Âgé de 23 ans, Raphaël n'est pas près de quitter la maison familiale.

« Il a une trisomie 21 et il vit avec nous », explique sa mère Suzanne.

Suzanne a 56 ans. « Lorsque Raphaël a eu 4 ans, j'ai eu de gros ennuis de santé qui m'ont obligée à m'absenter de mon emploi, et comme ma situation s'est grandement détériorée, je n'ai pu retourner au travail. J'ai été déclarée inapte au travail et je reçois des prestations de la RRQ et de mon assurance travail. »

Son mari, âgé de 58 ans, a récemment pris sa retraite.

Ils ont prudemment géré leurs avoirs. Outre la maison familiale, ils avaient acheté il y a 30 ans un petit immeuble de deux logements, sur lequel des travaux importants ont récemment été exécutés.

« Je m'inquiète beaucoup pour notre avenir financier puisqu'à 65 ans, les prestations de mon assurance salaire vont cesser et comme je n'ai pas contribué longtemps à mon fonds de pension, les revenus de notre famille vont inévitablement diminuer, confie Suzanne. Il y a aussi notre responsabilité envers Raphaël. »

Inapte au travail régulier, Raphaël touche des prestations d'assurance sociale. Il fait un stage en milieu de travail de trois jours par semaine, pour le somptueux salaire de 6 $ par jour. Fierté.

« Raphaël, c'est nous qui, entre guillemets, le subventionnons. Il ne pourra pas vivre juste de prestations d'aide sociale, s'il part de la maison. Quand on a un enfant handicapé, en fait, la famille s'appauvrit. Comment faire en sorte de prendre les meilleures décisions ? »

Elle ne veut pas faire peser sur les deux soeurs aînées de Raphaël des responsabilités financières envers leur jeune frère.

Le couple contribue au Régime enregistré d'épargne-invalidité (REEI) de Raphaël depuis qu'il a 17 ans. « Nous pensions qu'il pourrait éventuellement en profiter si un jour il allait en appartement supervisé, mais un conseiller nous a dit de nous informer, car les modalités pour retirer des montants sans pénalité sont complexes.

« Il faut s'assurer que si on n'est plus là, Raphaël puisse avoir une belle qualité de vie, pour pouvoir continuer à évoluer. C'est le défi d'une vie. D'une vie de parent. »

LA VIE EN CHIFFRES

Suzanne, 56 ans

Revenus 

Assurance salaire de l'employeur : 23 000 $

RRQ : 10 700 $

Épargne

REER : 35 000 $

CELI : 5400 $

Richard 58 ans

Rente de retraite : 31 700 $

Épargne

REER : 8700 $

CELI : 3400 $

Dépenses mensuelles 

4950 $, incluant 400 $ en épargne CELI

Actifs

Résidence principale : 203 000 $

Solde hypothécaire : 51 600 $

Duplex : 128 000 $

Solde hypothécaire : 61 000 $

Revenus locatifs : 1310 $ par mois

Raphaël, 23 ans

Aide sociale, crédit d'impôt solidarité et crédit TPS : 12 000 $

REEI : 38 800 $

LA SOLUTION

Pour faire une comparaison boiteuse, le REEI s'apparente davantage au REER qu'au CELI.

« Certains pensent qu'on met de l'argent dans le REEI et qu'on le retire quelques années plus tard pour assurer les besoins de la personne handicapée », indique le notaire François Bernier, directeur, techniques de planification avancées, à la Financière Sun Life.

« Le REEI n'est pas fait pour ça. C'est plutôt un régime d'accumulation de capital à très long terme pour la personne handicapée. »  - François Bernier

Une cotisation annuelle de 1500 $ procure une subvention de 3500 $, pour un total à vie d'un maximum de 70 000 $. Pour les personnes à faible revenu, le Bon canadien pour l'épargne-invalidité ajoute 1000 $ par année, « même si aucune contribution n'y est faite », précise M. Bernier.

Il faut donc cotiser pendant 20 ans pour obtenir les subventions maximales du programme.

Les règles de retrait sont toutefois très restrictives. Un décaissement entraîne le remboursement des subventions reçues au cours des 10 années précédentes. Puisqu'il faut cotiser 20 ans pour atteindre le plafond de subventions, puis attendre 10 années supplémentaires pour éviter les pénalités, on ne retire les bénéfices maximaux du régime que 30 ans après son ouverture.

