Après la Grèce et l'Irlande l'an dernier, c'est au tour du Portugal cette semaine d'appeler l'Union européenne à la rescousse. Le S.O.S. n'a provoqué aucun mouvement de panique sur les marchés financiers. Les eurosceptiques seront-ils confondus?

Pourquoi le Portugal était-il condamné demander de l'aide?

Parent pauvre de l'Union européenne, le Portugal tourne au ralenti, avec une croissance économique annuelle de 1% en moyenne depuis 10 ans.

«Le Portugal n'a pas une grande base industrielle: l'économie repose sur l'agriculture et le tourisme en grande partie», explique Pierre Chapdelaine, gestionnaire d'actions internationales à l'Industrielle-Alliance.

De plus, le Portugal dépend beaucoup de l'Espagne, aux prises avec une grave crise immobilière et un taux de chômage de 20%. «Quand l'Espagne tousse, le Portugal a une grosse grippe», dit M. Chapdelaine.

Avec une croissance aussi faible, le Portugal ne pouvait plus soutenir des coûts d'emprunt aussi élevés. Le taux sur ses obligations 10 ans avait atteint 8,6%, un taux quasi usuraire.

Sans aide, le Portugal aurait été aspiré dans une spirale d'endettement: c'est ce qui se produit lorsque la croissance nominale à long terme est inférieure au taux d'intérêt sur la dette. «Tous les efforts sont annulés par les coûts de financement», explique M. Chapdelaine.

Comment se fait-il que les Bourses européennes n'aient pas bronché?

RLes craintes entourant la dette souveraine de la Grèce ont fait trembler les investisseurs en 2010. Pourtant, le S.O.S du Portugal n'a provoqué aucun mouvement de panique à la Bourse, cette semaine. Et le jour où le premier ministre portugais a démissionné, à la fin mars, en raison d'un vote de défiance sur son plan d'austérité, les actions portugaises ont monté de 1,2%.

«C'est une indication très forte que tous les acteurs financiers sont au courant de A à Z des problèmes du Portugal. Depuis des mois, il était écrit dans le ciel que le Portugal devrait appeler à l'aide», affirme Alain Bokobza, stratégiste à la Société Générale.

À son avis, le sauvetage du Portugal devrait coûter aussi cher que celui de l'Irlande, soit 85 milliards d'euros (115 milliards de dollars canadiens). L'Europe peut l'absorber.

Quels sont les risques que d'autres pays comme l'Espagne ou l'Italie se retrouvent dans l'eau chaude?

L'Espagne a une économie plus diversifiée. Son endettement est moins alarmant. Et le gouvernement a déjà imposé un ménage du système bancaire et des mesures d'austérité, rapporte Marc Christopher Lavoie. Le vice-président, Marchés européens d'Hexavest, était justement en Espagne ces derniers jours.

«Toutefois, la grande inconnue est la forme et le coût que prendra le processus de restructuration des «cajas», les caisses d'épargne espagnoles. Au nombre de 45 l'an dernier, plusieurs d'entre elles ont déjà entamé des regroupements pour améliorer leur situation», indique-t-il.

L'État risque d'avoir à injecter de l'argent dans plusieurs de ces banques, ce qui augmentera son déficit. «Comme en Irlande, la situation des banques pourrait donc amener l'Espagne à demander de l'aide. Mais elle jouit de plus de temps et de flexibilité», estime M. Lavoie.

En Italie, la situation est différente. La faible croissance économique des dernières années a conduit à un niveau d'endettement plus élevé. Mais le gouvernement tarde à mettre en place des mesures d'austérité. Sans reprise économique durable, la situation pourrait se corser. Mais une restructuration de la dette italienne n'est pas pour demain, estime M. Lavoie.

Jusqu'à quel point les banques européennes sont-elles à risque?

Les banques européennes détiennent beaucoup d'obligations souveraines de pays fragiles (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne).

En fait, les banques de la zone euro possèdent plus des trois quarts (78%) des titres d'emprunt de ces quatre pays qui totalisent 2500 milliards $US, selon Pierre Lapointe, stratège Macro global chez Brockhouse Cooper. À elles seules, les banques allemandes en ont pour 569 milliards US, soit près du quart (23%).

«L'histoire nous dit que les défauts de dettes souveraines déclenchent des pertes de 50% ou plus», indique M. Lapointe. Déjà, les marchés obligataires reflètent un risque de perte de 30%. Cela rayerait 750 milliards de dollars US de la carte. Les banques européennes encaisseraient les trois quarts des pertes.

«Cela entraînerait des conséquences systémiques importantes, et toutes les banques européennes seraient affectées», dit M. Lavoie. C'est pourquoi l'Europe lance des bouées de sauvetage aux pays fragiles.

Quelle crédibilité peut-on accorder aux tests de résistance des banques?

RLes investisseurs sont sceptiques face aux tests de résistance que les autorités font présentement subir aux banques européennes.

«Après la débâcle des stress tests de l'an dernier qui n'ont fait échouer que sept banques, l'Europe remet ça cette année. Le problème est qu'elle ne peut se permettre d'utiliser des hypothèses reflétant un vrai scénario de stress. Trop de banques devraient alors se recapitaliser en même temps», indique M. Lavoie.

Autre problème: chaque pays tire la couverture de son côté, pour aider ses banques. «À la fin, ça donne un exercice manquant de crédibilité où les hypothèses qu'on utilise ne sont pas assez sévères», ajoute M. Lavoie.

