On ne sait jamais vraiment combien le gouvernement prévoit accorder à ses employés en période de négociations. Et il est impossible de le deviner dans ses prévisions budgétaires. Secret d’État.

L’information est hautement stratégique, bien camouflée dans les chiffres du budget, sans quoi le gouvernement perdrait son rapport de force dans ses négociations avec les syndicats.

On vous offre 10,3 % sur 5 ans, disait encore le gouvernement fin octobre, mais quel chiffre prévoyait vraiment le ministre des Finances, Eric Girard, et qui a un impact sur le déficit ? Impossible de savoir.

Impossible, mais selon les échos que j’ai eus ces dernières semaines, le gouvernement caquiste ne pensait jamais devoir verser autant. Ces échos ont été en quelque sorte confirmés dimanche par François Legault : « On se retrouve avec un budget qui est largement déficitaire. Beaucoup plus déficitaire qu’il était avant ces négociations-là », a dit le premier ministre, appuyant sur le mot « beaucoup ».

Inconscient des attentes des employés

À moins que ce soit pour nous préparer au pire, cette confirmation nous amène à nous demander si l’administration Legault n’était pas déconnectée de la réalité du terrain en entrant dans les négos, inconsciente des réelles attentes de ses employés.

Après des années de vaches maigres et avec l’inflation galopante, les employés de l’État espéraient énormément de ces négociations. Ils avaient le gros bout du bâton pour la première fois depuis des lustres.

Les attentes étaient d’autant plus élevées que le gouvernement avait des finances publiques en relativement bonne santé et venait de baisser les impôts. D’autant plus élevées, aussi, que le gouvernement pouvait se permettre de hausser généreusement les salaires des députés et de payer des millions aux Kings de Los Angeles (d’accord, c’est une goutte comparée aux salariés de l’État, mais ça donne le ton).

Résultat : entre la première offre de décembre 2022 et l’entente de principe, les offres salariales ont doublé, passant de 9,3 % à 18,6 % sur 5 ans, en incluant l’effet composé des hausses.

Comment ne pouvait-on pas prévoir un tel rapport de force et ses effets sur notre situation budgétaire collective ? Comment penser que les employés accepteraient seulement 2,5 % par année de hausse salariale ? Comment le gouvernement Legault peut-il justifier, maintenant, une hausse plus marquée du déficit attendu ?

Aujourd’hui, quoi qu’en pense la gauche, le Québec investit plus que jamais depuis 20 ans dans les missions de l’État, notamment en santé et en éducation, exception faite de la pandémie.

Soutien aux aînés, allocation famille, allocation logement, crédit pour garde d’enfants, maternelle 4 ans, maisons des aînés : toutes ces nouvelles mesures ont pour effet de gonfler les dépenses. Tant et si bien que le niveau atteint maintenant 24,8 % du produit intérieur brut (PIB), loin de la moyenne des 15 années qui ont précédé la pandémie (22,4 %), selon la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke1.

Et très loin de la moyenne des autres provinces canadiennes, d’environ 7 points de pourcentage plus bas (17,8 % du PIB).

En ajoutant les salaires maintenant fort respectables de ses employés, personne ne pourra vraiment dire que le gouvernement a sous-investi dans les missions de l’État…

Le gouvernement se retrouve toutefois avec un véritable casse-tête pour les prochaines années. Car en plus des hausses de dépenses déjà élevées et des nouveaux salaires, il fait face à une économie anémique.

Le PIB n’a pratiquement pas progressé en 2023, alors que le ministre des Finances prévoyait une hausse de 0,6 % l’automne dernier, dans son Point sur la situation économique et financière. Et pour 2024, la hausse du PIB risque d’être modeste, entraînant avec elle une baisse des recettes de l’État.

À combien sera le déficit ? Difficile de savoir, puisqu’on ne sait pas jusqu’à combien le gouvernement était prêt à concéder aux employés, comme je l’expliquais.

La Chaire en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke calcule que le déficit atteindra 1,1 milliard de plus que les 4,1 milliards déjà prévus en 2024-2025, si l’on suppose que ce déficit était calculé sur la base de l’offre aux employés de la fin d’octobre (10,3 % sur 5 ans). L’écart irait en s’accroissant pour atteindre près de 3 milliards de plus que prévu en 2027-2028, à la dernière année des conventions.

Et il faut y ajouter l’impact du ralentissement économique sur les recettes de l’État, qui pourrait se chiffrer en centaines de millions… Ayoye !

À mon avis, la hausse réelle du déficit sera moindre que celle calculée par la CFFP, du moins la portion attribuable aux conventions collectives.

Pourquoi ? Parce qu’il est improbable que le gouvernement ait prévu si peu pour ses employés (10,3 % sur 5 ans), dans le contexte. Il y aura tout de même un écart significatif, puisqu’il n’avait pas budgété les 17,4 % sur 5 ans finalement conclus (ou 18,6 % avec l’effet composé), mais pas aussi grand que celui de la CFFP.

Quoi qu’il en soit, pour respecter la Loi sur l’équilibre budgétaire, le gouvernement doit revenir au déficit zéro sur un horizon de 5 ans.

Déjà, le gouvernement a promis de ne pas réduire les services en santé et en éducation pour boucler ses budgets. Il compte plutôt faire des coupes dans les autres services, qu’on pense aux transports, à la justice et au système de garde d’enfants, dont les besoins sont très grands.

Dans ce contexte, il est bien difficile d’imaginer qu’il n’y aura « pas d’austérité, pas de coupures de services et pas de hausses d’impôts », comme l’a affirmé François Legault dimanche.

Devait-il donner autant aux employés de l’État ? Probablement, en raison des retards qui existaient et de la pénurie de main-d’œuvre.

Il est dommage, toutefois, que ces négos n’aient pas davantage solutionné les problèmes non salariaux, comme la composition des classes, d’une part, ou la flexibilité réclamée aux employés, d’autre part. Il faudra être imaginatif pour régler ces problèmes, car les caisses sont à sec, désormais…

1. Consultez le mémoire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke