Les détaillants canadiens amorcent une année qui s'annonce compliquée face à des consommateurs hésitants et un nouveau concurrent américain important à l'horizon, constatent les analystes en commerce de détail.

D'autant plus que les très importantes ventes de la fin d'année 2011 auraient été en croissance relativement faible chez la plupart des détaillants. Des ventes de l'ordre de 2% à peine, selon une estimation de la firme-conseil Ernst & Young, avant les prochains résultats financiers des principaux détaillants canadiens et québécois.

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«Depuis quelques mois, les consommateurs canadiens sont beaucoup plus réservés que leurs voisins américains. Et ce, malgré le fait que l'économie canadienne soit moins détériorée que celle des États-Unis», note Patricia Baker, analyste du commerce de détail chez Capitaux Scotia dans un récent avis à ses clients-investisseurs.

À défaut d'un revirement positif dans le marché du travail, «attirer les consommateurs à dépenser sera un défi pour les détaillants en 2012», estime-t-elle.

En Bourse, les investisseurs ont déjà manifesté leurs attentes de prochains résultats mitigés chez les principaux détaillants. Surtout envers ceux qui, comme le grand quincaillier Rona et le détaillant vestimentaire Reitmans, sont dans des catégories des achats plus irréguliers.

C'est le groupe de «consommation discrétionnaire» parmi les détaillants, selon le jargon des analystes. L'indice sectoriel de ce groupe à la Bourse de Toronto affiche un rendement négatif de 14% depuis un an.

À eux seuls, les actionnaires de Rona ont subi une dévaluation de 30% au cours des 12 derniers mois. Et les perspectives à court terme demeurent défavorables, malgré les efforts de resserrement de gestion de l'entreprise.

«Ces détaillants (discrétionnaires) sont les plus affectés par la prudence accrue des consommateurs envers les grosses dépenses moins essentielles. Il faudra des signaux continus d'un renforcement économique en Amérique du Nord pour atténuer cette prudence», remarque Keith Howlett, analyste des détaillants chez Valeurs mobilières Desjardins.

C'est pourquoi l'attrait de détaillants comme Rona, BMTC (Brault et Martineau, Ameublement Tanguay») et Sears Canada s'est terni considérablement dans le classement des recommandations d'analystes. (voir tableau)

De bonnes notes

En contrepartie, plusieurs autres détaillants canadiens d'envergure obtiennent encore de bonnes notes d'appréciation auprès des analystes.

Tant pour leur plan d'affaires, que l'on considère bien mené, que pour leur créneau de marché qui serait moins vulnérable à une détérioration de la conjoncture économique.

Dans les meilleures positions des recommandations d'analystes, on retrouve le géant des dépanneurs Couche-Tard, l'entreprise des supermarchés Metro/Super C ainsi que la chaîne de magasins Canadian Tire, qui vient d'acquérir le détaillant d'articles de sports Forzani/Sports Experts.

On y retrouve aussi l'entreprise des pharmacies Shoppers Drug Mart (Pharmaprix au Québec) ainsi que la chaîne de restos-minute Tim Hortons.

Cela dit, des analystes rattachent des considérations particulières à leur appréciation de certains détaillants canadiens. Chez Marchés mondiaux CIBC, l'analyste principal Perry Caicco suggère aux investisseurs de partager leur évaluation de ces détaillants en deux catégories: les «nationaux» d'une part et les «audacieux» de l'autre.

Par «nationaux», l'analyste désigne les détaillants qui, malgré leur grande taille, demeurent actifs au Canada seulement.

Il s'agit notamment de Loblaw (Provigo), de Metro et d'Empire (Sobeys/IGA) dans l'alimentation, ainsi que Shoppers/Pharmaprix et Jean Coutu dans les pharmacies. On y retrouve aussi les Rona, Canadian Tire et Dollarama dans les marchandises générales.

Dans la catégorie des «audacieux», l'analyste Perry Caicco place les détaillants comme Couche-Tard et Tim Hortons qui tirent une bonne partie de leur croissance de l'extérieur du Canada.

Or, face à la conjoncture économique hésitante, l'analyste estime que les investisseurs en actions de détaillants auraient intérêt à surpondérer les «audacieux» par rapport aux «nationaux».

«Investir dans les grands détaillants nationaux au Canada a été en général avantageux jusqu'à récemment. Mais ces détaillants amorcent une période aux défis multiples pour le maintien de bons résultats», note M. Caicco.

En particulier, il souligne la conjoncture de repli des intentions de dépenser des consommateurs alors qu'un nouveau concurrent d'envergure, les grands magasins Target, s'amène au Canada avec des dizaines de établissements d'ici deux ans.

De plus, souligne Perry Caicco, contrairement à leurs voisins américains, les détaillants canadiens font face à un marché «plus serré que rarement auparavant» pour les bons espaces commerciaux.

Conséquence: cette rareté alimente l'inflation des loyers des détaillants à l'avantage des sociétés immobilières, qui sont à des sommets de rentabilité.

L'effet «Target»

Mais pour l'analyste Keith Howlett de Valeurs mobilières Desjardins (VMD), l'année 2012 pourrait s'avérer «la moins pire des trois prochaines années» pour les détaillants canadiens.

Son hypothèse? Ces années correspondent à la période de déploiement à grande échelle de Target dans les principaux marchés de consommateurs au Canada.

Et on sait déjà que cette arrivée s'effectuera par le remplacement des grands magasins Zellers, dont les baux des emplacements les plus performants ont été acquis par Target depuis un an.

Ces 134 magasins Zellers seront fermés au cours des prochains mois avant d'être rénovés et rouverts sous l'enseigne Target à compter de l'an prochain, en 2013.

Par conséquent, selon l'analyste Keith Howlett, les détaillants canadiens auraient «une année de répit» au cours des prochains trimestres avant de subir cette nouvelle concurrence de Target.

D'autant plus, souligne l'analyste, que Target a comme objectif au Canada de doubler en quelques années la part de marché qu'occupaient les magasins Zellers, avant leur conversion.

En chiffres, une telle progression de Target l'amènerait à près de 5 milliards de ventes au Canada, soit quelque 2,5 milliards de plus que les Zellers actuels.

Quant aux détaillants susceptibles d'être les plus affectés par les ambitions de Target, l'analyste de VMD montre du doigt ceux dont les résultats dépendent le plus des ventes d'articles de mode vestimentaires et décorative.

Le marché des produits d'hygiène personnelle et celui des aliments frais et transformés à volume élevé pourraient aussi être affectés par l'arrivée de Target.