Quantité de jeunes entrepreneurs setournent vers leurs parents pour financer leur entreprise. Ces derniers, déterminés à soutenir les rêves de leur progéniture, investissent des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars dans l'aventure, espérant récolter des dividendes au passage. Pourtant, il ne s'agit pas là du plus sage des investissements...

LES RISQUES DU CAPITAL DE PROXIMITÉ

Alain Niquet a investi 300 000 $ dans Glutenberg, une microbrasserie spécialisée dans les bières sans gluten dirigée par son fils Julien. S'il a d'abord sorti des sous de sa poche par amour pour son garçon, l'homme a tout de même décidé de s'impliquer dans le conseil d'administration de l'entreprise. Une façon d'avoir un minimum de contrôle sur son investissement.

Selon une étude menée en 2015 par la Chaire en entrepreneuriat et innovation de l'Université Laval, 13 % des entrepreneurs font appel au capital de proximité pour financer leur entreprise. Julien Niquet fait partie du lot.

En plus de connaître le marché des aliments sans gluten, étant lui-même intolérant, il avait plusieurs arguments pour convaincre son père. « Julien avait déjà travaillé avec moi, il était bien formé, il possédait une autre expérience entrepreneuriale et son partenaire en affaires, David Cayer, est un gars de confiance, résume Alain Niquet. C'était facile pour moi de vouloir les aider et de croire en Glutenberg. J'ai toujours aimé les petites entreprises dans un marché de niche. »

Lui-même entrepreneur, principalement dans le secteur manufacturier, il savait à quel point le financement d'une entreprise en démarrage est difficile à trouver. « Les investisseurs sont présents surtout en biomédical et en TI, mais beaucoup moins dans un secteur traditionnel comme l'alimentation, dit-il. Comme je possédais assez de liquidités pour aider Julien, j'ai plongé. »

En mars 2011, il a bonifié le fonds de roulement de Glutenberg et acheté de l'équipement qu'il a loué à l'entreprise, jusqu'à ce que les produits soient commercialisés et que les profits apparaissent. Un investissement qu'il est loin de renier aujourd'hui.

« J'avais confiance en Julien. On se connaît, on s'est toujours bien entendus et je n'ai jamais pensé refuser. Si un autre enfant me le demandait et que je pouvais l'aider, je le ferais immédiatement. Il faut faire confiance à ses enfants entrepreneurs. » - Alain Niquet

Oui, mais pas toujours, selon François Gilbert, président d'Anges Québec. Rappelant que plus de 50 % des entreprises américaines en démarrage ne sont pas capables de « rembourser » leurs investisseurs, il met en garde les parents contre leur désir de soutien filial. « Bien sûr qu'on veut voir nos enfants heureux et épanouis, mais combien de parents font faillite ou prennent une deuxième hypothèque sur leur maison pour investir dans l'entreprise de leur enfant ? Et quand le jeune manque d'argent, après avoir reçu un prêt familial de 50 000 $, il va se tourner vers papa et maman à nouveau. Ça peut devenir un gouffre financier. »

Conscient des risques pécuniaires et des difficultés familiales que la situation peut engendrer, François Gilbert croit que les parents doivent y penser à deux fois avant de foncer. « Évidemment, je connais un père qui a investi 50 000 $ et qui a récolté 500 000 $ au final. Mais si j'avais le choix, j'éviterais ce genre de placement. Les parents n'ont généralement rien à gagner, sauf que leur jeune se développe... »

INVESTIR ARGENT ET EXPERTISE

Espérant faire partie des exemples positifs, voire des exceptions, Alain Niquet a investi son argent ET son expertise. Plutôt que de faire un don ou de prêter son argent avec un faible taux d'intérêt, il a acheté 17 % des actions et pris la tête du conseil d'administration de Glutenberg. « Au lieu d'investir dans une entreprise sur laquelle je n'aurais aucun contrôle et qui nous inviterait à l'assemblée annuelle des actionnaires où on aurait à peu près pas droit de parole, j'ai préféré être plus en contrôle, explique-t-il. Julien et David mènent les opérations, mais on a de bonnes discussions. Je suis un allié et un mentor. »

Dans le même ordre d'idées, M. Gilbert croit que le simple don financier n'est pas la méthode idéale dans ce contexte. « D'abord, je suggérerais un prêt à terme défini, avec une durée de remboursement. Si on veut être actionnaire, il faut être prêt à vivre avec beaucoup de responsabilités. Mais au-delà de ça, si on veut vraiment aider son enfant, je suggère de comprendre son idée, de poser des questions sur son projet d'affaires et, si possible, de le mettre en relation avec des gens capables de le guider. »

« Parfois, un parent devra dire : "Tu sais que je t'aime et que je veux t'aider, mais je ne vois pas comment tu vas pouvoir t'en sortir" », ajoute-t-il.

Les cinq dernières années ont toutefois donné raison à Alain Niquet. En plus des sommes accumulées en louant les équipements à faible coût, il a vendu des actions à 9$ chacune, après les avoir payées 1$. Et les dividendes viendront bientôt. « On a fait des profits, mais on a tout réinvesti dans la croissance et la création de deux filiales, souligne-t-il. Aujourd'hui, la valeur de mes actions vaut environ 10 fois plus qu'à l'été 2011. Le temps m'a donné raison d'avoir cru au projet et aux entrepreneurs. »

photo andré pichette, la presse

Quantité de jeunes entrepreneurs se tournent vers leurs parents pour financer leur entreprise.

QUELQUES CONSEILS AUX PARENTS

La majorité des entrepreneurs qui se font financer par leurs parents proviennent de familles qui font déjà des affaires, remarque Luis Felipe Cisneros Martinez, professeur à HEC Montréal. Voici quatre modèles de financement.

ENTREPRENEURIAT

Il s'agit d'une nouvelle organisation sans lien avec l'entreprise familiale, mais dont l'entrepreneur peut bénéficier des ressources financières, matérielles, techniques et du savoir-faire de membres de sa famille.

INTRAPRENEURIAT

Un nouveau projet financé par les parents et chapeauté par l'entreprise familiale. « Dans ce cas, l'intrapreneur tente de mettre en place une innovation, en étant financé et conseillé par sa famille en affaires. Il participe ainsi à la croissance ou à la remise à flot de l'entreprise familiale. »

REPRENEURIAT

Prendre les rênes de l'entreprise familiale avec l'objectif de la réinventer, en étant accompagné par ses parents dans le financement. « Le repreneuriat est un processus de succession visant à remettre en question le modèle d'affaires, identifier des opportunités et innover pour assurer le développement et la pérennité de l'entreprise familiale. »

EXTRAPRENEURIAT

On parle ici d'un « spin off » financé par l'entreprise familiale. « Un membre de la famille identifie une opportunité d'affaires et, en fonction des situations, l'entreprise familiale peut être propriétaire, en partie, de la nouvelle entité. La nouvelle entreprise participe alors à la croissance du portefeuille de la famille en affaires. »