C’est le mercredi 15 mai que prenait fin la période d’appels de candidatures au poste de Statisticien en chef de Statistique Canada. L’agence de collecte de données et d’analyse est cruciale pour la bonne marche du pays et le poste de grand patron est prestigieux.

Le candidat doit d’ailleurs répondre à une série de critères fort exigeants, mais étonnamment, il n’aura pas besoin de parler français, selon ce qu’on peut comprendre de l’affichage. Dans la section « Exigences linguistiques », en effet, il est indiqué que « la maîtrise des deux langues officielles serait préférable », mais elle n’est pas exigée⁠1.

La chose paraît étonnante compte tenu de la récente modernisation de la Loi sur les langues officielles applicable aux institutions fédérales, notamment celles des régions bilingues du Canada, dont Ottawa. La loi précise que depuis juin 2023, « les gestionnaires et les superviseurs doivent être aptes à communiquer avec leurs employés dans la langue officielle de leur choix ».

Et selon un compte rendu fouillé déposé à la Bibliothèque du Parlement, « cela suppose que la haute direction communique efficacement dans les deux langues officielles avec les employés de l’institution et qu’elle exerce un leadership pour créer un milieu de travail bilingue⁠2 ».

Le poste de grand patron de Statistique Canada a été affiché il y a quelques semaines pour remplacer Anil Arora, dont le mandat se terminait le 31 mars. Anil Arora, qui a grandi en Alberta, était le statisticien en chef depuis 2016. Il pouvait converser en français.

Anil Arora avait remplacé Wayne Smith, de Colombie-Britannique, un gestionnaire bilingue qui avait lui-même pris la place de l’Ontarien Munir Sheikh.

Ce dernier s’est fait connaître pour avoir démissionné en 2010 en réaction à la décision du gouvernement conservateur de ne pas exiger des Canadiens échantillonnés qu’ils participent au recensement⁠3. Munir Sheikh avait été précédé par un autre Ontarien, Ivan Fellegi.

Bref, depuis 40 ans, le grand patron n’a jamais été francophone et l’affichage n’exige pas que le nouveau patron parle le français.

L’agence compte 7764 employés, dont 27 % ont le français comme première langue officielle.

Grande réunion de modernisation

Depuis le 31 mars, c’est le statisticien en chef adjoint André Loranger – un francophone – qui assure l’intérim de statisticien en chef. Il n’a pas été possible de savoir si M. Loranger figurait parmi les prétendants. Son mandat intérimaire peut durer jusqu’à six mois, selon le moment où le gouvernement pourvoira le poste de manière permanente.

En attendant, c’est André Loranger qui dirigera la grande réunion avec tous les employés de l’agence ce jeudi 16 mai en début d’après-midi, ai-je appris. La rencontre porte sur « le prochain chapitre de modernisation » de Statistique Canada.

Le chef des relations médias de Statistique Canada, Carter Mann, m’assure que la réunion n’a aucun lien avec le processus d’embauche.

Le poste de Statisticien en chef est plutôt bien payé. L’échelle salariale varie de 302 100 $ à 355 300 $ par année, somme à laquelle s’ajoutent les autres conditions usuelles (régime de retraite, etc.).

Selon l’avis, la personne choisie devra être titulaire d’un diplôme d’études supérieures. Un diplôme en économie ou en statistiques et une bonne connaissance des méthodes de recherche seraient un atout. La personne devra aussi avoir une « expérience approfondie de leadership au niveau de la haute direction ».

C’est le Bureau du Conseil privé – le ministère du premier ministre Justin Trudeau – qui gère le processus de nomination.

Par expérience, je peux vous dire que Statistique Canada se fait un point d’honneur de toujours répondre en français aux médias francophones. Ou encore de trouver un interlocuteur qui parle français, même lorsqu’il s’agit d’un domaine de recherche pointu et même quand ce n’est pas exigé par le requérant.

De plus, à l’interne, on me dit que les employés qui écrivent dans la langue de Tremblay à leurs gestionnaires anglophones reçoivent des réponses écrites en français.

En revanche, certains se plaignent que les réunions se tiennent essentiellement en anglais dès qu’un anglophone est présent dans le groupe. On critique aussi l’incapacité de certains cadres anglophones à parler français bien qu’on exige d’eux qu’ils suivent des cours d’apprentissage du français de plusieurs mois.

La Loi sur les langues officielles précise d’ailleurs que les nouveaux dirigeants doivent suivre une formation linguistique au moment de leur nomination, au besoin. Et ils s’engagent « à tenter d’acquérir » le niveau de compétence requis en deux ans, sans quoi ils consentent à être mutés.

En réponse, le Bureau du Conseil privé m’indique s’en remettre à une autre loi – la Loi sur les compétences linguistiques – pour ses décisions à l’égard du poste de Statisticien en chef.

Cette loi identifie les postes du gouvernement fédéral pour lesquels les individus doivent, au moment de leur nomination, être en mesure de communiquer très bien dans les deux langues officielles.

Parmi eux, mentionnons le Commissaire à la protection de la vie privée, le Commissaire à l’information et le Commissaire à l’intégrité du secteur public, mais pas celui de Statisticien en chef.

« Pour les autres postes relevant d’une nomination par le gouverneur en conseil [dont Statisticien en chef], une compétence dans les deux langues officielles est nettement privilégiée », m’écrit le porte-parole Pierre-Alain Bujold.

On verra dans les prochains mois. Espérons que le gouvernement penche pour un francophone… pour faire changement.

1. Dans la section « Diversité et langues officielles » de l’affichage, le gouvernement indique aussi qu’il « tiendra compte du bilinguisme et de la diversité des postulants » (Autochtones, personnes handicapées et minorités visibles), mais sans plus.

Consultez l’affichage 2. Consultez un compte rendu déposé à la Bibliothèque du Parlement

3. Ou plus précisément au questionnaire long du recensement, ce qui a grandement compromis la qualité des données.

Précision :
Une version précédente de ce texte ne précisait pas si Anil Arora et Wayne Smith, notamment, pouvaient parler français. Des confirmations obtenues après publication nous indiquent que c’est bien le cas.