Patrick adore son « petit duplex » situé dans un quartier résidentiel de Montréal qu'il a acheté il y a cinq ans avec un ami du boulot. « Nous étions tous les deux célibataires et à cause des prix élevés des immeubles, il était avantageux d'acheter ensemble. Aujourd'hui, je demeure au deuxième étage et Jean-François, au rez-de-chaussée », raconte l'homme de 35 ans.

À ce jour, Patrick et Jean-François ont investi près de 20 000 $ en rénovations : toiture, façade de briques, fondations. « Nous avons payé en fonction de la quote-part établie avec le notaire lors de l'achat », dit-il.

Jean-François détient 53 % de la propriété et Patrick, 47 %.

L'an dernier, Patrick a poursuivi les rénovations. Il a changé les fenêtres de son étage et il a refait la grande terrasse qui donne sur sa cuisine.

« Comme c'est moi qui en bénéficie, c'est moi qui ai payé. » En tout, ces travaux lui ont coûté 7000 $.

Cette année, Patrick veut refaire sa cuisine. « La pièce est mal conçue, elle n'est pas réellement ergonomique, et le look date d'une autre époque », dit-il. Pour ce faire, il compte installer la laveuse et la sécheuse dans une autre pièce et déplacer un mur. « Pour ce qui est du job de comptoirs et d'armoires, je vais l'effectuer avec un ami. » Patrick évalue ces rénovations à 10 000 $.

Et c'est là qu'il se questionne. « Comme j'ai acheté avec un ami, si je veux aller chercher une marge de crédit hypothécaire, on me dit que les deux en seront responsables. Je ne sais pas si je me sens à l'aise d'impliquer Jean-François. »

Patrick jongle donc avec l'idée de se tourner vers d'autres solutions : marge de crédit (7,9 % d'intérêt), carte de crédit (12 %), retrait de REER.

« Financièrement parlant, je sais que je suis perdant, alors je me demande s'il y a une façon de procéder », dit-il.

À cela s'ajoutent d'autres considérations. Jusqu'à présent, Patrick et Jean-François dénouent sans problème leurs rares différends. « Notre but a toujours été de minimiser les frustrations et que personne ne se sente frustré d'une situation », dit-il.

Toutefois, Patrick est conscient que tout va bien jusqu'à ce que ça n'aille plus. « Et là, j'investis des sommes importantes sur ma partie du duplex : nouvelles fenêtres (4000 $), la porte (1000 $), la terrasse (2000 $) et les éventuelles rénovations intérieures (10 000 $). De son côté, pour des raisons qui sont les siennes, Jean-François n'investit pas autant. »

Du coup, comme leur duplex gagne en valeur en fonction des rénovations de Patrick, ce dernier devrait-il s'organiser pour que ces investissements soient reconnus? « En fin de compte, comme nous sommes tous les deux propriétaires, est-ce qu'il pourrait bénéficier de ces rénovations à mon détriment ? Et si c'est le cas, comment puis-je m'organiser pour que mes investissements soient considérés ? »

PORTRAIT

Valeur de la maison en 2015 : 425 000 $

Hypothèque actuelle : 305 000 $ (3,8 % d'intérêt)

Versements mensuels totaux : 3000 $

Versement Patrick (47 %) : 1410 $

Versement Jean-François (53 %) : 1590 $

Impôt foncier et taxe scolaire : 500 $/mois

Revenu : 90 000 $

Prêt personnel : 9500 $

Carte de crédit : 2000 $

REER : 26 000 $

Solution

« Financièrement parlant, pour des rénovations, la marge de crédit hypothécaire reste la solution la plus avantageuse », avance sans l'ombre d'une hésitation Luc Monarque, conseiller en développement de l'offre hypothécaire au Mouvement Desjardins.

La plupart des institutions financières offrent la possibilité de diviser une même marge de crédit hypothécaire en cinq segments. Une solution tout indiquée pour un projet de rénovations comme celui de Patrick.

Antoine Roy est conseiller expert en services bancaires à la Banque Royale du Canada (RBC) : « Chaque segment peut être établi en fonction de caractéristiques qui lui sont propres : taux d'amortissement, termes du remboursement en fonction de ce qui lui convient, etc. »

Patrick pourrait donc emprunter 10 000 $ avec un segment destinés précisément à ses rénovations. Selon le contexte actuel, le taux d'intérêt qu'il pourrait obtenir graviterait autour de 3,35 %, selon Antoine Roy.

