Envisager le jour où l'on passera l'arme à gauche n'est jamais agréable. Quand on vit en famille recomposée, cette perspective peut carrément donner des sueurs froides. Marmots en garde partagée, « ex » à protéger financièrement, nouveau conjoint à inclure dans le portrait... Entre les changements à faire au testament et l'assurance-vie à prévoir, pas facile de s'y retrouver !

LE PROBLÈME:

La vie de Julia et Roberto est un tourbillon depuis quatre ans : séparés de leurs conjoints précédents, ils ont commencé à se fréquenter, puis se sont installés ensemble, avec leurs quatre enfants qui vivent sous leur toit une semaine sur deux.

À travers ces bouleversements, le couple a négligé une question importante : que se passera-t-il après leur mort ? Ils n'ont toujours rien changé à leurs assurances-vie et leurs testaments pour tenir compte de leur nouvelle situation familiale.

« Nos ex-conjoints sont toujours nos héritiers et les bénéficiaires de nos assurances-vie, indique Julia. Nous savons qu'il faut prévoir une certaine protection pour eux tant que les enfants sont à leur charge. Mais comment ? »

Julia et Roberto ont chacun une propriété, de l'épargne retraite, de l'assurance-vie. S'ils meurent demain, qu'est-ce qui doit revenir aux enfants et à l'autre parent, qui se retrouvera soudain seul pourvoyeur ? Qu'est-ce qui devrait être légué au nouvel amoureux, encore relativement nouveau dans le portrait ?

« Nous avons commencé à en parler », dit Julia, ce qui est déjà une bonne chose. « Par exemple, Roberto veut léguer sa maison à ses enfants. Mais s'il meurt, il voudrait que je continue d'y habiter au moins quelques années. Si les enfants sont propriétaires, ça me mettrait dans une drôle de position. »

De bien angoissantes questions ! Maintenant qu'ils ont réussi à faire fonctionner leur maisonnée recomposée, voilà un nouveau défi pour le couple.

LA VIE EN CHIFFRES

Julia, 46 ans

Deux enfants de 10 et 8 ans en garde partagée

Revenu : 77 000 $

Pension à payer à l'ex-conjoint pour les enfants : 150 $/mois

Chalet d'une valeur de 220 000 $, avec une hypothèque de 150 000 $

REER : 20 000 $

Régime de retraite à prestations déterminées : rente prévue à la retraite de 35 000 $/an

ASSURANCE-VIE : 

340 000 $ avec l'employeur

100 000 $ assurance-vie entière, dont l'ex-conjoint est bénéficiaire

Roberto, 47 ans

Deux enfants de 14 et 11 ans en garde partagée

Revenu : 73 000 $

Maison d'une valeur de 600 000 $, avec une hypothèque de 288 000 $

REER : 75 000 $

CRI : 40 000 $

Régime de retraite à cotisations déterminées : 27 000 $

ASSURANCE-VIE : 

150 000 $, expiration en 2030, avec son ex-conjointe, payable au premier décès

100 000 $ assurance-vie entière dont l'ex-conjointe est bénéficiaire

Deux fois le salaire avec l'employeur

LA SOLUTION

Les familles recomposées donnent beaucoup de boulot aux notaires...

« Protéger le conjoint actuel, celui avec qui l'on bâtit son avenir, tout en protégeant ses enfants issus d'une union précédente est le grand défi des notaires en ces temps modernes », souligne Me Danielle Beausoleil, du cabinet PFD Notaires.

Voici quelques éléments sur lesquels Julia et Roberto doivent se pencher : 

1. PROTÉGER L'EX-CONJOINT, POUR LE BIEN-ÊTRE DES ENFANTS

Les parents, même séparés, restent conjointement pourvoyeurs de leur progéniture - tant que c'est nécessaire, évidemment.

« S'il y a une pension alimentaire, elle cesse au décès du payeur. Le parent survivant se retrouve donc avec la garde exclusive, sans pension, seul à payer toutes les dépenses reliées aux enfants », souligne Me Beausoleil.

L'assurance-vie est généralement le meilleur outil dans ces situations, selon elle.

