Chaque samedi, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Pierre Lussier, de Gestion de placements Eterna, à Montréal.

Quel a été l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Nous ne nous attardons pas trop à ce qui se passe au jour le jour. Nous préférons regarder la toile de fond qui demeure positive. Les États-Unis devraient connaître une croissance économique de l'ordre de 2 à 3% de l'économie réelle cette année et l'an prochain. D'une part, on ne voit pas de récession cette année. D'autre part, il y a peu d'inflation à l'horizon, en raison de l'écart de production: actuellement, le niveau d'activité de l'économie est très faible par rapport à son plein potentiel. L'évaluation boursière, quoique moins attrayante en absolu, est encore attrayante par rapport aux obligations. Mais d'un point de vue tactique, nous sommes prudents. Nous avons haussé notre encaisse, car après la récente hausse de 24%, nous nous attendons à une correction des marchés au cours des prochains mois.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement?

Nous suivons le sentiment des investisseurs et des entrepreneurs. Il était extrêmement pessimiste en octobre dernier, alors que nous avions réinvesti notre encaisse après la baisse estivale de 7%. Maintenant, le sentiment se trouve dans une zone d'optimisme extrême. Lorsque le marché se trouve dans des extrêmes, nous achetons aux pessimistes et nous vendons aux optimistes. On constate que les investisseurs initiés, c'est-à-dire les dirigeants d'entreprise, sont de moins en moins acheteurs, ce qui n'est pas un signe positif.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir?

Nous les conserverions en encaisse. Nous n'investirions pas dans le marché boursier aujourd'hui. Nous réinvestirons notre encaisse lorsque les intervenants financiers redeviendront négatifs - après la baisse à venir. Nous sommes prêts à attendre, même plusieurs mois. Nous ne sommes pas pressés, contrairement à la majorité des investisseurs.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

Il est probable que les titres plus cycliques souffriront plus que les défensifs dans le cadre de cette correction. Toutefois, étant donné que nous sommes des investisseurs de type ascendant (bottom-up) et que nous investissons dans une perspective de trois à cinq ans, il y a peu de roulement dans notre portefeuille (25% par année). Cela démontre que nous avons des convictions, nous ne faisons pas beaucoup de changements aux portefeuilles sur une base tactique de quelques mois. Il est cependant certain que lorsque nous jugerons que la correction achève, nous réinvestirons dans les titres de sociétés plus sensibles à la croissance économique s'ils sont attrayants sur une base d'évaluation.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus?

Même si la toile de fond demeure positive, il y a des risques importants de nature structurelle et politique. Si l'économie retombait en récession, les autorités monétaires et les gouvernements n'auraient plus de flèches dans leur carquois. Ils ne peuvent baisser les taux d'intérêt. Ils ne peuvent plus augmenter leur déficit ni leur niveau d'endettement.

Aux États-Unis, l'endettement total (gouvernement, sociétés, consommateurs) a grimpé presque en ligne droite de 130% du PIB, en 1952, jusqu'à 386% du PIB en 2009... pour ensuite redescendre à 355%, ce qui demeure élevé. L'endettement, tant aux États-Unis que dans la zone euro, pourrait créer un effet domino et nous mener dans un cul-de-sac.

Finalement, sur le plan politique, si Israël décidait d'attaquer l'Iran, cela pourrait, par l'intermédiaire d'une importante répercussion sur le prix du pétrole, avoir un impact négatif sur les perspectives.

Pierre Lussier compte plus de 20 ans d'expérience en investissement, dont 13 ans à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Il est vice-président et gestionnaire principal chez Gestion de placements Eterna et président de la division Actions québécoises Sipar-Eterna.ipar et Gestion de placements Eterna ont annoncé une fusion de leurs activités en avril.