En ces temps d'instabilité économique, on y a tous songé un jour ou l'autre: devrait-on se retirer des marchés boursiers pour investir en immobilier? Ces dernières années, beaucoup l'ont fait avec succès, profitant à la fois des bas taux d'intérêt pour se financer et du boom des valeurs immobilières qui semble perdurer.

C'est justement ce à quoi réfléchit Jean-Marc, 51 ans, de la Rive-Sud. Depuis huit ans, constate-t-il, ses placements ont fait du surplace. Et l'an dernier, ils ont fondu de 8%, tout comme ceux de sa conjointe Hélène, 47 ans.

«Nous avons l'impression que nos billes s'évaporent dans la nature», dit ce père de deux adolescents, inquiet des conséquences que cela pourrait avoir sur sa retraite. En fait, le seul actif qui a fructifié est la maison que le couple a acquise en 1994, dont la valeur a quasiment triplé depuis.

Du coup, il se dit qu'il serait peut-être préférable d'encaisser tout de suite ses REER et ceux de sa bien-aimée dans le but de s'en servir comme mise de fonds pour acquérir une propriété à revenus. En REER, Jean-Marc en a pour 35 000$; Hélène, pour 23 000$, soit un total de 58 000$. Le couple a déjà les yeux sur un joli duplex à Saint-Hyacinthe d'une valeur de 249 000$ avec des revenus de près de 13 800$ par année.

Mais est-ce une bonne idée?

Difficile de répondre à cette question en faisant abstraction de la situation financière du couple. Hélène, gagne bien sa vie, avec un salaire de 83 000$ par année, mais, pour Jean-Marc, c'est plus difficile. Il l'admet lui-même, depuis la fin de ses études - ce qui fait un bail -, il a toujours eu des revenus plus que moyens. Il a un temps roulé sa bosse dans les milieux communautaires, puis est devenu pour un temps travailleur autonome.

Revenus en baisse

Depuis 2009, il occupe un poste de col blanc, avec caisse de retraite et bonne couverture d'assurances. Sauf que, pour obtenir sa permanence, il a dû laisser tomber son ancien poste pour en occuper un autre moins bien payé, ce qui a réduit son salaire de 48 000$ à 37 200$. Il a donc pris un second boulot, qui lui rapporte environ 2000$ par année, d'autant plus qu'il n'a aucune idée de quand il pourra réintégrer son ancien travail. Cette situation, bien sûr, ajoute à son inquiétude, et l'incite à se poser des questions. Car il ne s'agit pas seulement d'un problème de rendement sur les actifs, mais aussi de revenus en baisse.

Un calcul rapide a permis au planificateur financier Jacques Brouillard de constater que la valeur de la résidence représente déjà 72% - près des trois quarts - des actifs de Jean-Marc et d'Hélène. Le reste est réparti comme suit: 23% en épargne-retraite, 4% pour les études des enfants (REEE) et seulement 1% en liquidités.

Ajustements

Ainsi donc, avant même de déterminer si l'achat qu'ils envisagent est une bonne affaire, Jean-Marc et Hélène devraient faire quelques ajustements à leurs finances. D'abord, augmenter leur niveau de liquidités pour se constituer un coussin de sécurité qui pourrait être utile en cas d'imprévu.

Jacques Brouillard remarque également que 88% de leur service de la dette est alloué à la résidence familiale; 12% est consacré à rembourser des biens de consommation. C'est le genre de dette qu'il faut éliminer le plus rapidement, estime le planificateur; dans leur cas, puisque le prêt auto sera remboursé cette année, il y aura un bon bout de fait.

Ensuite, revoir leurs placements actuels. M. Brouillard considère qu'il n'est pas normal qu'un portefeuille équilibré comme le leur ait eu rendement de -8,7% l'an dernier.

«Il est normal que la valeur d'un portefeuille varie d'une année, mais une meilleure diversification devrait leur permettre d'obtenir un rendement moyen d'environ 5% par année.»

Maintenant, pour ce qui est  de l'investissement en immobilier, Jacques Brouillard ne le leur suggère pas.

«Cela ferait beaucoup d'actifs en immobilier», dit-il.

Trop en immobilier

En général, fait-il remarquer, les cycles immobiliers durent de 16 à 18 ans en moyenne avec une période de 8 ou 9 ans de hausse suivie d'une période de baisse ou de stagnation de 8 ou 9 ans. Or, depuis 1998, nous assistons à une période haussière, principalement en raison des taux d'intérêt à des bas historiques. Tout cela a des conséquences sur les prix des maisons. Il y a quelques années, on achetait une propriété à revenus sur la base de 10 fois les revenus; aujourd'hui, dans certains secteurs, des propriétés se vendent à 22 fois les revenus.

Mais plus que la conjoncture, c'est la situation de retraite de Jean-Marc et Hélène qui devrait les inciter à la plus grande prudence. Car malgré la caisse de retraite de l'employeur d'Hélène, les revenus de retraite projetés couvrent environ 75% des dépenses actuelles indexées. C'est bien, mais ça pourrait être mieux.

Ça pourrait surtout être pire s'ils encaissaient leurs REER tout de suite. Cela réduirait leur épargne-retraite et aurait pour effet de gonfler leur facture fiscale puisque ces retraits s'ajouteraient à leurs revenus d'emploi actuel; au lieu des 58 000$ anticipés pour la mise de fonds, ils n'obtiendraient qu'environ 34 000$ nets, une fois le fisc payé.

À partir de l'an prochain, estime M. Brouillard, une fois l'auto payée, Jean-Marc et Hélène devraient donc plutôt profiter de ce surplus pour ajouter - et non diminuer - des contributions à l'épargne-retraite. Dans leur situation, si l'immobilier stagne, c'est seulement la valeur de la résidence qui stagnera. Alors que leurs actifs de retraite ne seront pas affectés par le marché immobilier...