Le deuil bouleverse. « Il y a huit ans, j'ai hérité de 375 000 $ à la suite du décès subit d'un parent, relate Marie-Ève. À l'époque, j'étais trop déboussolée par la perte pour prendre la moindre décision d'ordre pécuniaire. J'ai donc placé l'argent dans un fonds commun de placement. »

En 2007, elle a encaissé une partie des fonds pour acquérir un condo de 179 000 $, qu'elle a payé comptant.

« À l'époque, je venais de finir mes études et je n'avais pas de revenus stables », relate la jeune femme de 34 ans, qui vit seule et gagne 50 000 $ par année.

En 2012, elle a revendu la propriété 225 000 $.

« Puis j'ai acheté un condo neuf dans un meilleur quartier au coût de 302 000 $ en retirant 29 000 $ de mes placements et en prenant cette fois une petite hypothèque de 80 000 $ », poursuit-elle.

« Je me rends compte que l'immobilier peut être payant, dit-elle. Plus payant que les fonds communs de placement dans lesquels j'ai l'impression que mon argent dort depuis presque huit ans. »

Cette révélation l'incite à caresser un projet audacieux.

Marie-Ève songe à hypothéquer son condo actuel, pour ensuite le mettre en location. Elle espère ainsi déduire le maximum d'intérêts avec ses dépenses d'exploitation. « Présentement, j'ai une toute petite hypothèque et j'aurais besoin de l'argent de la grosse mise de fonds que j'ai appliquée à mon condo pour acheter un nouvel appartement dans lequel vivre », explique l'investisseuse immobilière en devenir.

Elle a l'oeil sur un appartement plus grand dans le même immeuble, au prix de 350 000 $.

« En fonction des autres condos similaires loués dans l'immeuble, j'estime pouvoir réclamer environ 1500 $ de loyer », précise le magnat en herbe.

« Est-ce que tout cela vous apparaît comme une bonne idée ? »

Elle se doute que ses revenus ne lui permettront pas un projet de cette envergure. « J'ai juste l'impression, depuis plusieurs années, de posséder ce levier financier qu'est mon héritage et de ne pas m'en servir de façon maximale. »

PORTRAIT

Marie-Ève, 34 ans

Salaire : 50 000 $

Placements non enregistrés (fonds communs), en provenance d'un héritage : 151 086 $

REER : 39 573 $

CELI : 28 954 $

Propriétaire d'un condo de 650 pi2, acheté en 2012, évalué à 317 700 $

Prix d'achat : 302 000 $

Solde hypothécaire : 77 471 $

Mensualités hypothécaires : 407,66 $

Charges de copropriété (par année) : 1743,96 $

Taxes foncières : 3000 $

Pas de voiture (et pas de conjoint non plus)

INCONFORTABLES CONDOS

Une institution financière ne permettra généralement d'hypothéquer une propriété qu'à concurrence de 80 % de sa juste valeur marchande, rappelle d'abord Josée Laframboise, planificatrice financière chez BMO Groupe Financier.

En supposant que la valeur de 317 000 $ annoncée par Marie-Ève soit juste, elle pourrait donc emprunter 253 000 $ sur son condo actuel. Cet emprunt hypothécaire, amorti sur 25 ans à 3,69 % d'intérêt, entraînerait une mensualité de 1288 $.

Il faut cependant en soustraire la marge de crédit hypothécaire engagée actuellement à hauteur de 77 000 $. Resteraient 176 000 $ applicables au second condo.

Marie-Ève estime pouvoir tirer un loyer de 1500 $ par mois de la location de son condo actuel. Notre planificatrice retient plutôt 80 % de cette somme, soit 1200 $, pour tenir compte des défauts de paiements et de la vacance occasionnelle.

Ces revenus sont toutefois imposables. Problème.

Ponction fiscale

Avec sa stratégie, Marie-Ève dit vouloir « déduire de [ses] impôts le maximum d'intérêts dans [ses] dépenses de location ».

Qu'en est-il ?

« Pour qu'un intérêt soit déductible, il faut entre autres que l'argent soit emprunté pour gagner un revenu de biens ou un revenu d'entreprise, précise le fiscaliste Stéphane Leblanc, associé chez Ernst & Young. Ici, l'argent emprunté sert plutôt à acquérir un condo personnel, et ce, même si l'emprunt est pris sur le condo qui sera converti en bien de location. Les intérêts ne devraient donc pas être déductibles. »

Marie-Ève peut toutefois déduire ses autres dépenses d'exploitation, notamment les charges de copropriété de 1744 $ par année et les impôts fonciers de 3000 $.

