Josiane arrive à Montréal. La jeune femme de Québec commence ses études universitaires dans la métropole. L'intimidante et coûteuse métropole...

« Ce sont les malentendus de colocation et les défauts de l'appartement - coquerelles, fuites, fissures - qui me stressent un peu, confie l'étudiante de 19 ans. De plus, j'espère vraiment avoir un bon quartier tranquille et sécuritaire. Oh ! Et j'espère aussi avoir une entrée laveuse-sécheuse, car je crois que le temps va me manquer si je dois aller dans une buanderie ! »

Cet automne, Josiane est hébergée chez un parent, contre une contribution financière modeste.

« Mon copain est resté à Québec, explique-t-elle. On avait prévu déménager ensemble, mais il doit finir une session. »

Il la rejoindra à l'hiver, dans un appartement qui reste à trouver.

Josiane ignore donc la somme qu'elle devra y consacrer. « On va se faire un budget séparé. On fait chacun nos achats séparés pour la cuisine. »

Elle a prévu de son côté une somme de 400 $ pour le loyer, le chauffage et l'électricité, et autant pour son copain.

S'y ajoutent 100 $ par mois pour l'épicerie, plus 100 $ de dépenses connexes, soit pour Josiane un coût mensuel d'environ 600 $.

« Bien sûr, tout cela est une idée approximative, puisque je ne suis pas encore en appartement, dit-elle. Mais c'est l'idée que je me fais de la future situation. »

Si Josiane n'a pas encore de budget défini, elle a une bonne idée de ses entrées de fonds.

Elle travaille 10 heures par semaine, pour un revenu mensuel de 400 $. « Ça sert à payer ma prochaine session », explique-t-elle. Les frais de la session d'automne ont été acquittés avec les gains des derniers mois. Depuis le début de l'année 2013, elle estime avoir gagné environ 6000 $. « Je reçois aussi 300 $ par mois de mes parents pour payer la bouffe et l'appartement », ajoute-t-elle.

Depuis un peu plus d'un an, elle a patiemment accumulé dans un compte séparé l'équivalent de 10 % de ses revenus. Elle a ainsi épargné quelque 1200 $.

« Je vais essayer de ne pas avoir de prêts et bourses, exprime-t-elle. J'ai déjà une bonne réserve. »

Josiane n'a pas de voiture. Elle utilise les transports en commun - 45 $ pour le titre mensuel. Elle envisage de consacrer 60 $ par mois aux sorties et autres extras. « Ça pourrait être un peu plus. Il va falloir faire attention. »

La question : Josiane se réserve-t-elle de mauvaises surprises ?

PORTRAIT

Josiane, 19 ans

Étudiante en 1re année universitaire.

Habite cet automne chez un parent, sera en appartement avec son ami en janvier.

Gains en 2013 : environ 6000 $ jusqu'à la fin d'août

Revenu à temps partiel durant la session universitaire : environ 400 $ par mois

Soutien financier des parents : 300 $ par mois

Épargne : 1200 $

Dépenses mensuelles prévues (frais d'études non compris) : 600 $

Espère ne pas faire appel à l'aide financière aux étudiants.

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LE TRUC : UN MINI BUDGET CHAQUE MOIS

Josiane a quelques difficultés à planifier les dépenses de sa session universitaire et de son premier séjour en appartement.

Consolation, si c'en est une : elle n'est pas la seule. Heureusement, il y a des solutions.

Dans un sondage réalisé par Léger pour Kijiji et publié fin août, 26 % des étudiants postsecondaires québécois interrogés ont indiqué que leur budget en prévision de la rentrée n'était pas suffisant. Un étudiant sur deux (53 %) a affirmé manquer de fonds pour l'achat de livres ou de fournitures scolaires.

Plusieurs étudiants semblent avoir quelques points faibles côté planification.

Il existe à ce propos un mot désuet, presque oublié, qui évoque les billets de 2 $, les pièces d'un sou et autres antiquités pré-électroniques : un budget.

Un exercice mensuel

La difficulté d'un budget étudiant ? Des revenus qui entrent par à-coups, des dépenses inégalement réparties.

Plutôt qu'un budget classique finement détaillé pour toute l'année, mieux vaut faire d'abord une prévision annuelle raisonnable, puis faire au début de chaque mois un exercice budgétaire vérifié.

C'est la méthode que le Centre d'intervention budgétaire et sociale de la Mauricie (CIBES) préconise dans son guide Je pars en appartement.

« Pour les jeunes, un premier appartement est synonyme de liberté, et, mais c'est aussi synonyme d'obligations, fait valoir Virginie Rainville, conseillère budgétaire au CIBES. Il faut bien évaluer son projet et faire les choix qui s'imposent. Les organismes comme le nôtre sont là pour les aider. »

La prévision annuelle est en fait une estimation large, qui permet de compiler les revenus prévus pour l'année afin de les répartir sur 12 mois. On planifie de même le paiement des dépenses occasionnelles, mais importantes - les frais de scolarité, notamment.

