Les Québécois sont champions de la recomposition familiale. Qui doit payer quoi dans ces nouvelles tribus à géométrie variable ? Il n'est pas toujours aisé de s'y retrouver.

Le casse-tête financier des familles recomposées

Quand Patrick est tombé amoureux d'Anouk, il était du même coup catapulté dans la vie de famille : les deux fils de la jeune femme, alors âgés de trois et six ans, faisaient partie du « deal ».

La maisonnée s'est agrandie il y a deux ans, avec l'arrivée d'un autre garçon. Les deux grands frères sont avec eux 60 % du temps.

Même s'ils ne sont pas ses enfants, Patrick paie tout de même la moitié des dépenses familiales. « On ne calcule pas tout à la cenne près, explique-t-il. Je ne peux pas les appeler « mes fils », mais ils font partie de ma famille, ils influencent ma vie, et ça ne me dérange pas d'assumer certaines dépenses pour eux. Ce qu'ils m'apportent, de toute façon, ça n'a pas de prix ! »

Ailleurs, comme chez Brigitte et Carlos - chacun deux enfants en garde partagée - , les parents déboursent les dépenses de leurs propres rejetons, partagées avec leurs ex-conjoints respectifs. Pour le reste (logement, épicerie), on sépare moitié-moitié.

« Ce qui nous complique la vie, ce sont les questions fiscales, confie Brigitte. Nos prestations pour enfants ont diminué depuis qu'on est conjoints de fait. Et c'est compliqué de déterminer qui déclare les enfants à sa charge, qui demande les crédits d'impôt du service de garde, pour ensuite se partager les montants reçus. »

Migraine financière

Vous trouvez stressant de parler d'argent en couple ? Si vous formez une famille recomposée, attachez votre tuque ! Vous risquez d'atteindre le summum de la complexité.

Chaque parent doit-il payer seulement pour ses propres enfants ? Selon la durée de leur présence à la maison, leur âge et leur utilisation du garde-manger ? Quelle somme demander à celui qui emménage dans la maison de l'autre ?

« Il y a énormément d'irritants potentiels, surtout quand on n'a pas les mêmes revenus ni le même nombre d'enfants », souligne Guylaine Fauteux, conseillère à l'ACEF de Lanaudière, qui a participé à la rédaction d'un guide pour les couples dans de telles situations.

Autre complication, les ex... Signe qu'ils sont un sujet de discorde, peu de familles recomposées ont accepté de témoigner ouvertement de leurs arrangements financiers et des écueils auxquels elles font face, pour éviter d'exacerber des tensions bien présentes.

Il n'y a pas de recette financière toute faite pour ces maisonnées atypiques. Mais voici quelques pistes pour tenter d'éviter une autre séparation...

Parler d'argent

« Le couple doit parler d'argent dès le début de la relation, pour trouver une entente qui lui paraît juste et équitable », dit Guylaine Fauteux. Si l'un des conjoints se sent défavorisé par l'arrangement financier, il accumulera des frustrations qui, à la longue, peuvent provoquer une crise. « Il faut être prêt à changer ses habitudes de vie pour s'adapter à la nouvelle famille », ajoute la conseillère budgétaire.

Ouvrir ses livres

Ne cachez pas de squelette dans votre placard. « Mieux vaut être transparent sur ses revenus, ses dettes et ses obligations financières, comme le paiement d'une pension alimentaire », recommande Mme Fauteux, qui a déjà vu de nouvelles conjointes découvrir l'ampleur des dettes de leur nouveau chum en recevant des appels d'agents de recouvrement.

Ranger la calculette

Une famille, ça demande un certain investissement. Le nouveau conjoint doit « adopter » les enfants de l'autre pour que la recomposition fonctionne.

« On ne peut pas tout calculer, sinon la relation ne durera pas, remarque Mme Fauteux. Généralement, plus le temps passe, plus les couples partagent dépenses et revenus. »

Toutefois, le nouvel amoureux n'a pas d'obligation de payer pour l'enfant de l'autre. « Il faut se rappeler qu'un enfant a deux parents et que c'est à eux de voir à ses besoins », souligne Me Jean-François Chabot, président de l'Association de médiation familiale du Québec.

