Notre système économique a-t-il pour effet d’accroître les inégalités ? Est-il plus ou moins équitable qu’ailleurs ?

Ces questions sont importantes, car elles influencent nos politiques publiques sur le niveau de redistribution à faire – ou pas – et donc sur les impôts à prélever.

Or, une nouvelle étude conclut que le Québec n’est pas aussi égalitaire qu’on le croyait.1 Plus précisément, les 1 % les plus riches accaparent une part des revenus avant impôts qui dépasse celle des économies comparables comme la Colombie-Britannique, la France ou l’Australie, selon les auteurs.

Attention, le Québec demeure la région canadienne la plus généreuse pour la redistribution de revenus, confirme l’étude. Après impôts, la part des 1 % les plus riches demeure donc moindre qu’ailleurs.

De plus, les inégalités de revenus ont pratiquement cessé de s’accroître depuis une vingtaine d’années, comme dans plusieurs pays, à l'exception des États-Unis.

L’étude a été réalisée par des économistes associés au Laboratoire sur les inégalités mondiales (WIL) et à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Les chercheurs Silas Xuereb, Matthew Fisher-Post, François Delorme et Camille Lajoie ont présenté leurs résultats lors d’une téléconférence à laquelle participait Thomas Piketty, l’économiste phare de la question.

La grande nouveauté de l’étude est d’être parvenue à inclure des revenus qui ne sont pas pris en compte dans les analyses les plus poussées de Statistique Canada sur le sujet. Cette méthode dite des « comptes nationaux distribués », développée par l’équipe de Piketty et du Laboratoire sur les inégalités, rend plus comparables les données du Québec et du Canada à celles des autres pays dans le monde.

Professionnels inc.

Essentiellement, les fichiers de Statistique Canada englobent 75 % des revenus de travail, mais seulement 29 % des revenus de capital (investissements, dividendes, etc.), explique l’un des auteurs.

Les chercheurs ont pu combler la différence, ce qui permet notamment d’inclure, pour les riches, les revenus des profits qui dorment dans les coffres des PME et autres entreprises, tels des REER. On a vu ce genre de couverture fiscale au Québec pour certains professionnels, comme les médecins qui s’incorporent.

Résultat : au Québec, les 1 % les plus riches auraient empoché 11 % des revenus avant impôts en 2021, alors que cette part est plutôt de 8,6 % selon les données traditionnelles de Statistique Canada. Le Québec dépasse ainsi la Colombie-Britannique et s’approche de l’Alberta et de l’Ontario.

Pourquoi la part du Québec s’accroît-elle davantage qu’en Ontario ou en Colombie-Britannique par rapport à l’ancienne méthode ? Les réponses ne sont pas claires, mais il appert qu’il y aurait ici une part proportionnellement plus grande de revenus en capital non prise en compte.

Cette richesse peut être dormante dans les entreprises ou encore dans les régimes de retraite, dont les Québécois sont davantage bénéficiaires qu’ailleurs au Canada. François Delorme, coauteur de l’étude, juge réaliste cette hypothèse des régimes de retraite.

Cela dit, le Québec demeure le champion de la redistribution de revenus. Selon les chercheurs, les 50 % les plus pauvres du Québec touchaient seulement 18,3 % du total des revenus avant impôts en 2021, mais 26,5 % après impôts et transferts. Cette redistribution rend avantageuse la comparaison avec l’Ontario (22,6 % après impôts) et efface les reculs des moins nantis par rapport à 1982.

Autre observation : après une forte croissance des inégalités dans les années 1980 et 1990, les inégalités ont pratiquement cessé de croître par la suite. Le sommet a été atteint au Canada en 2006, alors que le groupe des 1 % les plus riches accaparait 14,4 % des revenus, avant de reculer vers 11,6 % en 2021. Cette part était de 7,2 % en 1982.

Cette tendance à la baisse a également été observée ailleurs, exception faite des États-Unis.

Piketty contredit

Récemment, deux économistes américains (Auten et Splinter) ont publié une étude qui contredit, en partie, les résultats de Thomas Piketty et de son collègue Emmanuel Saez sur les inégalités américaines.

Selon Auten et Splinter, la part des 1 % les plus riches serait passée de 9,4 % en 1979 à 13,8 % en 2019, soit bien moins que la part estimée par le Laboratoire sur les inégalités mondiales (19,1 % en 2019). Surtout, après impôts et transferts gouvernementaux, la hausse ne serait que de 0,2 point de pourcentage depuis 1962 et de 1,4 point depuis 1979 aux États-Unis.2

Selon Thomas Piketty, l’étude en question, version renouvelée de celle de 2019, est bancale. Entre autres, elle prend comme hypothèse que les très riches contribuables et leurs revenus en capital sont tout autant imposés que les autres, alors qu’il y a bien plus de possibilités d’optimisation fiscale au sommet.

« Ce n’est pas très crédible. Je leur avais fait part de mes observations, mais ils n’en ont pas tenu compte. Mais si l’Université de Chicago s’intéresse aux inégalités, c’est tant mieux », a-t-il dit, mi-figue, mi-raisin, lors de la téléconférence.

Par ailleurs, selon sa méthode de calcul, les inégalités de revenus se sont stabilisées ces dernières années, ce que l’économiste dit avoir constaté, jugeant l’immense succès de l’impôt progressif.

Thomas Piketty revient toutefois sur son principal cheval de bataille, soit les inégalités de patrimoine. Dans le contexte actuel, dit-il, les enfants des 50 % les plus pauvres ne toucheront pratiquement pas d’héritage, alors que la tranche des 10 % les plus riches auront une très grosse part, exacerbant les inégalités futures.

Il rappelle ainsi pourquoi il milite pour une taxe sur le patrimoine et l’héritage. Il juge qu’à cet égard, la taxe foncière sur le patrimoine immobilier est à réformer, car inéquitable et régressive : elle impose les contribuables de la même façon, peu importe l’hypothèque et la valeur nette de l’immeuble. Une jeune qui achète un condo est donc pénalisée.

1. Consultez l’étude sur les inégalités de revenus au Canada et au Québec 2. Lisez l’article publié dans le magazine L’actualité « Du nouveau dans la théorie du 1 % »