Rien ne sert de faire l'autruche: vous ne dépenserez pas moins à la retraite. Des voyages planifiés par les jeunes retraités aux dépenses liées aux soins de santé en fin de parcours, tout indique que les dépenses évolueront, mais ne diminueront pas. Des spécialistes de la question posent un regard lucide sur les dépenses des retraités.

LES DÉPENSES NE DIMINUENT PAS AVEC LE TEMPS

Combien doit-on épargner pour une retraite confortable ? Les voyages exotiques que vous voulez réaliser dans les premières années de votre retraite coûteront-ils autant que vos soins de santé en fin de parcours ? En d'autres termes, dépenserez-vous autant à 65 ans qu'à 90 ans ? Oui, répondent les spécialistes interviewés.

« Au fil des années, les dépenses se transforment, mais elles ne diminuent pas pour autant », constate Nathalie Madore, vice-présidente de Question Retraite, organisme qui fait la promotion de la planification de la retraite.

Plusieurs sous-estiment les dépenses liées au vieillissement et à la fin de vie. Ils planifient en pensant que celles-ci diminuent. « Mais nous n'avons qu'à penser aux résidences qui représentent des dépenses très importantes. Toutes proportions gardées, il peut en coûter quelques milliers de dollars par mois », dit-elle. Les dépenses des loisirs en début de retraite glisseraient graduellement, mais sûrement, vers celles tout aussi onéreuses des soins de santé.

Une très rare étude canadienne sur le sujet, menée par Statistique Canada en 2009, révèle que les ménages septuagénaires allouent généralement une plus forte proportion de leurs consommations « au logement qu'à la nourriture, aux vêtements et aux soins ». En contrepartie, les coûts liés aux soins de santé augmenteraient.

Son de cloche similaire d'Angela Iermieri, planificatrice financière au sein du Mouvement Desjardins. Elle indique qu'en élaborant les scénarios de décaissement, les planificateurs et leurs clients doivent habilement jongler avec plusieurs considérations : soins de santé, coût des loyers, rêves de voyages.

« Toutes ces estimations diffèrent selon les objectifs 

et besoins de tout 

un chacun. »

- Angela Iermieri, planificatrice financière chez Desjardins

Les dépenses peuvent toutefois varier en fonction de facteurs externes, constate Gaetan Veillette, planificateur financier et conseiller en sécurité financière au Groupe Investors. Il cite en exemple les situations familiales des retraités fort différentes de celles d'autrefois.

« Plusieurs ont eu des enfants tardivement, ce qui peut représenter des frais de logement et de scolarité. Il y a aussi les couples qui se séparent et ceux qui doivent s'occuper davantage des petits-enfants », dit-il.

Si les dépenses ne réduisent pas au fil des années, il est crucial selon M. Veillette de les regrouper en deux catégories : les dépenses substantielles et celles qui sont discrétionnaires.

« Si nous pouvons réduire les dépenses discrétionnaires ­ comme les loisirs, voyages et le restaurant, il est plus difficile d'en faire autant avec les dépenses substantielles, comme les soins de santé ou celles des résidences. »

DES FRAIS SOCIAUX CACHÉS

Les dépenses évolueront au rythme des transformations sociales et démographiques estime Hélène Gagné, gestionnaire de portefeuille et planificatrice financière, Gestion privée Peak. Elles pourraient être plombées par l'arrivée massive des boomers à la retraite et la pression qu'ils exerceront sur le système de santé.

« Est-ce que l'État va fournir la même quantité de services qu'actuellement ? 

De plus en plus souvent, nous allons devoir assumer des coûts. »

- Hélène Gagné, gestionnaire de portefeuille et planificatrice financière chez Gestion privée Peak

Constat similaire lorsque vient le temps de discuter des prestations liées à la retraite qu'offrent les gouvernements provincial et fédéral. « Il y aurait bientôt plus de prestataires que de cotisants. Quels seront les changements qu'apporteront les gouvernements ? », questionne-t-elle.

« Lorsqu'on planifie, il ne faut plus simplement se projeter dans l'avenir, mais il faut brosser un portrait de ce à quoi ressemblera la société demain : les aides financières de l'État, les prestations, les avantages fiscaux », conclut-elle.

LA RETRAITE EN CHIFFRES

PERCEPTION DES RETRAITÉS

41 % des travailleurs qui espèrent une retraite avant 65 ans, comparativement à 21 % en 2003.

17 % des travailleurs qui se prévalent d'une retraite avant 55 ans, comparativement à 33 % en 2003.

62 % des Québécois optent pour une retraite progressive contre 54 % en 2003.

Source : Question retraite, 2013. Sondage réalisé par SOM en collaboration avec la Régie des rentes du Québec ; 1618 répondants âgés de 25 à 64 ans en provenance de toutes les régions du Québec. Marge d'erreur maximale : 2,7 %.

ESPÉRANCE DE VIE DES QUÉBÉCOIS

Espérance de vie à la naissance : 79,8 ans pour les hommes 83,8 ans pour les femmes

Espérance de vie à 65 ans : 84 ans pour les hommes 87 ans pour les femmes

Source : Institut de la statistique du Québec, 2012

DÉPENSES ANNUELLES DES RETRAITÉS

• Couple retraité de classe moyenne : 40 000 à 60 000 $

• Couple retraité de classe moyenne supérieure : 60 000 à 70 000 $

• Célibataire retraité de classe moyenne : 28 000 à 42 000 $

• Célibataire retraité de classe moyenne supérieure : 42 000 à 49 000 $

Source : Statistique Canada, Survey of Household Spending, 2009

L'ESPÉRANCE DE VIE JOUE DES TOURS

Pensant ne pas vivre vieux, les Québécois seraient trop optimistes quant à leur retraite. Des planificateurs financiers déboulonnent les mythes des futurs retraités à l'égard de l'espérance de vie.

