Contrairement à la croyance populaire, acheter une propriété plutôt que de louer un appartement n'est pas toujours plus avantageux financièrement.

Lorsque Victoria s'est séparée du père de ses deux jeunes enfants, il y a un an et demi, elle a loué en catastrophe un appartement à Longueuil.

LA SITUATION

Elle habite actuellement les cinq pièces au rez-de-chaussée d'un duplex avec deux espaces de stationnement. Ses enfants peuvent jouer dans la grande cour arrière, où elle a installé des modules de jeu.

« Je croyais que la situation serait temporaire, dit-elle, que j'allais rester dans cet appartement modeste seulement un an. Le loyer est vraiment raisonnable, soit 915 $ par mois, chauffé et éclairé. Par contre, il est vieillot, aurait besoin de beaucoup de rénovations et il y fait très froid l'hiver. »

À 44 ans, Victoria se demande s'il est plus judicieux financièrement d'acheter une petite maison, d'autant plus qu'elle vient d'avoir une promotion. Son salaire annuel est passé de 55 000 à 76 000 $.

Le type de propriété qu'elle souhaiterait acheter à Longueuil se vend 275 000 $. Les paiements hypothécaires s'élèveraient à 1500 $ par mois plus les taxes.

« Devrais-je investir dans un nouveau nid ou bien continuer de louer tout en mettant de côté le maximum d'argent dans des placements en prévision de ma retraite à 65 ans ? »

LES CHIFFRES

Salaires des 15 dernières années : 55 000 $

Nouveau salaire : 76 000 $

Dépenses : 3000 $ par mois (en incluant le loyer 915 $)

Régime de retraite total : 10 000 $

REER : 160 000 $

CELI : 3000 $

REEE : 13 000 $ pour les deux enfants

RRQ à 65 ans : prévision de 944 $ par mois

Copropriétaire d'un duplex avec son ex-conjoint

Valeur : 400 000 $

Solde à payer : 325 000 $

Revenus des loyers : 1320 $

LA RÉPONSE

Acheter une maison est avant tout une question de valeurs et de style de vie, estime Pierre-Raphaël Comeau, conseiller expert, gestion de patrimoine pour la gestion privée de la Banque Laurentienne. Une maison coûte plus cher, mais c'est de l'épargne forcée.

« Des enfants qui jouent dans la cour, une fête avec des amis sur sa terrasse, un espace à soi, illustre-t-il. Cependant, les gens oublient toutes les responsabilités qui viennent avec une maison et les coûts supplémentaires qui y sont liés, comme l'entretien, les réparations, les rénovations, le terrain, la neige, le ménage, etc. »

Victoria se pose la question au bon moment, selon le conseiller expert, car ses dépenses n'ont pas eu le temps de suivre sa nouvelle augmentation de salaire.

Deux problèmes se laissent toutefois deviner à l'horizon. Victoria n'a pas d'argent de disponible pour la mise de fonds nécessaire à l'achat de la maison et n'a pas accès au régime d'accession à la propriété. Elle n'a pas non plus de fonds d'urgence d'au moins deux mois de revenus pour faire face aux imprévus.

« Madame est une mère seule avec de jeunes enfants, alors ça devrait être plus haut dans sa liste de priorités. Elle ne doit pas négliger sa protection en cas d'invalidité. Si jamais son ex-conjoint décidait de ne plus payer la part de l'hypothèque du duplex qu'ils ont ensemble, elle se trouverait à être responsable de la dette totale. »

PREMIER SCÉNARIO : Acheter maintenant

Devenir propriétaire coûtera 1209 $ de plus par mois à Victoria, selon les calculs de Pierre-Raphaël Comeau.

Si elle décide d'acheter une maison dès maintenant, les sacrifices financiers seront élevés. Pour réussir à obtenir une mise de fonds de 27 500 $, soit de 10 % de la valeur de la propriété, elle devra sortir 50 000 $ de REER en plus du CELI de 3000 $. Utiliser les REEE entraîne trop de pénalités pour être une option envisageable. Dans ce scénario, il lui manque par contre 10 000 $ pour payer les autres dépenses.

Dans l'éventualité où sa vie sera un long fleuve tranquille et qu'elle ne changera pas ses habitudes de consommation, l'année de sa retraite sera reportée à ses 67 ans.

Elle pourrait aussi décider de vendre rapidement le duplex. Mais obtiendrait-elle un prix intéressant ? Et si l'ex-conjoint n'est pas d'accord ?

DEUXIÈME SCÉNARIO : Continuer de louer

En continuant de louer un appartement, et même en augmentant son style de vie de 15 % avec un loyer de 1200 $ par mois, Victoria pourrait prendre sa retraite six ans plus tôt, soit à 59 ans.

« Si elle s'entend bien avec son ex-conjoint, elle pourrait attendre d'avoir 70 ans pour vendre cette propriété, soutient Pierre-Raphaël Comeau. En 2045, en suivant l'inflation de 2 % par année, j'estime que sa part sera de 335 000 $. Cette somme pourrait financer une partie de sa retraite. Si on ne tient pas compte de la valeur du duplex, elle pourra prendre sa retraite à 61 ans. »

TROISIÈME SCÉNARIO : Acheter en juillet 2021

Même si financièrement la location est plus avantageuse, Victoria pourrait réaliser que l'achat d'une maison reflète ses valeurs. Pierre-Raphaël Comeau lui conseille de passer le test de la réalité. Un test qui lui permettra de constituer un fonds d'urgence et d'accumuler une mise de fonds.

« Je lui fais épargner le montant que lui coûterait la maison, explique-t-il. Elle ne fait de mal à personne, elle épargne et elle peut voir si elle peut encore se payer des vacances avec les enfants. Elle peut voir dans la vraie vie si ça fonctionne ou pas. »

Dans ce scénario, elle épargne 350 $ par mois dans un CELI pour constituer un fonds d'urgence. Puis une autre tranche de 800 $ par mois en CELI sera destinée à une partie de la mise de fonds. Le reste sera comblé par la vente du duplex.

« Avec une hypothèque sur le dos, ça risque d'être plus difficile d'emprunter, affirme Pierre-Raphaël Comeau. D'ici 2021, elle aura le temps de vendre la propriété et pourra utiliser cette somme pour la mise de fonds. Cette vente réduira aussi les incertitudes. Avoir une propriété avec son ex-conjoint, c'est l'éléphant dans la pièce, c'est une bombe à retardement. »

Mais pas de place pour la frivolité. Victoria devra conserver le style de vie qu'elle avait avant son augmentation de salaire pour atteindre l'objectif de retraite à 65 ans.

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Photo André Pichette, La Presse

Pierre-Raphaël Comeau, conseiller expert, gestion de patrimoine pour la gestion privée de la Banque Laurentienne