Lucille* a 87 ans et elle quitte sa RPA pour aller vivre chez son fils. Quelle pension devrait-elle lui verser ? Quels seront les impacts fiscaux ?

La question

Après deux pneumonies, une chute et trois hospitalisations, ça suffisait : Lucille, âgée de 87 ans, a décidé de quitter son logement subventionné en résidence privée pour aînés (RPA).

« Elle est veuve depuis un an », raconte son fils Julien. « Mon père est décédé en novembre de l’année passée, en 2021. C’était tout nouveau pour elle de se retrouver toute seule dans un appartement. »

Sa dernière chute a fait tomber la décision.

« Elle veut aller vivre chez mon frère, qui est prêt à l’accueillir depuis plusieurs années. »

Le frère de Julien est télétravailleur à temps plein. « Il peut jeter un coup d’œil sur ma mère. Il habite avec son conjoint dans la maison. »

Lucille occuperait une chambre. Elle pourrait utiliser la cuisine commune, mais elle partagerait vraisemblablement la plupart des repas avec eux.

« Ils auraient la même adresse. Ce n’est pas une maison bigénérationnelle. »

Elle veut payer une pension à son fils, mais elle ignore combien elle devrait verser.

« Je lui ai dit : il faudrait savoir si tu perds des avantages à aller habiter chez ton fils par rapport à d’autres endroits. »

Les questions s’accumulent : a-t-elle droit à des crédits pour maintien à domicile ? Faut-il que son fils lui facture des services ? Lui-même peut-il obtenir des dédommagements ? Doit-il déclarer la pension que lui versera sa mère ?

« On se demande quelles sont les choses auxquelles penser, poursuit-il. On essayait de comprendre et je n’ai pas trouvé tous les renseignements que je cherchais sur l’internet. »

Lucille habitait jusqu’ici un logement dans une RPA de 80 logements gérée par un OSBL d’habitation. « Avec mon père, elle payait 730 $ », indique Julien.

Depuis qu’elle est veuve et l’occupe seule, le logement de trois pièces est devenu subventionné et le loyer a été réduit à 500 $ par mois. Cinq soupers lui sont servis par semaine, pour un supplément d’environ 250 $ par mois.

« Aucun service hormis les repas le soir, précise-t-il. Il y a des activités, mais pas de services médicaux. »

Son fils, qui a rempli les déclarations de revenus de ses parents, relève que Lucille a touché 7400 $ de pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et 1400 $ du Régime des rentes du Québec (RRQ) en 2021.

Son mari a touché 6800 $ en PSV et 12 000 $ en RRQ jusqu’à son décès survenu en novembre 2021. « J’imagine que ma mère reçoit la moitié de ça », indique Julien.

Lucille détient environ 50 000 $ en compte d’épargne libre d’impôt (CELI) – ses seules économies.

Quelles seront les répercussions de ce déménagement ?

En chiffres

Les revenus de Lucille*, 87 ans, en 2021 :

  • PSV : 7500 $
  • RRQ : 1400 $

Les revenus de son mari en 2021 (décès à la fin de 2021) :

  • RRQ : 12 000 $
  • PSV : 6800 $

Ses épargnes :

  • CELI : 50 000 $

La réponse

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine et gestionnaire de portefeuille au sein de l’équipe Hainault-Harvey-Simard, chez FDP

Avant toute considération financière ou fiscale, une telle décision est « davantage axée sur le bien-être de la personne », formule le planificateur financier Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine et gestionnaire de portefeuille au sein de l’équipe Hainault-Harvey-Simard, chez FDP.

« Il faut s’assurer que tous y trouvent leur compte », dit-il. Et il ne parle pas ici de compte REER.

Plusieurs points doivent être précisés au préalable, pour éviter que de petites frictions dégénèrent en heurts, puis en acrimonie. Il en énumère quelques-uns.

  • Quels sont les espaces communs et privés ?
  • Comment s’organiser lorsque l’un ou l’autre a des invités ?
  • Comment seront partagées les petites tâches ménagères (le lavage des vêtements de Lucille, par exemple) ?
  • Quel est le plan en cas de perte d’autonomie de Lucille ?
  • Qu’arrive-t-il si des changements surviennent dans la situation financière ou personnelle de son fils ?

Les revenus

« La capacité de payer de Lucille est plutôt limitée », observe Raphaël Haineault.

Ses revenus se limitent à la rente du RRQ et à la prestation de la Sécurité de la vieillesse.

À la suite de la mort de son mari, elle touche la rente de conjoint survivant du RRQ, qui s’ajoute à sa propre rente de 1400 $ par année.

La rente combinée est le maximum entre deux calculs :

  • sa rente (1400 $) plus 37,5 % de la rente du défunt, estimée ici à 12 000 $, pour un total de 5900 $ ;
  • ou 60 % de sa rente plus 60 % de la rente de son conjoint, soit 8040 $.

