Bien des parents sont heureux de constater qu’ils ont suffisamment économisé au courant de leur vie active pour être en mesure de donner une bonne somme en héritage à leur progéniture. C’est encore plus vrai lorsqu’ils savent que leurs enfants en ont vraiment besoin. Mais comment éviter qu’une grande partie s’envole en impôts ?

La situation

Alain et Nicole* ont tous deux 61 ans, sont en bonne santé et profitent de leur retraite depuis cinq ans. Mariés depuis 38 ans, ils ont accumulé des actifs tout au long de leur vie et souhaitent que leur enfant, chef de famille monoparentale, en bénéficie le plus possible.

Alors que leurs économies sont principalement dans des comptes enregistrés – régime enregistré d’épargne-retraite (REER), compte de retraite immobilisé (CRI), fonds de revenu viager (FRV) –, les sommes retirées sont imposables, et ce qu’il y restera au moment de leur décès le sera aussi. Ils n’ont toutefois jamais cotisé à leur compte d’épargne libre d’impôt (CELI), dont les retraits ne sont pas imposables.

« Serait-il préférable de maximiser nos CELI sur une période de 10 ans en retirant des REER, ou faire des retraits dans notre REER annuellement pour le donner directement à notre enfant pour qu’il le prenne pour payer son hypothèque ? », demande Alain.

Les chiffres

Alain et Nicole, 61 ans

  • Somme annuelle nécessaire pour combler tous leurs besoins : 70 000 $ net
  • Condominium payé : valeur de 450 000 $
  • Voiture payée : valeur de 50 000 $
  • Fonds de pension : 60 000 $ brut
  • RRQ : 18 000 $ brut
  • Compte courant : 50 000 $
  • REER, CRI, FRV : 190 000 $ en certificats de placement garanti (CPG), 114 000 $ dans un fonds de travailleurs, 316 000 $ en actions, dont 260 000 $ dans deux sociétés ferroviaires canadiennes, pour un total de 620 000 $
  • Montant retiré annuellement des REER, CRI, FRV depuis le début de leur retraite : 20 000 $

La solution

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Simon Préfontaine, planificateur financier chez Lafond Services Financiers

Ce type de questionnement par rapport à l’impôt à payer au décès est de plus en plus fréquent, réalise Simon Préfontaine, planificateur financier chez Lafond Services Financiers. Pour prendre une décision éclairée, il est essentiel de faire un plan de retraite afin d’évaluer le surplus qui pourra être légué.

« Qu’arrivera-t-il si le couple commence à donner de l’argent chaque année à son enfant, mais qu’il a mal planifié ses affaires et qu’il finit par en manquer ? Va-t-il lui demander de leur redonner de l’argent ? Cela risquerait de créer un malaise, et en plus, peut-être que cet argent ne serait plus disponible. »

Pour Simon Préfontaine, il est donc primordial de réaliser un plan de retraite qui comprend aussi de l’espace pour les imprévus.

Évaluer ses besoins en se laissant du jeu

Considérant les rentes du fonds de pension (60 000 $), du RRQ (18 000 $) et les 20 000 $ sortis des économies, Alain et Nicole vivent actuellement avec 98 000 $ brut par année. Avec le fractionnement du revenu, ils payent environ 20 000 $ en impôts. Il leur reste donc 78 000 $ pour vivre, alors qu’ils indiquent que leur train de vie est de 70 000 $.

Simon Préfontaine invite le couple à réévaluer le montant total de ses dépenses en se laissant du jeu.

Ont-ils pensé aux cadeaux, aux voyages, aux petits travaux et aux rénovations dans le condo ? Ont-ils pris en considération que les frais de condo augmentent souvent davantage que l’inflation et qu’ils peuvent aussi avoir à payer des cotisations spéciales ?

Simon Préfontaine, planificateur financier chez Lafond Services Financiers

Puis, il y a la voiture. « Elle est payée actuellement, mais le couple a seulement 61 ans, alors il a le temps de changer deux ou trois fois de voiture et devra piger dans ses économies », ajoute-t-il.

Rééquilibrer le portefeuille

En regardant la composition du portefeuille du couple, Simon Préfontaine est préoccupé. « Il y a 190 000 $ en CPG, un type de placement qui ne prend aucun risque, donc qui donne très peu de rendement et qui n’offre pas de flexibilité pour les retraits. »

Puis, la plus grande partie de son portefeuille (316 000 $) est dans des actions, dont 260 000 $ dans deux sociétés ferroviaires canadiennes, ce qui donne un portefeuille non diversifié sectoriellement et géographiquement.

