Plus en forme et plus riches que la génération précédente, les grands-parents d'aujourd'hui ont davantage de temps et d'argent à consacrer à leurs petits-enfants. Cela se traduit en économies substantielles pour les parents. Mais que les aïeuls y prennent garde : trop de générosité pourrait leur jouer de mauvais tours...

UNE AIDE INCONTOURNABLE

« Que je t'aime ! », s'exclame Pauline Plourde en faisant des chatouilles à sa petite-fille Geneviève, 2 ans, qui éclate d'un rire cristallin alors que le photographe de La Presse prend ses derniers clichés.

La fillette est le premier petit-enfant de Mme Plourde et de son mari Serge Mainville. Les nouveaux grands-parents se font une joie de la gâter. En plus de la garder régulièrement, ils cotisent à son régime enregistré d'épargne-études (REEE) et lui achètent des articles pratiques comme des vêtements et des souliers.

« Nous nous sommes toujours promis que nos enfants et petits-enfants profiteraient de notre héritage de notre vivant », déclare la grand-maman de 59 ans qui a pris sa retraite du réseau de la santé où elle occupait un poste de cadre supérieure. 

Elle fait partie de cette nouvelle génération de grands-parents, plus jeune, plus en forme et plus riche que la précédente. Les baby-boomers - ou désormais papy-boomers diront certains - consacrent ainsi pas mal de temps et d'argent à leurs petits-enfants qui, moins nombreux en raison du déclin démographique, profitent davantage des largesses de Papi et Mamie. 

« À l'époque des familles nombreuses, les grands-parents ne pouvaient pas s'impliquer autant auprès de leurs petits-enfants », fait remarquer Francine Ferland, ergothérapeute, professeure émérite à l'Université de Montréal et auteure du livre Grands-parents aujourd'hui - Plaisirs et pièges.

Ce renversement de situation a ses bons côtés. Les grands-parents sont souvent les premiers désignés pour prendre le relais des parents quand ces derniers font des heures supplémentaires ou veulent s'accorder un moment de répit. Ce sont eux aussi qui donnent un coup de main à la maisonnée en cuisinant des petits plats et en assumant une partie des tâches ménagères.

Un investissement en temps qui se traduit en économies substantielles pour les parents. La maman de Geneviève, Marianne Plourde-Mainville, en sait quelque chose, elle qui n'a jamais eu recours aux services d'une petite gardienne - dont le tarif horaire varie entre 7 et 13 $ selon l'expérience de la personne et la région. « Les frais de gardiennage poussent bien des couples à y penser à deux fois avant de sortir », signale-t-elle.

« On sous-estime la valeur financière du temps consenti par les grands-parents. », dit Francine Ferland.

En 2014, une étude réalisée par des organismes de bienfaisance britanniques a conclu que le soutien des grands-parents vaut la somme astronomique de 16 milliards par année.

De tels élans de générosité se retournent parfois contre les aînés qui se font littéralement exploiter par leurs enfants. « Il faut apprendre à mettre ses limites. C'est important d'avoir une vie en dehors des petits-enfants », affirme l'ergothérapeute.

Chose que Pauline Plourde a mise au clair avec Marianne et ses deux soeurs avant même qu'elles ne songent à fonder une famille. « C'était entendu avec mes filles : nous serons des grands-parents aimants et aidants, mais nous ne serons pas des esclaves, relate-t-elle. Nous avons vu trop de jeunes grands-parents traités comme tels. »

ATTENTION À LA SURCONSOMMATION

Évidemment, les grands-parents dépensent plus qu'autrefois pour gâter leurs petits-enfants, ce que déplore Francine Ferland. « Certains s'efforcent d'offrir des cadeaux chers et sophistiqués pour démontrer leur amour à leurs petits-enfants ou encore, par esprit de compétition envers les autres grands-parents. C'est dommage, car ce qu'il y a de mieux à donner à un enfant, c'est du temps », dit-elle.

« C'est vrai que des grands-parents feraient n'importe quoi par amour pour leurs petits-enfants », acquiesce Angela Iermieri, planificatrice financière au Mouvement Desjardins. Elle invite toutefois les aînés à bien garder à l'oeil leurs finances.

« Donner son argent de son vivant ne doit pas se faire au péril du reste de sa retraite, car on ne sait jamais jusqu'à quel âge on vivra et quels seront les coûts associés à sa longévité, particulièrement en ce qui a trait aux soins de santé. »

Pauline Plourde n'a jamais inclus dans son budget les achats consacrés à Geneviève. En revanche, elle ne gâte pas sa petite-fille outre mesure. « Je fais des dépenses ponctuelles et utiles, insiste-t-elle. Par exemple, ma fille compte transformer la chambre de Geneviève prochainement. Nous paierons les nouveaux meubles et la décoration. » 

Chez les Plourde-Mainville, pas question de donner des jouets ou des bonbons à tout vent. « On réserve ça aux occasions spéciales comme les anniversaires et Noël », explique la grand-maman qui préfère de loin faire une virée au parc avec Geneviève plutôt que de faire les boutiques.

CHEZ LES GRANDS-PARENTS QUÉBÉCOIS...

