Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Sadiq S. Adatia, premier directeur des placements et de la gestion de portefeuilles chez Placements mondiaux Sun Life, où il supervise 7,8 milliards de dollars en actifs.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse ?

En fait, depuis deux semaines, ça demeure la baisse de taux d'intérêt par la Banque centrale européenne (BCE). Ce fut un très bon signal pour les marchés financiers, qui souhaitaient depuis un certain temps que la BCE passe de la parole aux actes afin de soutenir la relance de l'économie européenne.

Par conséquent, si la BCE persévère ainsi en Europe, et que l'économie américaine maintient son regain de tonus, ça devrait continuer de soutenir la hausse des valeurs dans les principaux marchés boursiers du monde.

Par ailleurs, alors que les grands indices boursiers, en Amérique du Nord surtout, continuent d'établir des records, un nombre croissant d'investisseurs semblent appréhender une soudaine rechute.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment ?

En priorité, ce sont les données de l'emploi aux États-Unis. Et en particulier le taux de création d'emplois, plutôt que le taux de chômage comme tel.

Autour de 200 000 par mois, le taux de création d'emplois aux États-Unis demeure évidemment positif pour l'économie, mais aussi pour réduire la pression sur certains services publics comme Medicare.

En comparaison, le marché de l'emploi se détériore au Canada, avec des pertes d'emplois un mois et de légers regains le mois suivant. Il n'y a plus de constance, et c'est inquiétant pour l'économie canadienne.

Toutefois, cette menace n'est pas encore assez évidente au point de diluer le faux sentiment de sécurité économique et financière qui persiste au Canada, à notre avis.

En Europe, pendant ce temps, l'évolution du nombre d'emplois depuis quelques mois suggère que le pire est passé et que l'on est parvenu à une certaine stabilisation.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

En répartition générale de portefeuille, nous continuons de préconiser une surpondération en actions pour deux raisons principales.

D'une part, les fondamentaux (économiques et d'affaires) demeurent relativement bons pour l'avenir prévisible, ce qui devrait favoriser un rendement avantageux sur les marchés boursiers.

D'autre part, nous surpondérons les actions parce que dans l'autre grande catégorie d'actifs, c'est-à-dire les obligations, le potentiel de rendement demeure mauvais, inquiétant même, dans la perspective d'une éventuelle remontée des taux d'intérêt encore très bas.

En pondération géographique, nous sommes inquiets du marché boursier canadien, en regain d'optimisme envers les marchés européens - la zone euro est au niveau des États-Unis il y a quatre ans -, et encore très positifs (bullish) envers les marchés américains.

Selon les principaux secteurs, aux États-Unis surtout, nous préférons ce qui est lié à l'économie de consommation. Il y a aussi un bon potentiel de rendement dans les services financiers et les technologies, incluant les télécommunications.

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci ?

Nos principales préoccupations concernent surtout les perspectives défavorables dans l'économie canadienne. En Bourse, ça se traduit par une méfiance envers les entreprises liées au marché des consommateurs et des ménages.

Pourquoi cette méfiance ? D'abord, la faiblesse de la création d'emplois traduit une économie au ralenti pour l'avenir prévisible.

Ensuite, le marché canadien de l'immobilier résidentiel se dirige vers un ressac de l'ordre de 10% à 16%. C'est inévitable à notre avis parce que le coût de posséder une résidence est devenu trop élevé par rapport au revenu des ménages, mais aussi par rapport au coût de location d'un logement équivalent.

Lorsqu'il surviendra, ce ressac de l'immobilier résidentiel touchera d'abord la part considérable du marché canadien du travail qui y est lié.

Ensuite, ce ressac pourrait accélérer le cycle de « désendettement » des ménages canadiens, ce qui réduira encore plus leur niveau de dépenses et, du coup, touchera tout le secteur de la consommation dans l'économie et en Bourse.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement ?

Après le cycle fort que nous venons de connaître en Bourse, et qui continue de pousser les indices à des niveaux records, un nombre croissant d'investisseurs semblent s'attendre à un inévitable ressac.

Or, nous croyons qu'ils sous-estiment la force de l'économie américaine, en particulier le retour en force des consommateurs. Ce contexte économique est très favorable pour l'amélioration des résultats des entreprises américaines.

Par ailleurs, je crois aussi qu'on sous-estime le regain de force dans le système bancaire américain, après la crise de 2008. Les grandes banques américaines ont renforcé leur capitalisation à des niveaux records. Elles ont aussi redressé la qualité et le niveau de leur rentabilité. De plus, les parts de marché ont été renforcées avec la disparition (durant la crise) d'un nombre considérable de leurs concurrentes.

Enfin, dans les marchés internationaux, en Europe notamment, je crois qu'on sous-estime encore le succès économique des mesures d'austérité dans les pays comme la Grèce, qui ont été les plus touchés par la crise financière et la sévère récession qui a suivi.

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Sadiq S. Adatia est premier directeur des placements, Placements mondiaux Sun Life à Toronto. Il dirige une équipe de gestion de portefeuilles qui cumule 7,8 milliards de dollars en actifs sous gestion. La Presse l'a rencontré la semaine dernière à Montréal, en marge d'une conférence de conseillers financiers et clients de Sun Life. Depuis trois ans chez Sun Life, M. Adatia cumule plus de 15 ans d'expérience en gestion de placements, ayant été auparavant chez les firmes Russell Investissements et Mercer Investment Counsulting.