À 83 ans, Gilles vient d'épuiser ses économies.

Il avait pris sa retraite de l'enseignement universitaire à l'âge de 65 ans et avait divorcé à la même époque. Sa conjointe d'alors n'ayant jamais travaillé, ses épargnes en REER, son régime de retraite et sa rente de la RRQ avaient été partagés en deux.

Il vit depuis lors avec France, avec qui il s'est marié en 2001.

Or, au moment où Gilles se trouve à court d'épargnes, France, âgée de 66 ans, met un terme à ses revenus autonomes.

« J'avais pris une première retraite en 2008, mais j'ai toujours travaillé comme consultante depuis, explique-t-elle. C'est un revenu de 50 000 $ qui disparaît. »

Gilles touche un revenu net de 2478 $ par mois, constitué de la PSV, de la RRQ et de son régime de retraite.

Avec sa rente de retraite et la rente de la RRQ qu'elle touche depuis ses 60 ans, France a désormais un revenu net de 2225 $ par mois.

« C'est clair que je vis maintenant au-dessus de mon revenu », dit-elle. 

PREMIER BUDGET

Gilles et france devront donc comprimer leur budget. Le problème, c'est que jusqu'à récemment, ils n'en tenaient aucun.

Il y a quelques semaines, pour la première fois, le couple a établi un plan de dépenses.

« Une de mes grandes questions, c'est à quel point c'est réaliste, indique France. On a pris tous nos papiers pour établir nos dépenses, mais j'ai le sentiment que moi, je dépense beaucoup plus que ça. »

Selon leurs calculs, France arrivera à court de 280 $ par mois, alors que Gilles dégagera un surplus mensuel de 348 $.

Il y a déjà là l'indice d'un manque de réalisme. Selon ces prévisions, Gilles dépensera légèrement moins que ses revenus, alors qu'au fil du temps, il a dû puiser dans ses épargnes jusqu'à les mettre à sec.

« La raison pour laquelle mon mari n'a plus d'économies, c'est qu'on voyageait quand on avait le goût », explique France.

À présent, « on s'est fait un budget voyage et on dépose l'argent dans un compte spécial ».

Ils prévoient y consacrer 350 $ chacun par mois.

DES QUESTIONS

Cette nouvelle situation soulève quelques questions.

« Comme mon revenu actuel ne suffira pas pour couvrir mes dépenses, je me demande si je devrais prendre la PSV ou piger dans mes FERR quand mes épargnes non enregistrées seront disparues », demande France. Elle détient 86 000 $ en REER et en FERR et 12 000 $ en épargnes non enregistrées.

Par ailleurs, ils songent à rafraîchir les salles de bains, au coût d'environ 15 000 $. Cette dépense s'ajouterait à leur marge de crédit hypothécaire, engagée à hauteur de 50 000 $ et sur laquelle ils ne versent que les intérêts. « On a utilisé la marge de crédit hypothécaire pour des rénovations. Mais est-ce qu'on peut continuer à faire ça ? »

France et Gilles désirent demeurer dans leur condo le plus longtemps possible, en dépit de l'impôt foncier et des charges de copropriété qui « ont augmenté d'environ 25 % dans les cinq dernières années ».

Autre détail : pour l'achat et la rénovation du condo, France a avancé 95 000 $ à Gilles. Cette somme sera remboursée à France par testament, lors du décès de Gilles.

« L'ex-conjointe de Gilles est décédée en 2015, indique France. Peut-il récupérer les montants de pension cédés au moment du divorce en vertu de la loi sur le patrimoine familial ? »

La situation est loin d'être désespérée, mais elle demande des ajustements.

« Il faut que je trouve l'équilibre entre ne pas compter chaque sou, sachant qu'on peut mourir d'un cancer trois ans plus tard, et en même temps penser qu'on peut maintenant vivre jusqu'à 90 ans sans aucun problème. »

PORTRAIT

Gilles, 83 ans

• Rentes de retraite d'employeurs : 15 194 $

• Rente viagère : 6171 $

• RRQ : 7453 $

• PSV : 6676 $

• Total : 35 494 $

• Revenu mensuel net : 2478 $

• Dépenses mensuelles prévues : 2130 $

• Surplus prévu : 348 $

• Épargne épuisée

Actifs : Propriétaire à 50 % de l'appartement du couple, évalué à 470 000 $

Dettes :

• La moitié d'une marge de crédit hypothécaire de 50 000 $

• Créance de 95 000 $ envers sa conjointe

France, 66 ans

• Rente de retraite d'employeur : 26 455 $

• RRQ : 8281 $

• Total : 34 736 $ (sans PSV)

• Revenu mensuel net : 2225 $

• Dépenses mensuelles prévues : 2505 $

• Déficit prévu : 280 $

• Économies : 

• 12 000 $ en épargne non enregistrée

• 86 000 $ en REER et en FERR

• 95 000 $ en prêt à son conjoint remboursable au moment de la vente du condo

Actifs : Propriétaire à 50 % de l'appartement, évalué à 470 000 $

Dettes : La moitié d'une marge de crédit hypothécaire de 50 000 $

MAIS QUI DÉCÉDERA LE PREMIER ?

France, âgée de 66 ans, devrait-elle demander la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) immédiatement ou attendre à 70 ans pour toucher la majoration maximale de 36 % ?

Mais le problème de déficit budgétaire se pose maintenant, souligne la planificatrice financière Hélène Bronsard.