« Le budget annuel permet de dire que je dois mettre tant d'argent de côté pour faire face aux dépenses qui n'arrivent qu'annuellement, résume Virginie Rainville. Une fois qu'on a un budget annuel qui nous apparaît réaliste, on fait un budget mensuel pour planifier les revenus et dépenses du mois. »

Ce budget mensuel se fait en deux étapes.

La première : la prévision au début du mois.

D'un côté, on établit les revenus prévus. Quelles parts de la bourse d'études, du prêt étudiant, des épargnes réalisées durant l'été sont attribuables au mois actuel ? Quelles sommes seront gagnées (travail à temps partiel) ou touchées (remboursement de TPS, allocations des parents) ?

On y oppose ensuite les dépenses du mois : logement, nourriture, transport, sorties, télécommunications...

« On se pose aussi la question : qu'est-ce qui arrive ce mois-ci qui n'arrive pas d'habitude ?, précise Virginie Rainville. Est-ce que c'est l'anniversaire de quelqu'un ? »

Anniversaire ? Immatriculation ? Permis de conduire ? « Déjà, si le budget est déficitaire, on peut prendre les décisions sur le coup avant que les événements arrivent. »

La deuxième étape consiste à inscrire au fil du mois les dépenses réelles. On portera une attention particulière aux dépenses variables - épicerie, sorties, etc. - qui sont par nature les plus difficiles à planifier avec précision. « Au début du mois suivant, on va pouvoir faire nos prochaines prévisions en fonction de ce qui s'est passé en réalité », indique Virginie Rainville.

De mois en mois, on se rapproche ainsi de la cible.

AUTRES TRUCS EN VRAC

L'ACEF du Nord de Montréal a publié il y a quelques années un guide intitulé Budget étudiant, dont l'organisme possède encore de nombreux exemplaires.

Peu d'étudiants demandent une consultation budgétaire à l'ACEF avant ou pendant leurs études. « Quand ils viennent, c'est généralement après leurs études, ils sont super endettés et ils cherchent une façon de se sortir du bourbier », constate la conseillère budgétaire Carole Laberge. Pour éviter le bourbier en question, ou au moins ne pas s'y retrouver plongé jusqu'aux sourcils, la conseillère fait quelques suggestions.

La technologie coûte cher ? Elle peut aussi être mise à profit, dit-elle. Les budgets sur papier ont perdu tout attrait, mais il est facile d'en trouver gratuitement sur l'internet. Prenons (au hasard) un exemple parmi cent : la grille budgétaire téléchargeable proposée sur lapresse.ca.

« S'ils se paient des téléphones intelligents, les jeunes devraient aussi s'en servir intelligemment, souligne Carole Laberge. Il y a des plateformes qui permettent de suivre les entrées et les sorties d'argent dans mon compte, de voir où mon budget s'en va. »

Elle indique que de nombreux jeunes s'organisent en groupes d'achat collectif pour l'épicerie. « Ils économisent jusqu'à 20 % de la facture, dit-elle. Mais c'est de l'investissement en temps. Les étudiants sont souvent débordés par leurs études. »

Pour chaque poste de dépenses, des solutions moins coûteuses existent. Les manuels peuvent être achetés d'occasion. « Pour les vêtements, je peux aller dans les friperies, rappelle Carole Laberge. Pour des achats importants, comme des bottes pour l'hiver, ça se demande en cadeau de Noël. »

« Le piège à éviter, c'est la fameuse marge de crédit étudiante, insiste-t-elle. Ça dépend du profil, mais en droit, en médecine, en architecture, l'offre est assez faramineuse et c'est très tentant. On étudie, on ne se casse pas la tête, mais à la fin des études, on a 80 000 $ de dettes et pas nécessairement un emploi à la clé. »

Ce n'est pas un chiffre qu'elle lance au hasard. « Un étudiant en droit peut facilement obtenir dès sa première année une marge de crédit de 80 000 $. »

Une jeune expérimentée

« J'ai des stagiaires ici qui étudient en droit et elles sont très avisées dans leur démarche », indique Carole Laberge, de l'ACEF du Nord de Montréal.

Nous avons consulté une de ces jeunes femmes d'expérience : Myriam Blanchette, étudiante en droit à l'Université de Montréal.

« Pour l'épicerie, c'est super facile avec les sacs de circulaires de trouver ce qui est en vente, ou quelle épicerie donne les meilleurs rabais », explique-t-elle.

Myriam Banchette et sa colocataire font occasionnellement des plats en commun, en quantité suffisante pour fournir des restes pour les lunchs.

« Chaque semaine on s'assoit ensemble et on regarde où on en est avec la consommation de gaz, pour voir comment s'ajuster au cours du mois, poursuit-elle. Avec les sites internet, on peut voir en ligne exactement où on en est rendu avec notre consommation. » Elle utilise la même stratégie de vérification avec l'internet. Leur appartement n'est pas câblé (autre manière d'économiser) et les deux jeunes femmes visionnent en ligne les émissions qui les intéressent. Quand elles approchent de la limite de leur forfait, elles ralentissent l'importation de données.

