La retraite, malheureusement, n’est pas l’équivalent d’un voyage tout inclus dont on connaît d’avance le coût, la durée et le programme. C’est tout le contraire, il faut s’y préparer sans trop savoir ce qui nous attend. Ce fardeau individuel est de plus en plus lourd, ce qui n’est pas sans conséquences. Une majorité de ceux qui cesseront de travailler d’ici 10 ans seront « financièrement vulnérables » au point qu’ils représenteront un poids pour leur famille.

Dans la prochaine décennie, trois millions de ménages canadiens quitteront ce qu’on appelle « la vie active », soit 14 % de la population. La firme Deloitte, qui a baptisé ces personnes âgées de 55 à 64 ans les « quasi-retraités », a analysé en profondeur leur niveau de préparation financière et l’épargne requise pour combler leurs besoins de base.

Le résultat est inquiétant, surtout dans le contexte où le coût des soins de santé est appelé à exploser. Ce poste budgétaire est hautement sous-estimé, et l’accès aux assurances est un problème. À l’heure actuelle, 75 % des retraités du pays n’ont pas accès à une assurance maladie.

Or, le coût des soins aux aînés devrait presque doubler d’ici 2031 pour la simple et bonne raison que la demande dépassera l’offre, selon Deloitte. Le nombre de patients pour des soins de longue durée grimpera avec le vieillissement des baby-boomers, alors que le système de santé peine déjà à combler les besoins à cause de la pénurie de personnel. Le tiers des infirmières ont 50 ans ou plus.

Voyez-vous, comme moi, les profits du privé exploser grâce à la demande accrue pour les soins à domicile et certaines opérations chirurgicales ?

Ce constat fait dire à Deloitte qu’il est « fort probable » qu’une majorité de retraités manqueront d’argent pour couvrir leurs coûts de santé, ce qui les obligera à demander de l’aide à leur famille. « Il s’agira d’un défi de taille dans les prochaines décennies, car les familles devront assumer autant le fardeau émotionnel que financier des soins prodigués à leurs proches âgés. » Ouch !

Près de la moitié des 75 ans et plus vivent avec un handicap qui les rend dépendants de certains soins. Ce n’est clairement pas quelque chose qui nous traverse l’esprit quand on fait encore du 9 à 5 et qu’on épargne pour sa retraite de rêve…

On a aussi tendance à croire que les dépenses ne feront que diminuer au fil du temps. C’est faux, selon Deloitte. Même si le budget pour les voyages, les spectacles et les sorties au restaurant diminue, le total des dépenses discrétionnaires grimpe à partir de 83 ans à cause des coûts de santé.

Le cœur du problème, c’est le manque d’épargne-retraite d’une majorité de travailleurs. Seulement 14 % des ménages disposent du coussin nécessaire pour vivre une retraite très confortable et sans compromis (900 000 $, régimes de retraite inclus).

La majorité des quasi-retraités (55 %) devront « modifier drastiquement leur mode de vie » pour ne pas manquer d’argent avant leur mort à moins qu’ils se dotent d’un plan financier solide et le suivent à la lettre. Le temps presse.

Les moins nantis conserveront essentiellement le même rythme de vie grâce au soutien de l’État.

L’espérance de vie qui ne cesse d’augmenter accroît aussi le niveau d’épargne nécessaire par rapport aux générations précédentes. Aujourd’hui, une femme de 65 ans a 50 % de chances d’atteindre 91 ans et 25 % de chances de vivre jusqu’à 96 ans. L’homme du même âge a 50 % de chances d’atteindre 89 ans et 25 % de chances de vivre jusqu’à 94 ans.

Contrairement à la génération précédente, celle des baby-boomers, les 55-64 ans sont en mauvaise posture pour bien des raisons. D’abord parce qu’ils sont peu nombreux à cotiser à un régime de retraite à prestations déterminées qui leur garantit une rente jusqu’à leur mort. Moins de 10 % des travailleurs du secteur privé sont couverts par un tel régime, deux fois moins qu’en l’an 2000.

Quant aux régimes à cotisations déterminées, l’adhésion y est souvent volontaire. Résultat, seulement 54 % des travailleurs canadiens ayant accès à un tel véhicule d’épargne en profitent. La moitié des travailleurs laissent donc sur la table les cotisations offertes par leur employeur. C’est un problème criant auquel il faut s’attaquer, Deloitte plaide d’ailleurs en faveur d’une « consolidation du système de retraite privé ».

En théorie, il faudrait compenser en épargnant davantage. Mais ce n’est pas ce qui se produit. Le niveau d’endettement, bien souvent, nuit à l’accumulation de capital.

Avec le coût de la vie qui a bondi, certains puisent dans leurs économies de retraite pour rembourser des prêts. Parmi les pays du G7, les ménages canadiens sont les plus endettés et ceux qui consacrent le pourcentage le plus élevé de leurs revenus au remboursement de leurs dettes. Ce ne sont pas des records édifiants.

« Nos habitudes de consommation ont changé. On arrive plus endettés à la retraite », constate aussi Sophie Klimos, directrice principale, conseil en stratégie chez Deloitte Canada. Ce phénomène est assez problématique dans un contexte de baisse des revenus. Pas moins de 25 % des retraités sont titulaires d’un emprunt hypothécaire, ce qui réduit leur marge de manœuvre pour faire face à des imprévus, dans bien des cas.

Difficile de dire si le rapport est alarmiste. Seul le temps nous le dira. Mais il donne l’impression qu’on avance par en arrière.

L’humoriste Yvon Deschamps a déjà raconté que son grand-père avait été forcé d’aller vivre chez ses enfants à sa retraite. Après 53 ans de labeur dans une usine de sucre, il n’avait pas d’économies ni de régime de retraite sur lesquels compter pour se nourrir. Nous n’en reviendrons pas là, mais il est impératif de trouver des solutions pour éviter que les prochaines générations de retraités tirent le diable par la queue.

Consultez l’étude de Deloitte