Nous ne sommes pas dans une période qui donne envie de lancer notre argent par les fenêtres. Et ça tombe bien, car dépenser pour rien ne nous rend pas plus heureux. Bien au contraire.

Deux chercheurs québécois se sont demandé quelles étaient nos motivations pour gagner et dépenser notre argent et comment cela affectait notre bien-être. Car les motifs qui nous incitent à acheter un vêtement ou à nous inscrire à un cours de yoga vont sérieusement influencer la satisfaction et le bonheur que la dépense nous apportera, finalement.

« C’est la qualité du “pourquoi je veux faire de l’argent” et la qualité du “pourquoi je dépense” », explique le psychologue Jacques Forest, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM). « Si tu demandes à quelqu’un en marketing, il va dire que n’importe quelle dépense est bonne. Que tu achètes un produit, une expérience. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le psychologue Jacques Forest

Or la recherche qu’il a menée avec la psychologue Lara Manganelli lui a permis de conclure que les dépenses qui contribuent à notre épanouissement personnel, celles pour nos loisirs ou pour aider les autres, ont plus de chances de nous rendre heureux.

La littérature scientifique existante sur le sujet, sur laquelle se sont basés les chercheurs, avait déjà établi que si l’argent nous permet de nous sortir de la pauvreté, on a plus de chances d’être heureux, ou à tout le moins bien, au quotidien.

Une fois que les besoins de base sont comblés, la façon dont on dépense peut influencer grandement notre bien-être, à condition d’en prendre conscience.

Si les gens prennent conscience que ça n’est pas n’importe quoi qui est aussi rentable psychologiquement, déjà là, on a une grande longueur d’avance.

Jacques Forest, psychologue et professeur à l’ESG UQAM

À l’inverse, dépenser pour combler un sentiment d’insécurité a pas mal moins de chances de nous combler.

Les gens matérialistes, qui investissent dans des choses pour se donner une certaine image, sont moins satisfaits de leur vie et sont en moins bonne forme physique et mentale. Ils sont plus impulsifs dans leurs achats et plus à risque d’accumuler des dettes. Ceci expliquant peut-être cela, le matérialisme est également associé à une faible estime de soi.

Mais il ne faut pas penser que donner pour la réfection d’une église est un billet pour une joie réelle alors que l’achat d’une voiture de luxe pour impressionner la galerie mène tout droit au malheur.

L’être humain est plus complexe que cela.

Des comportements matérialistes peuvent mener à un mieux-être, par exemple si on dépense pour un bien qui vise à contribuer à un grand projet de vie.

À l’inverse, des comportements en apparence altruistes n’auront pas le même effet si le but (conscient ou inconscient) est de tout afficher sur les réseaux sociaux pour redorer son image.

« Si on le fait pour calmer son insécurité et flasher devant les autres, ça ne sera pas nourrissant psychologiquement », confirme Jacques Forest.

Un mal qui se soigne

La très bonne nouvelle est que l’on peut changer son comportement de dépense et le rendre plus favorable à un mieux-être.

Comment, docteur ?

« Des gens sont matérialistes et ils ne le savent même pas, dit Jacques Forest. La première étape est la prise de conscience. »

Selon Lara Maganelli, qui a mené ses recherches alors qu’elle préparait sa thèse de doctorat à l’UQAM sous la supervision du professeur Forest, on ne prend pas le temps de se poser des questions avant de dépenser. Ses travaux proposaient aux participants des façons plus saines de dépenser s’ils n’en avaient pas. Le résultat était prometteur.

Ça n’est pas immuable. Quelqu’un pourrait dire qu’il a toujours été dépensier et que c’est comme ça. Mais tu peux apprendre à modifier tes motifs et avoir une relation plus saine à l’argent.

Jacques Forest, psychologue et professeur à l’ESG UQAM

Au départ, le duo de chercheurs voulait savoir ce qui nous pousse à travailler pour gagner de l’argent et comment cela a une influence sur notre bien-être. Sa première étude a été publiée en 2020 et la seconde, cette année.

La littérature scientifique sur la psychologie de l’argent conclut d’ailleurs que les revenus supplémentaires ont peu de conséquences sur la plénitude. Plus on a des revenus importants, moins l’entrée d’argent supplémentaire est significative dans le budget et sur notre bien-être.

« Je suis tanné d’entendre des économistes dire que plus on a d’argent, mieux c’est, lance Jacques Forest. Ça n’est pas vrai ! »

En 2018, une étude publiée dans la revue Nature Human Behavior allait même jusqu’à définir un seuil de salaire du bonheur : au-delà de 75 000 $ annuels, les revenus additionnels ont peu d’effet sur le bien-être. Et parmi les raisons de travailler qui nous comblent le plus, on retrouve le besoin de soutenir sa famille, avoir le sentiment du devoir accompli, redonner aux autres et s’offrir des loisirs.