Vérifier l'impact fiscal

Un parent vivant seul avec ses enfants reçoit des prestations gouvernementales plus importantes. S'il se remet en couple, l'aide de l'État est calculée selon le revenu du ménage, ce qui risque d'amputer la somme versée. Même si le nouveau conjoint ne contribue pas aux dépenses des enfants.

Lisez notre dossier sur « Le boulet fiscal des familles recomposées » 

Signer un contrat

En cas de séparation, les couples en union de fait n'ont pas droit au partage du patrimoine familial. Comment se protéger ? « Un contrat de vie commune peut déterminer les responsabilités financières de chacun, le partage des biens, des propriétés et autres actifs en cas de séparation, dit Jean-François Chabot. Ça permet d'avoir des règles claires. »

Penser à la mort

Au moment du décès, veut-on favoriser son conjoint ou ses enfants ? Si le couple est copropriétaire de la résidence familiale, qui héritera ? Une mise à jour du testament s'impose pour éviter les chicanes potentielles au salon funéraire.

De moins en moins marginales

• 16 %: Proportion des couples avec enfants qui forment des familles recomposées au Québec. Au Canada, c'est 12,6 %.

• 132 555: Nombre de familles recomposées au Québec lors du recensement de 2011.

• 31 %: Proportion des enfants de 8 ans ayant déjà vécu la séparation de leurs parents.

• 13 %: Proportion d'enfants de 6 ans qui ont déjà vécu avec un beau-parent (2004), ce qui représente la moitié des enfants de parents séparés.

• 23,2 %: Proportion des enfants québécois qui vivent en garde partagée après une séparation, très majoritairement établie sans recours aux tribunaux.

• 109 000: Nombre d'enfants vivant en garde partagée au Canada.

• 1 285 000: Nombre de Québécois dont les parents sont séparés (tous âges confondus).

Sources : Diversité et mouvance familiales pendant la petite enfance, Institut de la statistique du Québec, 2010, Enquête sociale générale de 2011, Statistique Canada, Comité consultatif sur le droit de la famille, 2015

Petits et gros écueils financiers

Quand on fusionne sa famille avec celle de son amoureux, on met en commun plus que sa marmaille et son mobilier. Les traces financières de notre ancienne vie ne s'effacent pas de sitôt. Ex-conjoints, pensions alimentaires, dettes accumulées, mauvais historique de crédit, habitudes de dépenses pour les enfants...

Des personnes qui en ont fait l'expérience ont exprimé quelques-unes de leurs frustrations.

« Mon conjoint a un enfant en garde partagée et verse une pension alimentaire à son ex-femme. Notre budget est très serré. Elle, par contre, vit avec un homme riche. Elle n'a pas besoin de cet argent, mais le calcul de la pension n'en tient pas compte. »

« Je paie seule les équipements de ski de mes filles, leur père ne contribue pas. Mais ensuite, la fille de mon nouveau conjoint les utilise. Je lui ai donc demandé d'en payer une partie, puisque sa fille en profitera plus tard. »

« Mon ex-conjoint a des problèmes financiers et ne peut verser sa part pour les dépenses de nos filles. Je lui ai aussi prêté de l'argent, afin qu'elles ne manquent de rien quand elles sont chez lui. Avec mon nouveau conjoint, nous voulons rénover la maison. Je tiens à payer la moitié des travaux, mais je suis au maximum de ma marge de crédit, à cause de la situation de mon ex. Mon chum refusait de reporter le projet, alors j'ai dû le convaincre d'en réduire l'ampleur. »

« Le trampoline, dans la cour, est surtout utilisé par mes enfants, un peu moins par les enfants de mon conjoint. Il est brisé. Qui doit payer la réparation ? »

« J'aime acheter beaucoup de cadeaux aux enfants à Noël, alors que mon conjoint est beaucoup moins généreux à cet égard. Mais le soir du réveillon, ses enfants auraient été tristes d'avoir deux fois moins de cadeaux que les miens. J'ai donc acheté des cadeaux pour ses enfants. »