« Probablement que ces entreprises ont été des employeurs pour le couple, ce qui fait qu’il a reçu toutes ces actions, explique-t-il. Leur représentant en épargne collective pourrait réduire la volatilité de leur portefeuille et augmenter les rendements en allant vers un portefeuille plus équilibré et diversifié qui éliminera aussi les problèmes d’encaissement des CPG. »

Combien donner à son enfant ?

Simon Préfontaine a réalisé une projection à la retraite avec les chiffres fournis par le couple. Il en conclut, en considérant l’inflation et en prenant un taux de rendement moyen de 4 %, que le couple pourrait avoir un train de vie annuel net de 83 000 $ si Alain atteint 94 ans et Nicole 96 ans (ils ont 25 % de chances d’atteindre ces âges, selon les normes de l’Institut québécois de la planification financière.)

Si leur taux de rendement moyen est de 5 %, ils pourraient avoir un train de vie net de 87 000 $ par année. Mais s’il est de 3 %, ce serait seulement 79 000 $. « C’est très près de leur coût de vie actuel, donc il en resterait peu pour l’héritage, d’où l’importance de revoir leur portefeuille », affirme Simon Préfontaine.

Sortir des sommes des comptes enregistrés

Le couple pourrait donc, s’il a un taux de rendement moyen de 4 ou 5 % pour ses placements, se permettre de sortir davantage d’argent dans ses comptes enregistrés pour réduire la facture fiscale de sa succession. De plus, Alain et Nicole ont un élément qui joue en leur faveur : ils ont seulement 61 ans. Ils ont donc le temps de sortir de l’argent de leur REER pour l’investir dans leur CELI avant 64 ans, soit l’année où le revenu est pris en considération pour calculer la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) versée dès 65 ans.

« Alain et Nicole ont actuellement un taux d’imposition marginal de 37,12 % et ils peuvent avoir jusqu’à 90 200 $ chacun comme revenu pour garder le même taux d’imposition. Ils pourraient donc en profiter dès maintenant pour sortir 29 000 $ chacun par année de leurs comptes enregistrés afin de maximiser leurs CELI dont la cotisation maximale atteindra 87 500 $ en 2023. »

Mais ils doivent faire vite, parce que s’ils attendent à janvier prochain, il leur restera seulement deux ans avant d’atteindre 64 ans.

Payer autant d’impôts en quelques années peut quand même être un choix difficile à faire. « Mais si le couple meurt prématurément et laisse une grosse somme en héritage à son enfant, le taux d’imposition sera beaucoup plus élevé, affirme M. Préfontaine. Et s’il continue à sortir graduellement ce qu’il a dans ses comptes enregistrés, le couple aura le même taux d’imposition que s’il en sort plus pour maximiser ses CELI. »

CELI, hypothèque ou assurance vie ?

Pour Simon Préfontaine, il est évident que pour le couple, réinvestir les sommes retirées des comptes enregistrés dans les CELI est l’option la plus avantageuse financièrement à long terme. Ainsi, cet argent continuera à croître à l’abri de l’impôt.

De plus, il évalue que prendre ces sommes pour aider l’enfant à rembourser son hypothèque est discutable.

Financièrement, ce n’est pas une bonne décision, parce que c’est de l’argent qu’on sort de placements qui ont du rendement, puis on paye de l’impôt dessus, pour finalement rembourser un prêt à environ 2 % seulement d’intérêt.

Simon Préfontaine, planificateur financier chez Lafond Services Financiers

« Mais, d’un point de vue émotif, poursuit-il, je comprends que cela permet d’aider tout de suite son enfant et que c’est plus acceptable que l’argent donné serve à rembourser l’hypothèque plutôt qu’à faire n’importe quoi. »

Et si le couple décidait de prendre à la place avec ses surplus une assurance vie avec son enfant comme bénéficiaire ? « Ils sont en bonne santé, donc à première vue, cela m’apparaît être une bonne idée puisque le montant reçu par le bénéficiaire ne sera pas imposable, affirme Simon Préfontaine. Le couple devrait en discuter avec son planificateur financier pour voir si c’est vraiment une bonne stratégie considérant tous les détails de sa situation. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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