Ils sont séparés par l’âge, la retraite et la distance de leurs propriétés respectives. Comment peuvent-ils se rejoindre et réaliser leur projet : ne pas voyager ?

La situation

« Comment faire pour que ma conjointe vienne me rejoindre en campagne le plus vite possible pour être à la retraite ensemble ? », demande Jocelyn*.

Il a 58 ans et prévoit prendre sa retraite d’ici un an et demi, à 60 ans au plus tard.

Sa conjointe Lucie*, âgée de 53 ans, pourrait prendre la sienne sans réduction à 60 ans, mais elle aimerait pouvoir le rejoindre plus tôt.

Le rejoindre à la retraite et dans la maison qu’il a construite en Estrie.

Car là réside leur dilemme : tant qu’elle travaille dans la région de Montréal, elle ne peut quitter leur maison de la Rive-Sud et s’installer à demeure avec lui en Estrie. « Si j’arrête de travailler, on ne peut pas avoir deux maisons », énonce Jocelyn.

Mais si Lucie part plus tôt à la retraite, elle ampute son régime de retraite.

Elle travaille depuis 15 ans dans le secteur de la santé, où elle touche un salaire de 45 000 $. À 60 ans, elle recevrait une rente de 6300 $ par année.

Notre homme est travailleur dans la construction, avec un revenu d’environ 87 000 $. Le régime de retraite de la Commission de la construction du Québec, auquel il contribue depuis le début de sa carrière, lui procurera des rentes totalisant 42 000 $ par année de 60 à 70 ans, puis 33 500 $ ensuite.

Jocelyn et Lucie sont ensemble depuis 25 ans. « On est un couple formé sur l’internet », confie Jocelyn.

Elle était mère seule de trois enfants. Il n’en avait aucun. « Je les ai pris sous mon aile et avec le temps, je les ai considérés comme mes enfants », lance-t-il en rigolant.

Il a vendu la maison qu’il possédait dans la couronne nord pour aménager dans celle de Lucie sur la Rive-Sud. « Vu que je n’avais pas d’enfant, ça m’a permis d’investir un peu dans la maison familiale. »

Il y a 10 ans, il a acheté un bout de terre en Estrie, sur laquelle il a lentement construit la maison où il veut prendre sa retraite.

Les chiffres

Jocelyn, 58 ans

Salaire : 87 000 $
Rente de retraite :
Compte principal :
2600 $/mois à vie
Compte complémentaire : 896 $/mois jusqu’à 70 ans, 196 $/mois à partir de 70 ans
RRQ : 760 $/mois à 60 ans ou 999 $/mois à 65 ans
REER : 80 000 $
CELI : 18 000 $
Maison de campagne en Estrie : 400 000 $, sans hypothèque

Lucie, 53 ans

Salaire : 45 000 $
Pension : 525 $/mois à 60 ans
RRQ : 577 $ à 60 ans ou 917 $ à 65 ans
REER : 25 000 $
CELI : 8000 $
Héritage : 60 000 $
Chalet reçu en héritage : 300 000 $, sans hypothèque
Maison sur la Rive-Sud : valeur de 450 000 $
Solde hypothécaire : 150 000 $
Marge de crédit : 24 000 $ 

À l’heure actuelle, il évalue le coût de vie du couple à environ 72 000 $. « Les seules dépenses qu’on fait, c’est les restaurants et la visite qu’on reçoit. »

Avec une maison en moins, il estime que le budget de retraite avoisinerait 48 000 $. Leurs projets : ne pas voyager.

« On n’est pas des “voyageux”, dit-il. Elle a une peur bleue des avions, ce qui fait qu’on n’a jamais voyagé. Et je ne vois pas pourquoi on voyagerait à notre retraite. »

Malgré tout, ils ne veulent pas qu’un budget trop étriqué restreigne leurs sorties. « On ne veut pas être enfermés dans la maison. »

La solution réside en partie dans la somme de 60 000 $ et le chalet que les parents de Lucie, morts récemment, lui ont légués.

« Elle aimerait prendre sa retraite avant 60 ans, mais sa pension serait moindre, explique-t-il. Elle voudrait compenser avec le chalet et le montant qu’elle a reçu de ses parents. Est-ce qu’on met le chalet en location ? Ça lui permettrait de se faire un salaire jusqu’à 60 ans, puis de vendre le chalet. C’est ce qu’on se demande. »

« Nous, ce qu’on cherche, c’est s’en aller en campagne le plus vite possible. »

Comment en prendre le chemin ?

La réponse

« Il n’y a pas de doute, en choisissant de prendre une retraite hâtive, Lucie sacrifiera une portion importante de sa rente de retraite », confirme le planificateur financier Benoit Chaurette, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale gestion privée 1859.

Dans le cas de Lucie, qui semble compter 15 ans de service pour le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP), cette réduction équivaut à 0,5 % pour chaque mois entre son départ à la retraite et son 61e anniversaire (soit 6 % par année).

