En se séparant après 17 ans de vie commune, des conjoints de fait veulent partager moitié-moitié tous leurs actifs comme s'ils avaient été mariés. Y compris leurs caisses de retraite. Mais le régime des employés du gouvernement du Québec ne le leur permet pas, contrairement aux régimes privés. Sont-ils victimes de discrimination ?

Camille et Antoine ont deux enfants. Ils n'ont jamais convolé en justes noces, mais ont convenu rapidement, après avoir emménagé ensemble, qu'ils partageraient leurs actifs comme s'ils étaient mari et femme, en cas de rupture.

Leurs chemins se sont séparés il y a quelques mois. Même s'ils n'avaient pas signé de contrat d'union de fait pour préciser leurs engagements l'un envers l'autre, ils ont expliqué à leur médiatrice familiale que tout devait être divisé en parts égales.

Il n'y a pas de problème pour la maison familiale, dont ils sont copropriétaires, ni pour leurs REER, dont la valeur est presque similaire et qui peuvent être transférés facilement lors d'une séparation.

Ils ont tous deux la chance de cotiser à un régime de retraite à prestations déterminées. Pour équilibrer les actifs, chacun doit connaître la valeur des droits accumulés en prévision de la retraite.

Antoine, employé d'une grande entreprise, a obtenu facilement cette information de la part de son régime : 267 000 $. Pas de problème de ce côté pour transférer la moitié de cette somme à son ex-conjointe, dans un régime immobilisé.

POUR COUPLES MARIÉS SEULEMENT

Mais du côté de Camille, il y a un pépin : enseignante, elle cotise au Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP), lequel refuse de lui donner la valeur de ce qu'elle a accumulé. Ce privilège, tout comme le transfert d'une somme dans le cadre d'une procédure de partage du patrimoine familial, est réservé aux couples mariés qui divorcent, selon les règlements du régime.

« On m'a dit que la seule façon de le savoir est d'embaucher un actuaire à mes frais, soit environ 1500 $, raconte Camille, irritée. C'est absurde, c'est mon argent et je ne peux même pas connaître sa valeur ! »

Elle ne comprend pas que le RREGOP prive ainsi les conjoints de fait du choix de partager leur caisse de retraite, alors que le régime privé d'Antoine ne fait pas de distinction avec les couples mariés. Même le Régime des rentes du Québec permet aux conjoints de fait de demander le partage des revenus de travail sur lesquels ils ont cotisé pendant leur union.

La dépense qu'on lui impose s'ajoute à une longue liste. « Il y a beaucoup d'incertitude sur le plan financier quand on se sépare, souligne Camille. Il faut ajuster notre budget au nouveau rythme de vie, payer un deuxième logement et racheter tout ce qu'il faut pour l'équiper. C'est une période d'appauvrissement. Je n'ai pas les 1500 $, je vais devoir les prendre sur la marge de crédit. »

Elle est d'autant plus contrariée qu'elle s'était informée des préjudices qu'elle pourrait subir en n'étant pas mariée. « J'ai demandé à ma notaire, à ma conseillère financière. Elles n'étaient pas au courant et ne m'ont jamais parlé de problèmes potentiels avec mon régime de retraite », déplore-t-elle.

Elle a interpellé son syndicat à ce sujet, mais il ne semblait pas vouloir donner suite à l'affaire.

PORTRAIT

CAMILLE, 40 ANS enseignante

Revenu : 66 000 $

ANTOINE, 43 ANS gestionnaire

Revenu : 89 000 $

Deux enfants de 8 et 10 ans

Nombre d'années de vie commune : 17 ans

ACTIFS

 - Propriété de 436 000 $, hypothéquée pour 378 000 $

 - REER : 

Antoine : 12 000 $

Camille : 14 500 $

 - REEE : 16 000 $

 - Valeur du régime de retraite : 

Antoine : 267 000 $

Camille : inconnue

Aucune dette

Garde partagée des enfants

Pension de 60 $ par mois payée par Antoine à Camille pour les dépenses des enfants

UN CASSE-TÊTE POUR LES CONJOINTS DE FAIT

Comme Camille et Antoine, de plus en plus de conjoints de fait qui se séparent partagent leurs biens comme s'ils avaient été mariés, selon l'avocat Jean-François Chabot, président de l'Association de médiation familiale du Québec.

Les pratiques semblent évoluer plus vite que les lois, comme celle qui encadre le régime de retraite des employés gouvernementaux. Ces règlements prévoient que les conjoints de fait peuvent recevoir la pension de conjoint survivant en cas de décès d'un employé cotisant au régime. Mais ils n'ont pas droit au partage de la valeur du fonds en cas de rupture, réservé aux couples ayant été mariés.

Les autres régimes de retraite, comme celui d'Antoine, sont régis par une loi différente, permettant le partage des droits accumulés pour les conjoints de fait qui le demandent. Même chose pour le Régime des rentes du Québec (RRQ).

