Le courtier accusé d’avoir acquis des données confidentielles sur « 150 000 à 200 000 » clients de Desjardins assure qu’il ne s’est jamais douté que ces informations pouvaient provenir du vol massif de données qu’avait subi l’institution financière.

Mathieu Joncas témoignait jeudi devant le comité de discipline de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ). Il a dû expliquer dans quelles circonstances il avait acheté cette liste de Jean-Loup Leullier-Masse, l’un des principaux suspects dans l’enquête sur le vol des renseignements de millions de clients de Desjardins.

Les deux hommes d’affaires travaillaient dans les mêmes bureaux. À partir de 2016, Jean-Loup Leullier-Masse a proposé à Mathieu Joncas des listes de clients de Desjardins à exploiter pour trouver des emprunteurs hautement endettés.

Les informations contenaient non seulement les noms et les coordonnées de « prospects » (clients potentiels), mais aussi le solde hypothécaire de chaque client, le taux d’intérêt de son prêt, ses dettes de crédit et ses primes d’assurance.

Le 11 mai, le comité de discipline de l’OACIQ avait prononcé une ordonnance de non-divulgation temporaire sur le nom de Jean-Loup Leullier-Masse. Il l’a toutefois levée jeudi après l’intervention de l’avocat de La Presse.

L’avocate de l’OACIQ a voulu démontrer que les informations acquises par Mathieu Joncas étaient introuvables dans des sources légitimes. Son représentant, au contraire, a laissé entendre que ces renseignements pouvaient être calculés à partir du registre foncier.

« Notre modèle d’affaires, c’est d’offrir aux courtiers une clientèle pour laquelle on a déjà des informations précises », a expliqué Mathieu Joncas jeudi. D’où l’intérêt de ces listes contenant des renseignements exclusifs.

Jean-Loup Leullier-Masse lui a fourni un premier « échantillon » en janvier 2017, a-t-il expliqué. « La liste, je l’ai regardée 30 secondes, dit le courtier. Pour moi, c’était quelque chose de tout à fait banal. »

Puis son voisin de bureau est revenu à la charge et lui a proposé une vraie transaction pour les renseignements de plus de 150 000 personnes.

Mathieu Joncas a confirmé avoir payé « un dollar [pièce] pour les 50 000 premiers noms, puis environ 40 cents pour le reste », soit plus de 90 000 $.

Le courtier est accusé d’avoir acquis des données confidentielles sur des clients potentiels sans leur consentement et de s’être placé en conflit d’intérêts en ayant agi à la fois comme courtier hypothécaire et comme prêteur privé auprès de certains d’entre eux.

Ordinateur vide

Le comité de discipline reproche aussi à Mathieu Joncas de ne pas avoir collaboré pleinement à l’enquête du syndic. Il a dû expliquer pourquoi son ordinateur ne contenait aucune information lorsque l’enquêtrice a voulu l’inspecter, en juin 2020.

« Quand j’ai fait une mise à jour, je me suis mis à avoir des problèmes, a-t-il raconté. J’ai mandaté quelqu’un pour le faire réparer. » C’est ce qui explique pourquoi il avait été réinitialisé, selon lui.

Le courtier dit avoir détruit une partie des données incriminantes, reçues par WeTransfer à l’époque.

Témoins clés

Le comité a aussi entendu le courtier à qui Mathieu Joncas avait confié le premier échantillon de la liste en janvier 2017, Olivier Jean.

Une ordonnance impose aux médias de préciser que ce dernier n’a fait l’objet d’aucune accusation devant l’OACIQ et que le fait que celui-ci témoigne ou que son nom apparaît sur des documents ne constitue en rien la preuve qu’il a commis une infraction quelconque.

Lui non plus n’a rien trouvé d’anormal à la liste de renseignements confidentiels que lui avait confiée son patron.

En septembre 2019, Olivier Jean s’est toutefois douté que quelque chose clochait. La Sûreté du Québec a alors rencontré « au-dessus de 100 personnes » en marge d’une perquisition dans les bureaux de Dominion Accès, a-t-il raconté. La police agissait dans le cadre de l’opération Portier sur le vol massif de données chez Desjardins.

Les enquêteurs ont alors rencontré pratiquement tout le monde, y compris « les téléphonistes et les adjointes », dit Olivier Jean.

Puis, en octobre, des reportages ont mentionné les noms de plusieurs de ses collègues, dont Jean-Loup Leullier-Masse et Mathieu Joncas, fournisseurs de la liste qu’il avait utilisée en 2017.

« Je l’ai prise et je l’ai [apportée] pour consultation à mon avocat », a-t-il raconté.

Olivier Jean a ensuite collaboré à l’enquête du syndic, tout comme Marc-Olivier Tanguay, autre courtier qui a déjà écopé d’une amende de 5000 $ pour avoir acquis une liste de renseignements confidentiels sur 5000 clients de Desjardins.

Le comité de discipline de l’OACIQ devrait se prononcer sur la culpabilité de Mathieu Joncas ce vendredi.