Un lecteur nous propose un scénario de notaire tiré par les cheveux (le scénario, pas le notaire), qui nous permet de clarifier certaines notions mal comprises concernant la renonciation à un héritage. Notre truculent lecteur s’appuie sur un cas aussi réel que proche de lui.

« Le père de mon petit-fils est mort l’an passé, ma fille a dû payer 800 $ pour refuser l’héritage au nom de son fils, écrit-il. C’est vraiment comme ça que la loi est faite ? On peut être impliqué dans des documents civils sans notre consentement ? C’est sûrement tiré par les cheveux, mais si j’étais dans cette situation, je me ferais un plaisir de faire ceci. »

Et voici sa fable notariale à traction capillaire.

« Un homme qui bénéficie de l’aide sociale va chez son notaire payé par l’aide juridique. Il lègue à chacune des 1000 personnes de son village ses biens qui s’avéreront être des dettes. Le notaire du village et d’autres confrères pourront facturer 800 000 $ ? » De cette mise en situation, notre fabuliste tire trois possibles conclusions. « Soit le notaire a menti à ma fille, soit elle a mal compris, soit le législateur est stupide. »

Aide juridique notariale ?

Première observation : en effet, l’aide juridique peut en principe couvrir certains frais de notaire.

« Par rapport aux testaments, c’est très rare. Étant donné qu’on peut faire un testament devant témoin ou olographe, c’est vraiment dans les cas exceptionnels », indique MNathalie Sansoucy, notaire au Centre d’expertise notariale de la Chambre des notaires du Québec.

Par contre, un cas de renonciation de succession sera accepté « si la personne se qualifie à l’aide juridique, parce qu’elle n’a pas le choix : la renonciation se fait par acte notarié ou déclaration judiciaire ».

Mais dans les faits, peu nombreux sont les notaires qui acceptent les mandats d’aide juridique, en raison de la modicité des tarifs imposés, qui n’ont pas bougé depuis l’entente intervenue le 11 octobre 2003 entre le ministre de la Justice et la Chambre des notaires du Québec.

Par exemple, le tarif pour la préparation et la réception d’un testament est fixé à 125 $. Pour la renonciation à la succession : 225 $.

Mais revenons au nœud du problème soulevé par notre lecteur.

« On peut être impliqué dans des documents civils sans notre consentement ? » Dans le cas d’un testament, en effet, il est rare que le testateur demande la permission des personnes à qui il entend léguer ses biens. Remarquez que ces dernières s’en plaignent rarement, une fois l’héritage encaissé.

« Il faut partir du principe que les gens ne sont pas malveillants ou mal intentionnés », souligne la notaire Danielle Beausoleil, de l’étude Novallier. « Ils font un testament en se disant : je vais simplifier la vie de mes proches. Mais entre la journée où on fait notre testament et le décès, il y a plein de choses qui peuvent se passer qui sont hors de notre contrôle. »

« C’est vraiment comme ça que la loi est faite ? »

Tout à fait. Et MBeausoleil s’en réjouit.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

« Les gens font un testament en se disant : je vais simplifier la vie de mes proches. Mais entre la journée où on fait notre testament et le décès, il y a plein de choses qui peuvent se passer qui sont hors de notre contrôle », explique la notaire Danielle Beausoleil, de l’étude Novallier.

On est chanceux que le Code civil ait prévu le droit de renoncer à une succession. Parce que si on était obligé de tout accepter, des gens se retrouveraient sans le vouloir dans une mauvaise posture et il n’y aurait pas moyen de s’en sortir.

Danielle Beausoleil, notaire

« On serait responsable des dettes des gens qui nous mettent sur leur testament. »

« Soit le législateur est stupide… »

Ledit législateur a prévu les situations où la succession est déficitaire.

« Dans ces cas-là, le législateur permet aux personnes de ne pas avoir à rembourser à même leurs propres actifs, parce qu’on sait que lorsqu’on accepte une succession, on est aussi responsable du paiement des dettes », souligne Danielle Beausoleil.

« Quand l’inventaire démontre que c’est négatif, il faut effectivement renoncer. »

Ces cas sont de plus en plus fréquents. « Les gens décèdent et les cartes de crédit sont pleines, ou ils n’ont pas payé leur dû au gouvernement fédéral ou provincial. Ce sont des dettes qu’on ne s’imagine pas nécessairement chez nos parents, mais c’est une réalité. »

« Soit le notaire a menti à ma fille… »

« Le notaire n’a pas menti à la fille du lecteur, constate MBeausoleil. Il y avait probablement plus de dettes que d’actifs, et il fallait protéger l’enfant. La mère doit renoncer pour son enfant mineur. »

Non seulement le notaire n’a pas menti, mais le juriste aurait pu être appelé à intervenir même si la succession ne résultait pas d’un testament.

« Dans les cas où il n’y a pas de testament, le Code civil a prévu qui étaient les héritiers présomptifs », rappelle la notaire.

Quand une personne qui hérite en fonction du Code civil veut renoncer à la succession, elle est obligée de faire la même démarche que s’il y avait un testament.

Danielle Beausoleil, notaire

Une démarche très encadrée

L’héritier potentiel – le successible – a six mois pour accepter ou refuser la succession, à compter du jour de l’ouverture de celle-ci, généralement à la date du décès. Ce délai peut toutefois être prolongé afin que le successible dispose de 60 jours à compter de la clôture de l’inventaire pour prendre sa décision.

« C’est très encadré dans le Code civil. Et oui, ça nécessite l’intervention du notaire. On doit faire l’état des faits. Il faut établir qui sont les successibles. »

Le notaire doit s’assurer que la personne qui renonce à la succession n’a pas déjà posé des gestes d’héritier, auquel cas elle est réputée l’avoir déjà acceptée.

« Il faut publier ça au Registre des droits personnels et réels mobiliers, dit MBeausoleil. Quand tout ça est fait et qu’on a reçu les signatures, il faut envoyer toute la documentation au ministère du Revenu, qui s’occupe des successions insolvables. Et si la personne était mariée, il faut régler le patrimoine familial. »

Bref, il faut du temps, ce qui entraîne des honoraires. D’où la note que déplore notre lecteur.

Se protéger contre un testament ?

Notre lecteur n’amène pas la question directement, mais on peut tout de même la poser : existe-t-il une manière de se prémunir contre ce qu’on soupçonne être une future succession déficitaire ? « Absolument pas, répond MBeausoleil. C’est la liberté absolue, au Québec, de faire son testament en faveur de qui on veut. »

Mais parions qu’une compagnie d’assurance trouvera le moyen d’inventer une police contre les risques d’héritage délétère.

Testaments tirés par les cheveux

La liberté testamentaire peut tout de même rencontrer quelques bornes.

« Si quelqu’un arrivait devant le notaire avec l’idée farfelue de nommer plein de gens comme héritiers en sachant que la succession sera déficitaire, il y aurait sûrement des recours pour dire que ça a été fait de mauvaise foi », commente MBeausoleil.

« Je suis persuadée qu’un testament qui ferait état d’un scénario comme celui-là pourrait être renversé du jour au lendemain. On ne peut pas impliquer la responsabilité de tout le monde quand il n’y a pas d’intérêt nulle part. »