L’indexation de 6,5 % prévue en 2023 ajustera ce dernier résultat à 8563 $.

Avec la récente majoration pour les citoyens canadiens de 75 ans, la prestation de la Sécurité de la vieillesse de Lucille se fixera à 9076 $ en 2023.

La PSV du défunt n’est pas transférée au conjoint survivant. Toutefois, sur la base de ses autres revenus, essentiellement composés de la rente combinée du RRQ, Lucille aura droit au Supplément de revenu garanti (SRG), que notre planificateur estime à 6420 $.

Ses revenus s’élèveront ainsi à quelque 24 060 $, mais son revenu imposable, dont le SRG est exclu, s’établit plutôt à 17 639 $.

Il franchit légèrement les seuils minimaux d’imposition provinciale et fédérale, mais les divers crédits auxquels Lucille a droit devraient pratiquement réduire à néant tout impôt à payer.

Elle devra toutefois verser une cotisation à l’assurance médicaments estimée à 523 $, ce qui ramène ses revenus nets à 23 536 $.

Aux fins de son calcul, notre planificateur étale jusqu’à l’âge de 100 ans les retraits dans le CELI de Lucille. En négligeant le rendement, il ajoute ainsi 3846 $ au budget annuel de Lucille, pour un total de 27 382 $, ou 2282 $ par mois.

Sa contribution au logement

Quelle contribution Lucille devrait-elle apporter aux frais de logement chez son fils ?

Pour établir une base de réflexion, Raphaël Hainault rappelle que « le logement ne devrait pas normalement dépasser 35 % du budget d’une personne ».

Sur un budget mensuel de 2282 $, le montant maximal est ainsi fixé à 798 $ par mois.

Il faut y ajouter une contribution aux autres dépenses (alimentation, électricité, divertissement, etc.) : notre planificateur suggère une part équivalant à 20 % de ses revenus, soit 456 $ par mois, pour un loyer maximal de 1254 $.

Lucille conserve ainsi environ 1030 $ par mois pour ses dépenses personnelles.

« Si Lucille ne désire pas toucher à son CELI pour conserver un coussin financier, le loyer serait alors de 933 $ », précise Raphaël Hainault.

Il s’agit là d’une plateforme de discussion entre la mère et le fils, le principe consistant à convenir d’« un loyer qui permet au fils de ne pas “financer” l’hébergement de sa mère », formule-t-il.

Du point de vue fiscal

Le calcul pourrait également s’appuyer sur le coût réel, avec une proportion des dépenses de logement (hypothèque, impôts fonciers, entretien, assurances, télécommunications…) basée sur le pourcentage d’occupation et d’utilisation des lieux. Lucille paierait également sa juste part de l’alimentation.

Dans une formule informelle de contribution aux dépenses, les paiements effectués par Lucille ne seraient pas imposables pour le fils. Par contre, celui-ci ne pourrait pas déduire les frais engagés pour héberger sa mère « puisqu’il n’y a pas réellement de location », informe Raphaël Hainault.

Toutefois, « cette avenue est peu compliquée », fait-il valoir.

Dans une autre avenue, le fils pourrait plutôt établir un bail officiel et demander un loyer fixe, revenu imposable duquel il pourra alors déduire les frais reliés à cette location : un pourcentage des impôts fonciers, de l’électricité, etc.

« Il est à noter que si ce loyer est inférieur à la valeur marchande, le fils ne sera pas en mesure de déclarer des pertes de location puisque ce loyer de faveur sera fait à une personne qu’il connaît », souligne le planificateur, avant d’ajouter : « J’opterais certainement pour la première option pour faciliter le tout. »

L’impact sur les crédits

En habitant chez son fils, Lucille perd le crédit pour personne seule, mais puisque ce crédit est non remboursable et que Lucille ne paie à peu près pas d’impôt, la perte est pratiquement nulle.

« L’autre crédit perdu sera celui pour maintien à domicile, puisqu’elle ne sera plus réellement locataire ou propriétaire », soulève le planificateur.

Son loyer actuel lui procurait un crédit qui n’excédait probablement pas 1000 $ par année, évalue-t-il. Il s’agit cette fois d’une perte sèche…

Par contre, son fils aura droit de son côté à un crédit d’impôt pour personne aidante, qui lui permettrait d’économiser 1266 $ d’impôt au Québec.

Aucun obstacle financier ne se dresse devant le projet, conclut le planificateur.

« C’est davantage l’aspect humain qui revêt ici une importance capitale : il faut s’assurer de la sécurité et du bien-être de Lucille tout en s’assurant que cela ne nuise pas à la qualité de vie de son fils. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.