En remboursant sur une période de 2 ans - paiement de 200 $ toutes les 2 semaines -, « il aura déboursé 344 $ en intérêt », dit-il.

Évidemment, en cas de défaut de paiement, son ami Jean-François serait également pénalisé. « Il faut comprendre que ce type d'emprunt est lié à l'hypothèque qu'ils ont tous les deux signée », rappelle Luc Monarque.

Impossible de déroger à ces conditions... à moins de se tourner vers d'autres solutions.

Si Jean-François ou Patrick ne se sent pas à l'aise, ce dernier peut se tourner vers un prêt conventionnel ou l'utilisation d'une simple marge de crédit. « Évidemment, les taux ne sont pas aussi avantageux qu'une carte de crédit qui est à proscrire, selon moi », indique Antoine Roy.

Et pourquoi ne pas économiser ? avance candidement Antoine Roy. Le salaire de Patrick semble le permettre. « Évidemment, ça dépend de ses dépenses, mais il pourrait tout simplement ouvrir un compte d'épargne et déposer un montant fixe par semaine durant un an, ce qui lui permettrait de payer en partie, voire en totalité, ses rénovations. »

Quant à sortir des sommes du REER, Luc Monarque met en garde Patrick. « Cet argent est normalement destiné à la retraite », souligne-t-il. Il rappelle que le marché immobilier, quoique relativement stable, évolue. Il est imprévisible à long terme, il ne peut être perçu comme un placement pour une retraite. « Il n'est pas dit qu'un immeuble prendra autant de valeur qu'on l'espère. Rappelons-nous il y a quelques décennies, le prix des maisons avait baissé considérablement », dit-il.

Perspective

Plus ça change, moins c'est pareil. Nombre de jeunes dans la vingtaine et la trentaine unissent leurs comptes en banque pour acheter une propriété. Quoique toujours marginal, le phénomène gagne en importance.

Il s'agit là d'un contexte générationnel, indique Luc Monarque de chez Desjardins : « La valeur des propriétés a considérablement augmenté. Non seulement le temps nécessaire pour amasser une mise de fonds est plus long, mais encore ces jeunes doivent le faire en payant des loyers plus élevés. »

Le défi est de taille, poursuit-il : « Les gens ne doivent pas embarquer là-dedans en pensant que c'est simple. La bonne entente est de mise. »

Première étape pour mettre les chances de son côté : établir des règles écrites qui seront notariées avant même l'achat de la propriété. « Il doit y avoir une convention de copropriété qui encadre le fonctionnement et définit le rôle et l'implication de chaque partie. »

Il en va de la protection de chacun. « Et je vous assure, mieux vaut le faire avant qu'une chicane éclate », précise-t-il.

Son de cloche similaire de la part d'Antoine Roy, de la Banque Royale du Canada : « Le notaire sera en mesure de baliser plusieurs aspects, dont la responsabilité de chacun lors de rénovations, en fonction du type de rénovations. »

La situation est d'autant plus délicate que les deux propriétaires locataires ne partagent pas nécessairement la même vision de la gestion d'une propriété. Des différences qui peuvent découler de considérations aussi terre à terre que les écarts de salaire des parties impliquées.

Toute impression d'iniquité - qu'elle soit fondée ou non - peut rapidement devenir « un sujet sensible », concède Antoine Roy. Au fil du temps, il est de plus en plus difficile d'établir la part de la valeur d'une propriété qui est attribuable à des rénovations spécifiques.

Encore faut-il que les sommes investies donnent une réelle valeur à une propriété. Pour assurer une bonne entente, « il serait bien de se tourner vers un évaluateur afin de partager les rénovations susceptibles de donner de la valeur de celles qui n'auront pas vraiment d'impact. »

En fonction de la somme investie, poursuit Antoine Roy, il peut être conseillé de « mettre cela sur papier » avec un notaire. « Si quelqu'un compte investir une grosse somme - 20 000 $, par exemple -, il serait possible de mettre ça par écrit et d'établir la valeur que représentera cet investissement pour l'immeuble », dit-il.

Quant au suivi par écrit entre les propriétaires - noter toutes les dépenses sur une fiche Excel, par exemple -, Antoine Roy souligne qu'il peut s'agir d'un bon moyen pour assurer la traçabilité de ce qui est fait sur une propriété, mais que ces documents « n'auront pas pour autant de valeur légale » en cas de litige.