L'assurance temporaire que Roberto paie avec la mère de ses enfants, qui expire en 2030, quand leur descendance volera de ses propres ailes (du moins, ils l'espèrent...), est une bonne solution, dit la notaire.

Pour une assurance qui expire à la mort seulement, comme celle que détient Julia au bénéfice de son ex, le bénéficiaire peut être changé quand les enfants atteignent l'indépendance financière.

Quel montant d'assurance prévoir ? Grande question ! « Combien ça coûte, élever deux enfants, quand tu perds le revenu de l'autre ? », demande Danielle Beausoleil.

Le barème de fixation des pensions alimentaires peut servir de guide, mais un planificateur financier ou un actuaire pourrait calculer une somme précise.

S'il faut des assurances additionnelles, c'est le temps d'y voir : après 50 ans, les primes coûteront plus cher, note la notaire.

Comment s'assurer que les ex prennent les mêmes précautions envers eux ?

« C'est impossible de contrôler le testament de l'autre, mais l'entente de séparation peut prévoir que chacun des ex-conjoints conserve une assurance-vie au bénéfice de l'autre tant que les enfants sont à charge », souligne Me Beausoleil.

2. LAISSER LES PROPRIÉTÉS AUX ENFANTS

Comment Roberto peut-il léguer sa maison à ses enfants sans que Julia soit mise dehors après sa mort ? Et même chose pour le chalet de Julia ?

« Si Julia demeure dans la maison pour une période relativement courte, moins de cinq ans, un droit d'usage à des fins d'habitation pourrait lui être consenti par testament, recommande Danielle Beausoleil. Mais pourra-t-elle payer seule les frais de la maison ? Pas évident. »

Le droit d'usage est déconseillé pour une période plus longue, car être locataire dans la maison des enfants du défunt peut créer des frictions. Surtout que, tant que les enfants sont mineurs, l'héritage est administré en leur nom par le parent survivant.

« Autre solution : léguer la résidence à Julia, qui devra rembourser l'hypothèque et verser aux enfants, à une date précise, ou à la vente, ou à sa mort, une somme équivalant à la valeur nette de la résidence au moment de la mort de Roberto, suggère la notaire.

Roberto pourrait prévoir une assurance-vie au bénéfice de Julia, lui permettant de rembourser le solde hypothécaire et les autres frais.

3. PROTÉGER LE CONJOINT ACTUEL

Un conjoint de fait n'a droit à aucun héritage si son partenaire de vie meurt sans testament.

Pour Julia et Roberto, ce sont les ex-conjoints qui sont leurs héritiers, selon leurs testaments actuels. S'ils veulent léguer des biens à leur nouveau, ou tout laisser à leurs enfants, ils doivent réécrire leurs dernières volontés.

Ils peuvent aussi nommer le conjoint de fait bénéficiaire d'une partie de leur assurance-vie, pour éviter une chute trop brutale de son niveau de vie. Me Beausoleil souligne cependant que la relation est encore jeune. « S'ils sont encore ensemble dans cinq ans, peut-être que ça vaudra la peine à ce moment de revoir certaines dispositions », dit-elle.

Est-il préférable de léguer au conjoint les sommes accumulées dans les REER et régimes de retraite, pour réduire la facture fiscale ? Si le REER du défunt est transféré dans le REER du conjoint - ce qu'on appelle un roulement -, il n'y a pas d'impôts à payer au moment de la succession. Même chose pour le régime de retraite à cotisations déterminées de Roberto.

Ces sommes peuvent aussi être léguées aux enfants mineurs sans être amputées par le fisc, pourvu qu'elles soient transférées dans une rente à terme fixe jusqu'à leurs 18 ans.

Mais l'impôt devra être payé par les bénéficiaires au moment du retrait des fonds.

Le régime de retraite à prestations déterminées de Julia est quant à lui régi par la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, qui prévoit que la prestation de décès est prioritairement versée au conjoint survivant sous forme de rente payable sa vie durant.

« Julia et Roberto ont du pain sur la planche ! », fait remarquer Me Danielle Beausoleil.