Les bonis versés à la Caisse de dépôt et placement varient-ils vraiment en fonction de la performance des dirigeants ?

C’est la question qu’on peut se poser en lisant le rapport annuel de l’institution. Année après année, les patrons de la Caisse se voient verser une rémunération variable très importante, qui est fonction de critères de performance.

La question retient d’autant plus l’attention cette année que le patron de CDPQ Infra, Jean-Marc Arbaud, s’est vu verser 1,3 million en rémunération variable pour 2023, malgré les nombreux ratés du Réseau express métropolitain (REM). En ajoutant les autres éléments de sa rémunération, sa paye grimpe à 1,78 million.

D’accord, le REM est un mégaprojet fort complexe, scruté par les médias et le public, mais la question se pose : quel genre de performance M. Arbaud aurait-il dû avoir pour ne PAS toucher de rémunération variable ?

Ou encore : la prime de 1,3 million de cette année, davantage que celle de 1,2 million de l’an dernier, correspond à quelle part du maximum qu’il aurait pu toucher ? Pas 100 %, j’espère, ce qui signifierait que sa performance aurait été maximale.

La liste des objectifs non atteints – ou partiellement atteints – du REM est longue.

• Le REM a été lancé avec de nombreux mois de retard, pour toutes sortes de raisons, notamment pour le tronçon vers Deux-Montagnes. Et non, la pandémie et les vieux explosifs dans le tunnel n’expliquent pas tout.

• Le REM a été frappé par plusieurs pannes depuis le lancement de sa première phase (entre Brossard et le centre-ville de Montréal), en juillet 2023, laissant parfois les usagers dans le néant.

• CDPQ Infra n’est pas parvenue à convaincre les Montréalais d’étendre son REM à l’est de l’île de Montréal. La direction du REM s’est retrouvée avec beaucoup moins de pain sur la planche à la suite de cet abandon (finalement compensé en partie, c’est vrai, par le mandat pour le tramway de Québec).

• Le modèle du REM n’a pas été exporté ailleurs, contrairement aux plans d’origine.

Quant à l’achalandage de la première phase de 17 km, il avoisine aujourd’hui les 24 000 passagers quotidiens, en moyenne, avec des pointes récentes à 35 000, m’indique-t-on chez CDPQ Infra, qui s’en dit satisfaite.

Or, avant la pandémie, les autobus qui traversaient le pont Champlain – remplacés par le REM – transportaient quelque 50 000 passagers par jour.

Certes, le télétravail postpandémique a porté un dur coup à l’achalandage dans le réseau, ne ramenant qu’environ 80 % du volume. Sauf que les 30 000 passagers du REM – si on se montre généreux – ne représentent que 60 % du volume prépandémique de 50 000, moins que les 80 % ailleurs.

Bref, ça fait beaucoup d’éléments qui permettent de s’interroger sur le boni de 1,3 million de Jean-Marc Arbaud.

Dans le rapport annuel, la Caisse donne les critères généraux qui justifient la rémunération variable de ses dirigeants. Elle précise notamment que « le montant de la rémunération variable n’est JAMAIS garanti : il dépend toujours des résultats de l’évaluation globale ».

Cette évaluation est fonction de trois éléments, mesurés sur cinq ans : la performance individuelle, le rendement relatif du portefeuille et celui de l’ensemble de la Caisse de dépôt. Le rapport annuel ne donne pas de détails sur ces trois éléments par poste.

D’emblée, faut-il admettre, il apparaît plus simple de comparer la performance relative d’un gestionnaire dont le portefeuille a plusieurs comparables dans le marché, comme celui des actions en Bourse ou des obligations.

Pour le REM, il faudrait savoir si les réussites et les problèmes du projet sont comparables à ceux vécus ailleurs. On a entendu parler des déboires du projet d’Ottawa, mais ce n’est pas la norme.

À la Caisse, la porte-parole Kate Monfette me répond que c’est le conseil d’administration qui évalue la performance des dirigeants, « à la suite d’un processus rigoureux qui tient compte de plusieurs facteurs ».

Elle ajoute dans son courriel que « la rémunération de M. Arbaud respecte les balises du programme de rémunération en vigueur et reflète la performance dans l’atteinte des objectifs établis et la réalisation de jalons importants pour l’ensemble des activités de CDPQ Infra ».

Ouin…

Le cas de Jean-Marc Arbaud incite à se pencher sur la rémunération variable des autres cadres de l’institution. Et à y regarder de plus près, on est à même de constater que la rémunération variable, somme toute, varie assez peu dans le temps, si l’on exclut l’exceptionnelle année pandémique de 2020.

Le PDG, Charles Emond, s’est vu attribuer une rémunération variable de 3,9 millions en 2021, 3,58 millions en 2022 et 3,88 millions en 2023.

Les bonis de ses subalternes varient aussi assez peu. Le chef des marchés liquides, Vincent Delisle, a touché 1,65 million en 2021, 1,5 million en 2022 et 1,75 million en 2023. La cheffe des placements au Québec, Kim Thomassin, a reçu 1,3 million en 2021, 1,25 million en 2022 et 1,34 million en 2023.

Bref, il semble qu’il y ait un plancher en bas duquel la rémunération variable ne descend pas vraiment. Et donc que la portion réellement variable n’est pas très grande.

Sur cinq ans, faut-il rappeler, la Caisse de dépôt a obtenu un rendement moyen de 6,4 %, un peu mieux que son indice de référence (5,9 %), mais pas beaucoup mieux.

À la portion variable, bien sûr, il faut ajouter le reste de la rémunération, notamment le salaire de base (voir le tableau pour le total).

La Caisse n’est certainement pas le seul gestionnaire de fonds à récompenser grassement ses dirigeants ni la seule institution à offrir une rémunération variable pas trop variable. Le chapeau pourrait faire à bien des entreprises en Bourse.

Les membres du conseil d’administration de la Caisse doivent néanmoins s’assurer que les bonis sont bel et bien variables et toujours mérités.