Cette échéance mène Raphaël à 47 ans, puisque son régime a été ouvert à 17 ans.

LES DEUX BORNES

Notre expert a placé les deux bornes du spectre des solutions.

Si Suzanne et son mari cessaient maintenant leurs cotisations, Raphaël pourrait commencer ses décaissements sans pénalité dans 10 ans, à 33 ans. En supposant un rendement conservateur de 3,3 %, son REEI vaudrait alors 48 700 $, ce qui lui procurerait un revenu viager d'environ 80 $ par mois.

S'ils versent la cotisation optimale de 1500 $ jusqu'aux 37 ans de Raphaël, celui-ci détiendrait approximativement 245 000 $ une fois parvenu à 47 ans. Il pourrait alors en tirer un revenu viager de 568 $ par mois, « sans affecter la prestation du régime de solidarité sociale », précise François Bernier.

Entre ces deux bornes, tout est possible.

Mais pour Suzanne et Richard, le dilemme est déchirant. Dans quelles conditions vivra Raphaël dans la fourchette de 10 à 24 ans qui le séparera de ses revenus viagers ?

Sur le strict plan financier, pour garantir à Raphaël un revenu intéressant quand ses parents ne seront plus, la seconde option « vaut largement la peine », énonce François Bernier.

Selon notre expert, la situation budgétaire du couple lui permet de verser la cotisation annuelle de 1500 $ requise pour obtenir les subventions maximales. Leur budget actuel dégage un surplus de plus de 500 $ par mois.

« Ça prend 125 $ de contribution par mois. Selon moi, jusqu'à la retraite, ils ont les capacités financières de le faire. » - François Bernier

Mais une fois à la retraite ? Voyons voir.

LES REVENUS DIMINUENT, MAIS LES DÉPENSES AUSSI

Comme Suzanne le craint, la situation se compliquera quand elle atteindra 65 ans. Elle perdra alors sa prestation d'assurance salaire (présentement 1919 $ par mois) et sa rente d'invalidité de la RRQ (898 $).

En contrepartie, Suzanne et Richard commenceront alors à recevoir la pension de la Sécurité de la vieillesse (1157 $ à eux deux). Suzanne estime pouvoir toucher une rente de la RRQ de quelque 300 $ par mois. Leurs REER pourraient leur procurer un revenu supplémentaire d'environ 240 $ par mois.

Les dépenses diminueront aussi : l'hypothèque sur la résidence sera alors soldée, ce qui réduira les dépenses mensuelles de 934 $.

Résultat, leurs revenus excéderont leurs dépenses d'un mince 2 % - ou de 10 % si on y ajoute les revenus de location. Toutefois, leur budget inclura encore l'enveloppe de 400 $ dévolue à l'épargne en CELI.

L'excédent budgétaire de 10 % est suffisant pour couvrir une cotisation de 125 $ par mois au REEI de Raphaël.

Si la situation devient difficile, rien n'empêcherait Suzanne de réduire la cotisation au REEI à 500 $, qui procureraient encore une subvention de 1500 $.

RACHETER DES ANNÉES DE SERVICE

François Bernier entrevoit cependant une autre avenue. Suzanne devrait toucher une petite rente de retraite pour ses années de service dans la fonction publique.

« Il est généralement avantageux de racheter des années de service d'un régime de pension », souligne-t-il.

Selon les chiffres fournis par Suzanne, cet effort se chiffre à environ 12 000 $ par année pendant cinq ans.

Suzanne détient 37 000 $ en REER, dont elle pourrait utiliser une large partie pour racheter ces droits.

Pour combler la différence, elle pourrait utiliser la marge de crédit hypothécaire du couple.

Un emprunt de 23 000 $ remboursé en cinq ans à un taux d'intérêt de 3,7 % entraîne des mensualités d'environ 425 $. « C'est à peu près la somme qu'elle dépose chaque mois dans son CELI », observe François Bernier.

À Suzanne de décider. Comme il le souligne, « la réponse n'est pas que financière ».

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Le notaire François Bernier, directeur, techniques de planification avancées, à la Financière Sun Life

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