De 14 400 $, les revenus de location imposables sont ainsi ramenés à 9656 $.

On leur applique un taux marginal d'imposition de 38,4 %, pour une facture fiscale de 3708 $.

Résultat, les revenus réels de location s'établissent à 891 $ par mois.

Et hop, un petit calcul :

Revenus mensuels de 891 $

- mensualité hypothécaire de 1288 $

- impôts fonciers de 250 $

- charges de copropriété de 145 $

= déficit de 792 $ par mois

« Habituellement, surtout avec deux immeubles comme c'est le cas ici, il est préférable que le premier condo ne soit pas déficitaire », commente notre planificatrice.

Le nouveau condo

Les 176 000 $ dégagés avec l'emprunt sur le condo actuel sont appliqués à la mise de fonds du nouveau condo. Josée Laframboise utilise également 100 000 $ du solde de l'héritage. Il faudra donc y ajouter un emprunt hypothécaire de 74 000 $ pour atteindre le prix d'achat de 350 000 $.

« Avec cette solution, il lui reste 50 000 $ en placements issus de son héritage », commente la planificatrice. « Je voulais lui laisser de la flexibilité. »

Toujours avec un taux d'intérêt de 3,69 % et un amortissement sur 25 ans, la mensualité hypothécaire du nouveau condo s'élève à 376 $.

Et rehop, un petit calcul de ses dépenses :

376 $ de mensualité hypothécaire

+300 $ en impôt foncier

+150 $ en charges de copropriété

+100 $ en électricité

=926 $ par mois

Contraintes budgétaires

Résumons-nous.

Avec le déficit de 792 $ du condo actuel et les dépenses du nouveau condo, les frais de logement de Marie-Ève totaliseraient 1718 $. Cette somme représente 41 % de ses revenus bruts de 4166 $ par mois. « Chez nous, nous acceptons jusqu'à 42 % », indique Josée Laframboise.

Nous sommes à l'extrême limite.

La pression sur le budget est considérable : il s'agit d'environ 800 $ de plus par mois que ses dépenses de logement actuelles.

« Marie-Ève a une lourde charge sur les épaules, observe la planificatrice. Il ne faut pas qu'il y ait le moindre défaut de paiement. Elle n'a pas les reins assez solides et elle est seule. Si elle perd son emploi, elle n'a personne sur qui se reposer. »

Des facteurs qui rendraient ses condos très inconfortables.

Investir dans un condo en location

Le bon moment ?

Un condo comme investissement ?

Le marché de la copropriété est nettement moins pimpant qu'il l'a été.

« Pour 2014, on prévoit un marché d'acheteurs et des prix légèrement à la baisse », énonce David L'Heureux, analyste principal de marché à la SCHL.

Même circonspection à la Fédération des chambres immobilières du Québec.

« On ne prévoit pas de croissance de prix pour 2014 dans la région de Montréal, indique Paul Cardinal, directeur, Analyse du marché. C'est encore un marché qui est en ajustement parce qu'on a présentement un léger surplus. Le marché devrait se rééquilibrer en 2015. »

Dans l'hypothèse où Marie-Ève donnerait suite à son projet, pourrait-elle compter à moyen terme sur une croissance raisonnable de la valeur de ses deux propriétés ?

« Aux fins de votre exercice, je mettrais un accroissement équivalent à l'inflation, ni plus ni moins, parce que la période de marché de vendeurs est terminée, avance Paul Cardinal. Il y a peu de chance qu'on revoit une croissance de prix aussi élevée que celle qu'on vient de connaître au cours des dernières années. »

La location est populaire

« Le marché des condos en location à Montréal est un phénomène en croissance, observe David L'Heureux. C'est un marché qui devrait continuer de prendre de l'ampleur au cours des prochaines années. »

Dans l'île, leur nombre a presque doublé en six ans, passant de 5725 en 2008 à 10 825 en 2013.

« C'est un marché locatif qui, en termes de taux de location, performe assez bien actuellement », poursuit-il.

Dans l'île de Montréal, 13 % des condos sont offerts sur le marché locatif. Ils montrent un taux d'inoccupation de 2,6 %, qui se compare favorablement au taux de 2,9 % du parc locatif standard.

Pourtant, le loyer moyen d'un condo de deux chambres à coucher, à 1240 $, est 66 % plus élevé qu'un logement de deux chambres à coucher sur le marché standard. Cependant, ce loyer s'est ajusté à la baisse, depuis le sommet de 1389 $ atteint en 2010.

Car le point critique réside dans l'établissement d'un loyer raisonnable, correspondant au marché de ce type de logement. Toute vacance ou défaut de paiement peut mettre l'investisseur dans une situation délicate.