En prenant sa retraite le jour de son 55anniversaire, Lucie voit déjà sa rente amputée de 36 %. Mais cette rente est également calculée sur la base du nombre d’années de service.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Benoit Chaurette, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale gestion privée 1859

« En travaillant moins longtemps, moins d’années seront reconnues pour le calcul de rente de retraite », note le planificateur.

Selon les chiffres que Jocelyn a fournis, Lucie aurait touché à 60 ans une rente de 6300 $ par année. Compte tenu de l’incertitude qui entoure ces éléments, notre conseiller estime que Lucie verrait sa rente amputée d’environ la moitié, soit d’un peu plus de 3000 $. « Ce n’est pas un si gros montant, si on regarde l’ensemble des données », dit-il.

En effet, ses revenus de retraite s’appuieront principalement sur ses actifs.

Moins de propriétés

La vente de la maison de la Rive-Sud laisserait un capital d’environ 300 000 $ après le remboursement du solde hypothécaire.

Le chalet hérité par Lucie vaut approximativement 300 000 $. Elle hésite entre le louer et le vendre.

Bien malin celui qui peut prédire ce qui est le plus profitable entre réaliser un rendement sur la location du chalet ou sur un investissement. Dans les deux cas, il y a beaucoup d’inconnus.

Benoit Chaurette, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale gestion privée 1859

Pour simplifier ses calculs (et la vie de Lucie), il suppose que le chalet et la propriété de la Rive-Sud seront vendus dès que Lucie entamera sa retraite.

Cependant, Lucie pourrait dès maintenant rembourser sa marge de crédit avec une partie de la somme reçue en héritage, suggère le planificateur.

Répartition et optimisation

Le reste de l’héritage et le produit de la vente des propriétés servent d’abord à combler les comptes d’épargne libre d’impôt (CELI) de Jocelyn et Lucie de manière à optimiser les bénéfices fiscaux.

« Dans les premières années de retraite, on va chercher principalement l’argent dans le compte de madame et on reporte le décaissement des REER [régimes enregistrés d’épargne-retraite] et des CELI », indique notre conseiller. Ce déséquilibre apparent est en partie contrebalancé par la rente de retraite plus élevée de Jocelyn.

On ignore toutefois comment les deux conjoints de fait se séparent leurs revenus et dépenses. « Il faut voir si le couple est d’accord d’aller jusque-là. On suppose qu’il y aura peut-être une forme de don ou de prêt entre les conjoints pour permettre à l’autre d’optimiser son CELI. »

Pour les besoins de son calcul, il fait intervenir les rentes gouvernementales (pension de la Sécurité de la vieillesse, PSV, et Régime de rentes du Québec, RRQ) à 65 ans, mais selon la situation et l’état de santé du couple, elles pourront être reportées pour les bonifier.

Coût de vie et inflation

Lucie peut-elle cesser de travailler à 55 ans ?

Benoit Chaurette a fait le calcul sur la base de leur coût de vie actuel de 72 000 $ plutôt que sur le budget restreint de 48 000 $ avancé par Jocelyn.

« J’ai été très prudent dans mon approche, explique notre conseiller. Je voulais voir s’il était possible de rester dans ce niveau de confort. »

Il suppose un rendement de 4 % et il utilise le taux d’inflation de 2,1 % recommandé par l’Institut québécois de planification financière dans ses plus récentes normes de projection.

Certains se surprendront d’une inflation aussi basse. Mais il s’agit du taux moyen sur la durée de la projection : Lucie a une chance sur quatre d’être encore en vie dans 44 ans.

« Si j’utilisais 5 % d’inflation, je ne pourrais pas utiliser 4 % de rendement, indique-t-il. Ce serait un peu illogique. Avec les rendements, on devrait avoir une prime de risque. Ils devraient faire mieux que l’inflation. »

« Sinon, il n’y a pas de valeur à acheter des investissements, et on va plutôt acheter des cannes de tomates, ça va être plus rentable », ajoute-t-il à la blague.

Dans ces conditions — avec des investissements, pas des tomates –, il estime que les épargnes du couple sont encore substantielles à 96 ans. « Il y a encore beaucoup de marges de manœuvre », prononce-t-il.

Prévoir le pire

« Prendre une retraite dans deux ans et partir vivre à la campagne est un plan très réaliste, constate Benoit Chaurette. À condition bien sûr que le couple demeure uni. Une séparation pourrait rendre le projet plus difficile, sans pour autant dire que cette éventualité signifierait un retour au travail. »

La même incertitude entoure une éventuelle mort. « Une part des actifs de Lucie ira-t-elle à Jocelyn advenant la mort de Lucie ou l’ensemble de ses biens retournera-t-il à ses enfants ? »

Il recommande au couple de consulter un notaire et de rédiger des testaments et une convention de vie commune « qui définirait les droits, obligations et responsabilités de chacun ».

Car la retraite ne doit pas seulement être confortable : elle doit être sereine.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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