• 78 % affirment être impliqués dans la vie de leurs petits-enfants

• 76 % gardent leurs petits-enfants

• 44 % sont accompagnateurs lors d'activités scolaires

• 43 % sont présents lors des vacances familiales annuelles

• Quelque 25 % soutiennent financièrement les études de l'ensemble de leurs petits-enfants avec une contribution moyenne annuelle de 2000 $. La majorité de ces grands-parents privilégie le régime enregistré d'épargne-études, suivi du compte épargne et du CELI.

• 80 % offrent des cadeaux en argent à leurs petits-enfants à Noël

Source : sondage CROP réalisé en ligne pour le compte d'Universitas, du 11 au 15 mars 2015, auprès de 207 Québécois âgés de 55 ans et plus ayant un ou plusieurs petits-enfants.

TRUCS ET ASTUCES

Comment choyer ses petits-enfants sans devenir complètement gâteau et, par le fait même, entamer ses revenus et négliger sa vie de retraité ? Voici quelques trucs et astuces pour y voir plus clair.

Faire un budget

Cela semble relever de l'évidence, mais les cordons de la bourse se délient rapidement quand il s'agit des petits-enfants. Pourtant, c'est une donnée à inclure dans sa planification de retraite au même titre que les coûts liés au logement, à la santé, aux loisirs, etc. 

« Avec l'accroissement de la longévité, les retraités doivent apprendre à gérer leurs finances à long terme, signale Angela Iermieri, planificatrice financière au Mouvement Desjardins. Les conseillers et les planificateurs ont les outils pour faire une projection sur plusieurs années et ainsi déterminer quel montant allouer à chaque petit-enfant annuellement tout en respectant son budget. »

Investir dans un REEE

Pour les grands-parents soucieux de l'avenir de leurs petits-enfants, le régime enregistré d'épargne-études (REEE) demeure le meilleur véhicule financier, selon Angela Iermieri. « On peut placer jusqu'à 50 000 $ par enfant, un montant qui croît à l'abri de l'impôt tout en bénéficiant des subventions combinées des gouvernements qui valent au moins 30 % des cotisations versées, explique-t-elle. Je connais peu de placements qui donnent un tel rendement. » 

Si les grands-parents choisissent le REEE, devraient-ils être les souscripteurs ? « C'est un choix personnel, répond-elle, mais il faut se rappeler qu'advenant le cas où l'enfant ne poursuive pas d'études postsecondaires, les intérêts générés par le capital seront imposés au souscripteur, à moins de les transférer dans un REER si on a moins de 71 ans. »

Suivre l'argent donné

Pour les grands-parents qui souhaitent avoir davantage de contrôle sur les sommes octroyées à leur descendance, il existe trois moyens, indique Angela Iermieri : ouvrir un REEE en tant que souscripteur, ouvrir un compte d'épargne en son nom pour son petit-enfant ou créer une fiducie testamentaire avec des clauses spécifiques indiquant que l'argent appartient au petit-enfant et les conditions pour en disposer.

Savoir dire non

Dans beaucoup de familles, les grands-parents deviennent malgré eux les gardiens attitrés des petits-enfants. « Pour éviter cela, ils doivent apprendre très tôt à mettre leurs limites et à ne pas acquiescer à toutes les demandes des parents, sans quoi ils risquent de mettre leur vie personnelle entre parenthèses », estime Francine Ferland, ergothérapeute. 

On peut en discuter franchement avant même la naissance de l'enfant, mais on peut aussi y aller en douceur en aidant les parents à se constituer un réseau social assez étendu pour ne pas toujours s'en remettre aux grands-parents.

Réfléchir aux valeurs à transmettre

Un gros cadeau aura toujours un effet boeuf auprès des enfants. Mais il ne faudrait pas en faire une habitude, prévient Francine Ferland. « Quel genre de valeur transmet-on ainsi aux petits-enfants ? demande-t-elle. En offrant des présents dispendieux à répétition, on insiste sur l'importance de l'argent et de la surconsommation. Est-ce vraiment cela qu'on souhaite leur enseigner ? N'est-il pas préférable de leur montrer que l'amour ne s'achète pas en leur consacrant davantage de temps ? »

Gâter sans dépenser

Confectionner des biscuits, apprendre à siffler, aller pêcher, faire du bricolage, se promener en forêt, observer les animaux, jouer à un jeu de société : voilà tout plein d'activités qui sont à la portée de toutes les bourses. 

« Ce sont souvent les choses les plus simples qui font le plus plaisir aux enfants et qui resteront à jamais gravées dans leur mémoire. Et ça, ça n'a pas de prix », rappelle Francine Ferland.

À QUAND LE CONGÉ « GRAND-PARENTAL » ?

La majorité des grands-parents sont encore sur le marché du travail lorsqu'arrive leur premier petit-enfant. Pour beaucoup, cela signifie de renouer avec la difficile conciliation travail-famille alors que les nouveaux parents quémandent sans cesse leur aide. Si bien que des pays européens ont instauré un congé « grand-parental » payé ou sans solde.

Souvent, ce sont des congés à l'origine parentaux qui sont transférables aux grands-parents travailleurs. C'est le cas en Allemagne et en Hongrie. Le Royaume-Uni s'y mettra à son tour en 2018. 

Et au Québec ? « À ma connaissance, on n'a jamais évoqué une telle mesure, mais ce serait intéressant d'en analyser les répercussions qui, selon moi, seraient sans aucun doute positives », déclare Francine Ferland, ergothérapeute, professeure émérite à l'Université de Montréal.