Mais elle reconnaît que le poste des loisirs est difficile à contrôler. « Avec la vie universitaire, il y a beaucoup d'activités tentantes ! »

SOLUTION: MIEUX ÉTUDIER SON BUDGET

Les proverbiales lunettes roses ?

« Ce qui m'a le plus touchée, c'est le manque de réalisme de Josiane, observe la conseillère budgétaire Anne-Marie Millaire. On verra quand je serai en appartement, dit-elle ? Non, il faut voir tout de suite. »

Et Anne-Marie Millaire a vu. Ou du moins a jeté un coup d'oeil aux petites annonces sur l'internet.

À titre d'exemple, elle a repéré un 3 ½ chauffé, en demi sous-sol, avec laveuse et sécheuse, pour 570 $ par mois. Ailleurs, un 3 ½ chauffé avec buanderie commune coûte 600 $. Dans les deux cas, peut-être faudra-t-il prévoir encore 50 $ pour l'électricité.

« Avec 800 $ de budget pour ces postes de dépense, constate Mme Millaire, Josiane peut se trouver un petit appartement. »

Mais lui conviendrait-il ?

Elle craint les logements mal entretenus (on la comprend) et cherche un quartier tranquille et sécuritaire. Tous critères qui ont un prix. Sans doute devra-t-elle faire des compromis.

Josiane aimerait trouver un appartement avec des connexions pour laveuse et sécheuse. Elle devra vraisemblablement se procurer les appareils appropriés. Il faudra également meubler l'appartement, ne serait-ce que sommairement. Josiane et son ami devront dresser la liste de ce que chacun possède déjà et de ce qu'ils devront se procurer.

« La liste peut être longue, il faut donc être créatif et réaliste quant au budget disponible », insiste Mme Millaire.

Elle leur suggère de battre le rappel de toutes leurs connaissances pour savoir si elles ont des meubles ou des articles ménagers inutilisés. « Il faut faire des recherches sur les coûts des articles dont on aura besoin et qu'on devra acheter, du rideau de douche aux ustensiles de cuisine en passant par un fauteuil et une table de cuisine », dit-elle. Pour les pièces manquantes, les deux jeunes pourront se mettre en chasse sur les sites de petites annonces. « Souvent, on y trouvera des articles presque neufs à un prix très raisonnable. »

Le quotidien

Et il ne s'agit là que de la préparation à la vie en appartement. Reste encore à planifier le quotidien. « Il faut avoir une idée très claire de ce qui s'en vient », avise Anne-Marie Millaire.

Josiane paiera seule la plupart de ses dépenses et partagera les frais de logement : il y a largement place aux malentendus et aux oublis.

« Il faut s'entendre avant tout sur ce que chacun assumera et se donner des outils pour s'assurer que ce qui a à être payé (loyer, électricité, internet) le soit sans faute, expose Anne-Marie Millaire. Mieux vaut prévenir et prendre des ententes au tout début de la cohabitation... »

Mais surtout, Josiane doit faire une planification budgétaire mieux définie.

« Elle aura des mauvaises surprises si elle ne se fait pas un plan beaucoup plus précis et réaliste que celui qu'elle semble avoir en ce moment, fait valoir la conseillère budgétaire. Si elle consacre 375 $ à son logement par mois, 45 $ à son transport et, disons, un 250 $ (bien conservateur) à la nourriture, elle a déjà besoin de 670 $ par mois. Elle n'a pas payé son téléphone et peut-être sa connexion à internet, elle ne s'est pas encore acheté de vêtements ou loué un film pour se divertir un peu... Il reste tant de choses à prévoir ! »

Bref, « on est loin de se payer une bière le vendredi soir ».

Tout n'est pas sombre, toutefois. Josiane s'est déniché un boulot à Montréal, a réalisé des économies et, grâce à son travail à temps partiel, planifie à l'avance le paiement des droits de scolarité de la session suivante.

Il lui reste quatre mois pour mieux cadrer sa cible.

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UNE PETITE DÉMONSTRATION

Josiane a mis son budget au régime sec avec un poste nourriture de 100 $ par mois. « Ça m'apparaît très sous-estimé, déclare Anne-Marie Millaire. Elle devrait faire l'exercice pour évaluer ce qu'elle mange en une semaine. »

À des fins pédagogiques, la conseillère a fait un petit calcul.

Une pomme moyenne : 160 g. À 2,18 $/kg (0,99 $/lb), elle coûte 0,35 $. Une pomme par jour pendant un mois : 11 $.

Une banane moyenne : 150 g. À 1,74 $/kg (0,79 $/lb), elle revient à 0,26 $. Une banane par jour pendant un mois : 8 $.

Un ensemble de 16 portions de 100 g de yogourt revient en solde à 5,99 $, soit 0,37 $ chacune. Une portion par jour pendant un mois : 11 $.

4 litres de lait 2 % : 6 $. Deux verres de lait par jour (environ 500 ml au total) coûtent 0,75 $. Par mois : 23 $.

« Avec ce calcul, j'ai mangé une pomme, une banane, un yogourt et j'ai bu deux verres de lait par jour, conclut-elle. Le total pour un mois : 59 $ ! »

Les 100 $ de Josiane n'y suffiront pas.