C’est très moyen. Et c’est encore Bombardier Transport, en quelque sorte, qui est venu plomber le rendement de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Est-ce bon ou mauvais, monsieur Vailles ? Tranchez. C’est moyen, vous dis-je. Impressionnant sur le marché boursier global, mais épouvantable sur celui des placements privés.

Ce qui fait que dans l’ensemble, les cotisants de la Caisse ont obtenu un rendement de 7,2 % sur leurs fonds en 2023, soit moins que l’indice de référence de 7,3 % de la Caisse, composé des mêmes catégories d’actifs. L’écart est en fait défavorable de 0,17 point de pourcentage, si l’on fait fi des arrondissements.

C’est moyen, parce que les déposants paient grassement les dirigeants et employés de la Caisse pour qu’ils apportent une plus-value à leurs fonds, pour qu’ils fassent mieux qu’un quidam qui placerait son argent dans des fonds négociés en Bourse dans les mêmes types d’actifs que ceux de la Caisse.

Bien sûr, on ne peut juger du travail d’un gestionnaire de portefeuille en prenant seulement un an de rendement. Sur cinq ans, d’ailleurs, le rendement de la Caisse atteint une moyenne annuelle de 6,4 %, au-dessus de l’indice de référence de 5,9 %.

Cet écart de 50 points de base se traduit par une valeur ajoutée de 11,7 milliards de dollars sur cinq ans, portant le portefeuille global de la Caisse à 434 milliards au 31 décembre 2023. Quand même…

Il faut dire que mes propres attentes – et celles de la moyenne des journalistes de la section Affaires – étaient plus élevées cette année. Au jeu des prédictions annuelles de la section, j’avais inscrit 10,9 % pour le rendement de la Caisse en 2023, ce qui équivaut à la médiane des rendements des fonds communs diversifiés de l’enquête Aon.

Pourquoi ai-je mis la médiane et pas mieux ? Parce que je me disais que l’exposition importante de la Caisse à l’immobilier – son portefeuille immobilier vaut aujourd’hui 45,6 milliards – tirerait le rendement vers le bas, mais ce ne fut pas vraiment le cas. La Caisse a eu un rendement de -6,2 %, mais la référence a fait pire, à -10 %.

En moyenne, les journalistes de la section tablaient sur un rendement de 8,7 %, sachant, entre autres, que la Caisse avait rapporté un rendement de 4,2 % à la mi-année et que l’année 2023 avait fini avec vigueur.

Bref, c’est en bas de nos attentes et en bas de l’indice de référence.

Ce sont les placements privés qui ont fait mal à la Caisse, avec 1 % de rendement contre 10,5 % pour l’indice. Charles Emond a expliqué que la direction s’attendait à ce genre de recul, après des années de surperformance (14 % sur cinq ans contre 12,4 % pour l’indice).

Il a aussi affirmé que l’indice pour les placements privés – composé à moitié de titres boursiers, en forte hausse – avait été difficile à battre cette année, d’autant que les placements de la Caisse ont été dévalués par la hausse des taux d’intérêt…

Oui, bon, mais n’est-ce pas le lot de tous les placements privés, cet impact des taux ?

Alstom-Bombardier

Je note cependant qu’un des placements phares du portefeuille de placement privé de la Caisse est l’investissement dans Alstom, ce constructeur de matériel de transport dont la Caisse est devenue le principal actionnaire, avec 18 % des actions, quand Alstom a racheté la division Bombardier Transport en 2021.

Alstom a perdu la moitié de sa valeur en Bourse en 2023 (les placements majeurs en Bourse sont considérés comme des placements privés). Pour la Caisse, ça signifie que la valeur de son placement a été dégonflée de 1,1 milliard CAN, selon mon estimation. Ayoye !

Cette perte est deux fois plus importante que l’ajout de valeur de l’ensemble du portefeuille de placement privé en 2023, de 1 %, ou 556 millions. Bref, l’ombre de Bombardier plane encore sur les résultats de la Caisse, trois ans après la « fusion » Alstom-Bombardier Transport.

Charles Emond, qui gère personnellement le dossier, affirme que la Caisse joue son rôle. L’entreprise vend des actifs pour diminuer son endettement et retrouver des liquidités honorables (comme c’était le cas de Bombardier, rappelons-le). Et il voit Alstom, « qui gagne encore des parts de marché », comme un investissement stratégique à long terme.

C’est moyen, donc. En même temps, la Caisse est parvenue à battre les indices de référence avec son portefeuille boursier de base, avec 17,7 % de rendement, contre 17,4 % pour l’indice.

La chose est admirable, sachant qu’il est fort difficile de battre les indices boursiers, mais qu’en plus, la Caisse avait sous-pondéré son portefeuille d’actions des sept grandes entreprises technologiques (Apple, Microsoft, Amazon…), qui ont littéralement décoiffé le marché.

Sans ces titres, le S&P 500 aurait fait 9,8 % de rendement en 2023, plutôt que 23,2 %. Pour battre les indices boursiers, il a donc fallu que la Caisse fasse très bien avec ce portefeuille sous-pondéré.

Chose certaine, depuis quatre ans qu’il est PDG, Charles Emond aura affronté des tempêtes peu communes : pandémie, assaut du Capitole sous Donald Trump, inflation galopante, boom des taux d’intérêt, guerre en Ukraine et dans la bande de Gaza, accélération des changements climatiques… Ouf.

Espérons que les cinq prochaines années seront plus calmes.

Le pari de La Presse Affaires et ChatGPT

Comme chaque année, les journalistes de La Presse Affaires tentent de prédire le résultat de la Caisse de dépôt la veille de sa publication. Pour s’aider, notre journaliste techno, Karim Benessaieh, a demandé cette année l’aide des outils d’intelligence artificielle ChatGPT et Gemini.

Résultat : « Il est difficile de prédire avec précision le rendement de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) pour l’année complète 2023, car il dépend de plusieurs facteurs […] », a essentiellement expliqué Gemini (ChatGPT donnait une réponse semblable).

Hum…

Le gagnant parmi les journalistes cette année ? Marc Tison, qui avait prédit un rendement de 7,3 %, soit 0,1 point de plus que la performance de la Caisse (7,2 %). Mention honorable à Jean-Philippe Décarie (7,8 %).