« Nous partons en vacances. Si nous étions seulement avec notre bébé, on louerait une chambre d'hôtel. Comme le fils adolescent de mon conjoint est avec nous, nous louons un appartement, plus coûteux. Mon conjoint devrait donc assumer une partie plus importante des frais, tout comme il paie le billet d'avion de son fils. Mais nous payons tout de même moitié-moitié. »

« Mes enfants sont déjà couverts par mon assurance collective familiale. Y inscrire les enfants de mon conjoint ne me coûte pas plus cher. Mais j'estime que les quatre parents doivent se partager le coût des primes. Il a cependant été ardu de convaincre l'ex de mon mari de payer sa part. »

« L'ex de mon conjoint gagne un meilleur revenu que lui, mais il ne veut pas lui demander de pension alimentaire pour leur fils, dont ils ont la garde partagée, pour éviter d'envenimer leur relation. Ils partagent les dépenses moitié-moitié. Mon conjoint a donc un budget très serré, ce qui limite nos activités familiales. Il dit qu'il n'a pas d'argent pour les vacances, alors que son ex lui devrait des milliers de dollars. »

« Mon conjoint a un enfant, j'en ai deux. Il gagne un revenu quatre fois supérieur au mien, près de 400 000 $. Mais il insiste pour payer une part moins importante de toutes les dépenses, comme l'épicerie, parce qu'il n'a qu'un enfant. »

BUDGET SÉPARÉ

Les dépenses communes sont partagées moitié-moitié, peu importe le revenu et le nombre d'enfants de chacun. Mais les familles recomposées peuvent considérer que certaines dépenses ne sont pas communes. Par exemple, le coût du logement peut être réparti en fonction du nombre de chambres occupées par les enfants de chacun.

BUDGET CONJOINT

Les dépenses du ménage (loyer, épicerie) sont payées par les deux conjoints au prorata de leurs revenus, et chacun assume ses dépenses personnelles avec l'argent qui lui reste.

Dans les familles recomposées, le partage des frais communs peut être aussi modulé en fonction de la présence des enfants de chacun, tout en respectant la capacité de payer de chaque parent. Les conjoints peuvent décider de considérer les frais rattachés aux enfants comme des dépenses personnelles.

POT COMMUN ET BUDGET COMPENSATEUR

Dans le modèle du pot commun, le « nous » prend le dessus sur le « moi » et le « toi ». Les revenus des conjoints sont mis en commun et toutes les dépenses sont assumées ensemble.

Le budget compensateur est presque similaire, mais une fois les dépenses communes payées, les sommes excédentaires sont séparées également entre les conjoints pour leurs dépenses personnelles.

Les familles recomposées qui adoptent ces modèles font abstraction du nombre d'enfants de chacun.

La médiation pour éviter une nouvelle séparation

Les médiateurs familiaux interviennent surtout au moment de la séparation, pour aider les ex-conjoints à s'entendre sur la garde des enfants, le partage des biens, le calcul d'une pension alimentaire et d'autres sujets potentiellement litigieux. D'ailleurs, les couples avec enfants qui se séparent ont droit, au Québec, à cinq heures de médiation gratuite.

Même si la demande ne cesse d'augmenter, en raison de la hausse du nombre de séparations, les médiateurs tentent aussi de se présenter comme des personnes-ressources qui peuvent aider à prévenir les litiges dans les familles recomposées.

« C'est tout un défi de gérer les enfants et les responsabilités de chacun dans une famille recomposée, tout en ayant une entente sur les dépenses communes et, évidemment, les autres aspects de la vie de couple », souligne le président de l'Association de médiation familiale du Québec, Me Jean-François Chabot.

« Les médiateurs peuvent avoir un rôle de prévention, pour explorer les façons de régler le conflit familial avant qu'il ne dégénère. »

Les médiateurs accrédités peuvent être avocats, notaires, psychologues, travailleurs sociaux ou venir d'autres horizons. Selon la nature des conflits, ils peuvent faire appel à différents types d'expertise.