Si France demande la PSV à 66 ans et demi, elle touchera une pension majorée de 10,8 % (0,6 % par mois après le 65e anniversaire), soit environ 7585 $.

Ses revenus bruts atteindraient ainsi 42 320 $.

En soustrayant l'impôt, France disposerait d'environ 2835 $ par mois, c'est-à-dire 330 $ de plus que son coût de vie estimé.

« Voilà qui réglera son problème de déficit », observe la planificatrice. France réservera ainsi ses épargnes pour d'autres usages.

PATRIMOINE RÉCUPÉRABLE ?

Maintenant que la première conjointe de Gilles est décédée, celui-ci peut-il toucher la part de son régime de retraite qu'il lui a cédée lors du divorce, s'enquiert France ? Hé non. Le partage du patrimoine familial est définitif.

« Le patrimoine cédé lors du divorce appartient à la personne décédée et est dévolu à sa succession », dit Hélène Bronsard, planificatrice financière.

RÉNOVER LES SALLES DE BAINS ?

Gilles et France estiment le coût de la rénovation des salles de bains à 15 000 $, somme qui s'ajouterait à leur créance de 50 000 $ sur marge de crédit. Cet emprunt supplémentaire ferait passer les paiements d'intérêt de 125 $ à 165 $ par mois, calcule la planificatrice ; le capital serait remboursé à la vente de la propriété.

« Cependant, soulève-t-elle, le risque d'augmentation des taux d'intérêt est présent, ce qui aurait des impacts multiples. »

Cette hausse du coût de l'emprunt aurait une incidence négative sur le marché immobilier et sur la valeur marchande du condo. L'investissement en rénovation aurait de fortes chances de ne pas être récupéré à la revente.

Si le couple tient à ce projet, la planificatrice lui suggère d'économiser la somme nécessaire avant de lancer les travaux.

GESTION DU COÛT DE VIE

Devant les incertitudes de leur toute nouvelle discipline budgétaire, Gilles et France auraient intérêt à déjà resserrer certaines dépenses, d'autant plus que les frais de logement augmenteront probablement plus vite que leurs rentes de retraite.

Pour éviter de sabrer dans son budget de voyage, le couple a déjà évoqué l'idée de vendre sa voiture pour privilégier le transport en commun et les taxis. Pourquoi ne pas emprunter dès maintenant cette avenue ?

SI GILLES DÉCÈDE

Le problème budgétaire se posera avec plus d'acuité quand un des deux conjoints partira pour un paradis non fiscal - vraisemblablement Gilles, plus âgé d'une quinzaine d'années.

Le conjoint survivant devra assumer en entier les dépenses de logement, qui s'élèvent actuellement à 1840 $ par mois.

En plus de la sienne, France aurait donc à payer la part de Gilles de 920 $, ce qui entraînerait pour elle un déficit budgétaire de près de 600 $.

« Par ailleurs, les frais de base et taxes ont augmenté de 25 % au cours des cinq dernières années, souligne Hélène Bronsard. C'est beaucoup, et on nous annonce de nouvelles hausses pour 2016. Ce coût n'ira pas en décroissant. »

Mais peut-être le décès de Gilles apporterait-il à France des revenus supplémentaires ?

Voyons voir.

La rente du régime complémentaire de Gilles aurait pu être réversible au conjoint, mais en raison de la grande différence d'âge, il n'a pas retenu cette option, pour éviter de trop réduire sa propre rente de retraite.

Reste la rente de conjoint survivant de la RRQ.

Le conjoint survivant peut toucher jusqu'à 60 % de la rente du conjoint décédé, mais un plafond s'applique à la rente combinée qu'il peut toucher de la RRQ, c'est-à-dire sa rente propre plus la rente transférée du défunt.

Le calcul, d'une complexité à défriser Einstein, dépend de plusieurs facteurs : le maximum de la rente de retraite de base pour l'année en cours, l'âge du conjoint survivant, l'année et l'âge du conjoint survivant au moment où il a commencé à toucher sa propre rente de retraite.

Si Gilles décédait en 2016, le plafond de la rente combinée de France serait fixé à 765 $, soit 70 % de la rente de base maximale de 1092,50 $ pour 2016.

Ce facteur de 70 % est « le facteur d'ajustement qui s'applique à la rente combinée des personnes nées avant 1954 et ayant débuté leur rente de retraite à 60 ans », nous explique la RRQ.

Puisque la rente de la RRQ de France est indexée à environ 699 $ en 2016, la rente de conjoint survivant de France s'établirait donc à 66 $ par mois.

Cette petite augmentation serait largement insuffisante pour compenser le doublement du coût de logement.

« Dans un tel contexte, France devra puiser dans ses économies pour continuer à vivre dans son condo, en attendant de monnayer la valeur de la propriété en la vendant et se faire rembourser la dette de Gilles envers elle », constate Hélène Bronsard.

Elle encourage donc France à « conserver son épargne le plus longtemps possible, car cette liquidité lui sera nécessaire dans le cas où son conjoint décède avant elle ».

SI FRANCE DÉCÈDE

Si France décédait la première, Gilles ne se trouverait pas dans une situation aussi délicate. Outre une petite rente de conjoint survivant de la RRQ, il aurait droit à 60 % de la rente de retraite complémentaire de France. Dans les conditions actuelles, il ajouterait plus de 900 $ à son revenu mensuel net.

Mais les probabilités ne sont pas en sa faveur.