« Les Québécois sous-estiment leur espérance de vie », lance d'entrée de jeu Nathalie Madore, vice-présidente de Question Retraite. Selon les sondages de l'organisation, 44 % des Québécois estiment qu'ils n'atteindront pas la durée projetée de l'espérance de vie. « Ce qui est moins connu, c'est que plus quelqu'un avance en âge, plus il peut espérer vivre longtemps », précise-t-elle.

Selon les dernières estimations de l'Institut de la statistique du Québec, l'espérance de vie d'un homme de 65 ans est de 84 ans alors que celui des femmes grimpe à 87 ans. La moyenne des deux - 85,5 ans - dépasse ainsi de près de quatre années la moyenne de l'espérance de vie à la naissance.

« Nous constatons aussi que les gens sous-estiment les risques de longévité. » 

- Hélène Gagné, gestionnaire de portefeuille chez Gestion privée Peak

Pourtant, comme l'espérance de vie représente la durée de vie moyenne, « il y a une chance sur deux (50 %) pour que nous la dépassions ».

D'ailleurs, l'Institut québécois de planification financière (IQPF) recommande aux planificateurs de projeter la probabilité à un taux de 25 % plutôt que de 50 %, repoussant ainsi de quelques années l'espérance de vie envisagée. « Cela a pour but de ne pas se retrouver le bec à l'eau si on la dépasse », dit Hélène Gagné.

« En moyenne, nous essayons de prévoir jusqu'à 90 ans, mais cela pourrait augmenter au fil des prochaines années. 

On remarque qu'il y a beaucoup plus de centenaires qu'auparavant. »

- Angela Iermieri, planificatrice financière au sein du Mouvement Desjardins

Une mauvaise évaluation de l'espérance de vie peut non seulement être trompeuse, mais également coûteuse, particulièrement pour les femmes qui vivent en moyenne plus longtemps que les hommes. « C'est un aspect important de la planification financière », précise-t-elle.

Un sondage de Desjardins Gestion de patrimoine, réalisé en septembre dernier, révélait que 87 % des Québécoises possédant un plan financier se disaient sûres de pouvoir atteindre leurs objectifs financiers dont celui de la retraite. Seul hic : seulement 15 % des Québécoises ont un plan financier écrit.

DÉPENSER EN FONCTION DE SA SANTÉ EN TROIS VOLET

Utopique, la retraite confortable dès 65 ans ? Non. Toutefois, vous devrez la planifier en fonction de vos cycles de dépenses. Hélène Gagné, gestionnaire de portefeuille chez Gestion privée Peak et auteure du livre Votre retraite crie au secours, divise les dépenses à la retraite en trois grands segments dont elle détaille ici les caractéristiques.

Premier segment : LA RETRAITE ACTIVE

Au cours de cette période, les retraités ne dépensent pas moins que lorsqu'ils travaillaient, constate-t-elle. Avec plus de temps, les loisirs prennent plus de place. Ils veulent voyager, maintenir leurs activités coûteuses comme leur abonnement au club de golf. Constatant que des personnes de leur entourage ont des ennuis de santé, ils veulent profiter de la vie au maximum, ce qui est parfois une stratégie pour se donner bonne conscience. Tant qu'ils en ont l'énergie, ils veulent continuer de voyager, et pas nécessairement en Floride : Asie, Europe, voire Afrique. S'ils vendent leur « grande maison », c'est pour se tourner vers l'achat d'une plus petite propriété ou d'un condo... qui coûte aussi cher.

Durée : environ 10 ans (entre 65 et 75 ans)

Deuxième segment : LA STABILISATION

En santé, le niveau d'énergie décroît graduellement, indique Hélène Gagné. Étant plus attentifs à leur état de santé, les retraités choisissent des destinations moins exigeantes sur le plan physique. Aussi, ils changent la fréquence de leurs activités. Ils troqueront leurs abonnements au club de golf ou au centre de ski alpin pour quelques journées d'activités. C'est aussi à ce moment que plusieurs décident de vendre leur propriété pour s'installer dans une résidence pour personnes âgées. C'est également au cours de cette période qu'on peut, si la situation le permet, planifier une réduction des dépenses de 15 à 20 %.

Durée : entre 10 et 15 ans (à l'aube de 80 ans)

Troisième segment : LA PERTE D'AUTONOMIE

Les problèmes de santé se pointent le bout du nez, et les retraités ont besoin de plus de soutien pour leurs activités quotidiennes. Même s'il existe des régimes gouvernementaux, les gens doivent payer davantage pour leurs soins de santé. Pour ceux qui habitent en résidence, le capital dégagé par la vente de leur propriété pourra alors servir à assumer une partie de ces coûts qui, contrairement aux loisirs, sont nécessaires. Encore là, c'est au cas par cas. Le fait de se libérer l'esprit des ennuis financiers ne peut pas nuire à la santé.

Durée : 10 et plus (80 ans et plus)