Pourquoi cette disparité ?

« Le RRQ relève d'une loi sociale, qui prévoit des droits particuliers pour les conjoints de fait », répond Frédéric Lizotte, porte-parole de Retraite Québec, qui regroupe le RRQ et le RREGOP. Quant aux autres régimes de retraite, leurs modalités ont été négociées entre les parties impliquées », ajoute-t-il.

Mais rien n'a été prévu dans le RREGOP pour les conjoints de fait en cas de rupture. 

DISCRIMINATION

C'est de la discrimination, selon le juriste Alain Roy, professeur à l'Université de Montréal. « D'après moi, ça justifierait une poursuite contre le RREGOP et une contestation de la loi, parce qu'il n'y a aucune raison de refuser ce choix aux conjoints de fait, alors qu'on l'accorde aux couples mariés. Tous les couples ont la même interdépendance économique. »

Les mêmes contraintes existent dans les régimes de retraite des entreprises sous réglementation fédérale, comme les banques et les entreprises de transport et de télécommunications, souligne l'actuaire Carolyn Martel, souvent sollicitée pour calculer la valeur des régimes à prestations déterminées pour des couples en processus de séparation.

Les régimes sous contrôle fédéral ne calculent pas la valeur des fonds, mais acceptent de transférer des sommes à l'ex-conjoint de fait, précise-t-elle.

« On a de plus en plus de demandes, parce que les couples en union de fait sont plus nombreux. Certains ont des contrats de vie commune qui prévoient un tel partage », dit Mme Martel, qui facture environ 1000 $ pour ces calculs. Dès qu'il y a un contrat, les gestionnaires de régime doivent le respecter, sauf pour le RREGOP et ceux qui relèvent du fédéral.

METTRE À JOUR LES LOIS

« C'est une aberration, s'insurge Alain Roy, qui a présidé le Comité consultatif sur le droit de la famille. Il est grand temps d'uniformiser les droits des conjoints de fait. Les enjeux financiers sont importants pour ces couples. »

Actuellement, différentes lois relevant de différents ministères ne prévoient pas les mêmes droits et obligations pour les conjoints de fait : ils sont reconnus après un an à des fins fiscales, après trois ans ou à la naissance d'un enfant pour avoir droit aux avantages sociaux. Mais le droit de la famille ne leur reconnaît aucun droit en cas de rupture.

« C'est pourquoi il y a une si grande confusion dans le public », souligne Alain Roy.

Le comité a produit un imposant rapport en juin 2015 suggérant notamment que la naissance d'un enfant entraîne des obligations financières des parents l'un envers l'autre et une uniformisation de la définition de conjoint de fait.

Ces recommandations sont restées lettre morte. La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, aurait prévu des consultations partout au Québec, au cours de l'été, mais le projet aurait été bloqué au Conseil des ministres, selon Le Devoir.

Bref, ce n'est pas demain la veille qu'il y aura un changement. À moins de vouloir entreprendre une bataille judiciaire, Camille et Antoine n'ont d'autre choix que d'embaucher un actuaire pour calculer la valeur des sommes accumulées dans le RREGOP.

COMMENT RÉGLER LE TRANSFERT DES FONDS DE RETRAITE ?

Si le régime de Camille est mieux garni que celui d'Antoine, elle devra compenser cet écart auprès de son ex-conjoint autrement, en lui transférant des REER ou une plus grande partie de la valeur de la propriété.

Mais il faudra tenir compte de l'impact fiscal potentiel. « Les REER et les fonds dans le régime de retraite n'ont pas été imposés, alors que la valeur de la propriété, c'est de l'argent après impôts », explique Daniel Laverdière, expert-conseil pour Banque Nationale Gestion privée.

Si Camille devait à Antoine 20 000 $ en fonds de retraite, serait-il équitable de lui accorder 10 000 $ supplémentaires sur la valeur de la propriété, en supposant un taux d'imposition maximal ? Peut-être pas : dans quelques années, la somme transférée ne vaudra peut-être plus la moitié de la somme initiale, compte tenu du rendement sur les placements et du taux d'imposition au moment du retrait, souligne M. Laverdière.

LORSQUE LES RÉGIMES PERMETTENT UN TRANSFERT, VOICI LES OPTIONS POSSIBLES POUR RECEVOIR LES FONDS : 

Compte de retraite immobilisé (CRI)

L'équivalent du REER, mais intouchable avant la retraite.

Régime de retraite du conjoint (si c'est permis)

Une option souvent avantageuse, parce que les frais de gestion sont généralement moins élevés.

Fonds de revenu viager (FRV) ou achat de rente viagère

Procure un revenu prévisible et garanti, versé à intervalles réguliers pendant la retraite, jusqu'au décès. Généralement, on attend d'être à la retraite pour se servir d'un tel outil.