commencé à épargner et à investir assez tard dans ma vie, m’a confié une connaissance récemment. Par rapport aux gens de mon âge, je ne suis pas où je voudrais être. Donc mon but est de rattraper le temps perdu. »

Je ne prends aucun plaisir à l’écrire, mais c’est essentiellement impossible de rattraper le temps perdu en essayant de battre le marché. Je sais que ce n’est pas un conseil excitant, mais si vous n’êtes pas satisfait de la taille de vos placements, le mieux est de diminuer vos dépenses et d’augmenter votre épargne et votre investissement – peu importe votre âge.

D’autres investisseurs veulent tout simplement profiter des entreprises du moment. Il y a quelques années, la mode était aux actions d’entreprises de cannabis. Durant la pandémie, les actions d’entreprises comme Zoom et Peloton semblaient être des choix évidents. Plus récemment, Nio, Lion Électrique et Lightspeed étaient pressenties pour enrichir leurs actionnaires visionnaires.

Ceux qui ont acheté les actions de ces entreprises ont compris la leçon : le marché boursier ne nous « doit » rien. Le marché prend nos dollars et nous donne de l’humilité en retour ; on le paye pour qu’il dégonfle notre ego.

Des entreprises battent-elles le marché ? Bien sûr que oui. Elles sont très faciles à identifier... après coup.

À ce sujet, notre cerveau est très bon pour romancer l’histoire. Apple, l’action que tous les investisseurs auraient aimé avoir en portefeuille, n’est un choix évident qu’avec le recul. Apple a perdu près de 60 % de sa valeur durant la grande récession de 2008, quand pratiquement personne n’était certain que les États-Unis allaient survivre à la crise.

Durant la même période, l’action de la banque canadienne RBC a perdu 50 % de sa valeur dans une lente érosion, jour après jour, pendant près de deux ans, tandis que le taux de chômage frôlait les 10 % au Canada et aux États-Unis, et que l’appétit pour investir était au plus bas.

Aujourd’hui, on sait comment le film se termine. Mais dans le feu de l’action, on n’a aucune certitude. Peu de gens peuvent subir des chutes de 60 % sans capituler, tout comme peu de gens sont prêts à engloutir leur chèque de paye dans une entreprise qui perd de la valeur presque sans relâche depuis 500 jours ouvrables.

Finalement, bien des gens essaient de battre le marché tout simplement parce qu’ils croient que c’est comme ça qu’on s’enrichit.

C’est un piège : ce sont les intérêts composés qui nous enrichissent, pas les rendements excitants d’une année, ou même de plusieurs années si nous sommes chanceux.

Un investisseur qui obtient le rendement « moyen » du marché pendant des décennies ne connaît pas un enrichissement « moyen » : il écrase pratiquement tout le monde. Comme je le mentionnais précédemment, cet investisseur aurait battu les rendements de 95 % des pros depuis 20 ans.

Imaginez : rejoindre les rangs de Michael Jordan ou de Tiger Woods sans lever le petit doigt. Impossible, dans la vraie vie. En investissement, c’est non seulement possible, mais c’est courant.

Ainsi, 100 $ investis théoriquement chaque mois depuis 50 ans dans un portefeuille de fonds indiciels selon la formule 60 % actions canadiennes, américaines et internationales, et 40 % obligations, donnent 1 million de dollars aujourd’hui, selon les calculs de Justin Bender, de la firme PWL Capital1. Dans sa pire année, un tel portefeuille a perdu le quart de sa valeur.

Pas besoin d’être génie ou visionnaire pour transformer 100 $ par mois en 1 million. Seulement d’arrêter de vouloir battre le marché.

Lu cette semaine :

« Dans 20 ans, les seules personnes qui vont se rappeler que vous travailliez tard et ratiez les soupers familiaux sont vos enfants. »

La question de la semaine

Essayez-vous (ou avez-vous déjà essayé) de battre le marché ?

Écrivez à Nicolas Bérubé
1. Consultez le document de PWL Capital (en anglais) Recevez en primeur chaque mardi l’infolettre L’argent et le bonheur