De plus, les investisseurs se plaignent de ne pas avoir tous les détails. «Mais la communication sur les résultats des stress tests ne peut pas être parfaitement transparente», affirme M. Bokobza. Si on en dit trop, le lendemain, les épargnants vont courir à la banque et retirer leurs épargnes, provoquant l'écroulement des banques plus fragiles.

«En revanche, les autorités connaîtront exactement les résultats et elles feront tout ce qui est nécessaire pour recapitaliser les banques», assure M. Bokobza.

Le futur mécanisme de stabilité financière apportera-t-il de véritables solutions aux problèmes de l'Europe?

RLe 11 mars dernier, la zone euro a créé une institution durable pour venir en aide aux pays fragiles. Le futur Mécanisme européen de stabilité (MES) prendra le relais du Fonds européen de stabilité financière en 2013.

Le MES pourra émettre des obligations et il aura aussi le droit d'acheter à l'émission des obligations des pays fragiles, ce que la Banque centrale européenne ne peut pas faire en ce moment. «C'est un élément très important pour abaisser l'endettement des pays fragiles», estime M. Bokobza.

Mais certains jugent que la transition évolue à petits pas. «Quand il y a 10 ou 15 chefs dans une cuisine, il est difficile de s'entendre sur quel plat on va préparer ce soir», illustre M. Chapdelaine. Surtout que chaque chef est soumis aux pressions politiques dans son propre pays...

Par exemple, «en Allemagne, le parti au pouvoir vient de faire mauvaise figure dans quatre élections régionales», souligne M. Lavoie.

La remontée du taux directeur de la BCE brouillera-t-elle les cartes ?

Pour la première fois en trois ans, la Banque centrale européenne a relevé, cette semaine, son taux directeur de 0,25% pour le fixer à 1,25%. D'après le consensus, la BCE continuera de serrer la vis pour mener son taux à 2,75% avant la fin de l'année prochaine.

Pour M. Bokobza, il s'agit-là d'une saine politique qui permettra de contenir l'inflation et d'éviter de déstabiliser les pays qui sont au coeur de la zone euro.

Mais la hausse des taux d'intérêt est une tuile de plus pour les pays endettés. Dans ces pays, bien des ménages ont une hypothèque à taux variable, souligne M. Lavoie. Les mensualités plus salées, combinées aux prix élevés du pétrole et des aliments, réduiront encore plus leur pouvoir d'achat.

Jusqu'à quel point les marchés boursiers reflètent déjà les risques relatifs aux dettes souveraines?

La Grèce, le Portugal, l'Espagne ont encore beaucoup de chats à fouetter. «Pourtant, les marchés boursiers font preuve de complaisance. Le marché espagnol est un des plus forts en 2011 en Europe depuis le début de l'année», s'étonne M. Lavoie.

Mais il faut mettre les problèmes de dettes souveraines en perspective, insiste M. Bokobza. Les pays fragiles ne représentent que 20% de l'économie européenne. Ailleurs, les choses vont bien. L'Europe du Nord roule à fond : la Norvège, grâce au pétrole, la Suède, grâce aux exportations. L'Allemagne est florissante, avec un taux de chômage de 5%. La France va plutôt bien. L'Angleterre est en mode reprise, énumère le stratégiste.

«À l'extérieur de l'Europe, il y a un grand pessimisme quant à la capacité des Européens de reconstruire sur leurs problèmes», constate M. Bokobza qui était de passage au Canada cette semaine.

«Pour moi, on est plutôt en phase de reconstruction de meilleure qualité, plutôt qu'en phase de destruction», dit-il.

Pour un investisseur, la Bourse européenne est-elle attrayante ou risquée?

Les avis sont partagés sur la Bourse européenne. Pour M. Lavoie, elle reste un terrain miné. «Les investisseurs ignorent la majorité des risques auquel le système financier fait actuellement face», dit-il.

Mais pour M. Bokabza, les actions européennes sont particulièrement attrayantes. Davantage que les obligations de sociétés. Davantage que les actions américaines. Il conseille aux investisseurs de surexposer leur portefeuille à la Bourse européenne.

Quel pays et quels secteurs doit-on favoriser ou éviter?

Les gestionnaires restent sur leurs gardes face aux pays fragiles. «Dans les pays aux prises avec des mesures d'austérité, la croissance économique sera revue à la baisse. Les titres fortement exposés à l'économie de ces pays sont à éviter», dit M. Lavoie.

Il suggère aussi d'éviter les banques européennes dont les bilans contiennent des actifs souverains. Il préfère les pharmaceutiques, des sociétés peu endettées, dans une industrie plus défensive. «Leur titre a été laissé de côté dans le rallye boursier des derniers mois», ajoute le gestionnaire.

De son côté, M. Chapdelaine préfère les exportateurs: «Nous sommes très confiants pour les sociétés industrielles et les pétrolières. On favorise les pays scandinaves et l'Allemagne et l'Angleterre», dit-il.

Le stratégiste de la Société Générale mise aussi sur l'énergie et les sociétés industrielles. Il favorise l'Autriche, la Suède, la France (Vinci, Schneider, Bureau Veritas), l'Allemagne (BASF, Deutsche Telekom, MAN) et la Suisse (Nestlé, Syngenta).