Avez-vous déjà acheté en ligne 12 bikinis avec l’intention d’en retourner 11 ? Après tout, une séance d’essayage dans l’intimité de sa maison, c’est bien plus agréable que dans une petite cabine de magasin, et ce n’est pas interdit !

Heureusement, ce type de comportement est peu fréquent. Car il engendre des coûts significatifs qu’on finit tous par se partager.

Des coûts de transport, mais surtout de main-d’œuvre. Des employés doivent vérifier un à un les bikinis retournés afin de s’assurer qu’ils sont propres et revendables, les replacer dans les bonnes boîtes quelque part dans l’entrepôt et rembourser la cliente. En plus, fait remarquer le président de La Vie en Rose, François Roberge, « ça fait beaucoup de stock dans les airs ! », c’est-à-dire de maillots sortis de l’inventaire qui ne peuvent être vendus pendant des semaines.

Des histoires similaires se produisent aussi chez Sports Experts.

On voit des gens acheter cinq manteaux en deux couleurs ou deux grandeurs et ils en retournent neuf. Ça arrive plus souvent qu’on le pense.

Paul-André Goulet, propriétaire de franchises Sports Experts

Même les retours extrêmes du genre ne sont pas des abus, juge-t-il.

D’ailleurs, les commerçants québécois sont généralement d’avis que les exagérations sont rares. Le taux de retour de la marchandise achetée en ligne est néanmoins élevé. Il s’établit à 20 % au Groupe Nero Bianco, qui exploite aussi les magasins de chaussures Club C. C’est beaucoup plus que le taux de 4 % généré par les achats en magasin. C’est normal d’acheter des pointures 7 et 7 1/2 pour comparer, note le président Jean-François Transon.

Il y a aussi des coûts environnementaux.

PHOTO BRENDAN MCDERMID, REUTERS

Un employé scanne des colis au centre de distribution JFK8 d’Amazon, à New York.

Chez Uniqlo, ce géant japonais qui a maintenant une adresse à Montréal, on encourage les clients « à acheter de façon plus responsable pour la planète et le développement durable », me dit la porte-parole Kathleen Adams. Comment ? En imposant systématiquement des « frais de retour » de 9,90 $ sur les achats en ligne.

« Les gens achètent beaucoup pour essayer à la maison et retourner [les vêtements], relate Mme Adams. Ça provoque beaucoup de transport. On veut que les clients d’Uniqlo achètent seulement ce dont ils ont besoin. »

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Le problème, c’est que les coûts environnementaux des retours gratuits et faciles sont méconnus du grand public. Des données à ce sujet permettraient une prise de décision plus éclairée. Car avouez que c’est tentant d’acheter sans trop réfléchir quand la politique de retour est si avantageuse qu’elle sert d’outil marketing.

Or, l’information à ce sujet semble inexistante. Même Équiterre, qui se dit préoccupée par cet enjeu, n’a pas de données sur le transport des marchandises au Québec. Idem à la Chaire de commerce électronique RBC Groupe Financier.

On se doute bien que ce n’est pas très vert lorsqu’on commande cinq articles et que ceux-ci nous arrivent dans trois paquets expédiés de différentes adresses. Parfois de provinces différentes. Mais une fois qu’on a choisi d’acheter en ligne, on n’a aucun pouvoir là-dessus. Le pouvoir se limite aux retours.

Si l’on peut présumer que les détaillants québécois revendent la marchandise en bon état qui leur est retournée, les méthodes d’Amazon suscitent des questions. L’automne dernier, l’équipe de Marketplace, à la CBC, a fait un test troublant. Des bottes, un sac à main, une cafetière, un jouet et d’autres articles ont été achetés sur le site du géant américain et retournés en parfait état avec des GPS cachés.

Le sac à main s’est retrouvé au dépotoir, tandis que d’autres objets sont passés dans la puissante déchiqueteuse d’une entreprise spécialisée dans la destruction. Les bottes ont été revendues 5000 km plus loin. On y apprenait aussi qu’Amazon vendait des palettes entières de produits retournés à des liquidateurs qui font un tri sévère. Le taux de rejet est stupéfiant.

> Regardez le reportage de Marketplace (en anglais)

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Même si 99 % des consommateurs sont honnêtes, les retours abusifs sont assez problématiques pour qu’une entreprise américaine en fasse sa spécialité. The Retail Equation aide les détaillants à gérer les retours ainsi qu’à repérer les fraudeurs et autres « renvoyeurs compulsifs » qui leur coûteraient 25 milliards US par année (aux États-Unis seulement).

Qui sont ces « renvoyeurs compulsifs » ?

Il y en a trois types. D’abord, les malhonnêtes, dont l’objectif est de commettre une fraude en amenant le détaillant à faire un remboursement injustifié (marchandise volée, reçu falsifié). Ensuite, il y a ceux qui n’enfreignent pas la loi, mais abusent en achetant des biens tout en sachant qu’ils les renverront. Enfin, il y a ceux qui achètent pour se sentir mieux et qui finissent par culpabiliser et renvoyer leurs achats pour retrouver une paix intérieure, décrit The Retail Equation.

Au Québec, toute cette logistique pourrait être évitée puisque les commerçants n’ont aucune obligation légale de reprendre, de rembourser et d’échanger un bien. Sauf s’il est défectueux ou non conforme, bien entendu.

Or, les politiques sympathiques de retour sont bonnes pour les affaires et elles sont devenues la norme dans l’industrie. Avec le bond spectaculaire des ventes en ligne, notre planète en paie le prix.