Je lis et j’entends toutes sortes de choses sur la pertinence des véhicules électriques. Sur Facebook circule même une vidéo professionnelle où une dame, à l’air crédible, les démolit méthodiquement, affirmant qu’ils polluent bien plus que les véhicules à essence…

Il est temps de remettre les pendules à l’heure, dans le contexte du développement de la filière des batteries électriques au Québec.

D’abord, les études sérieuses arrivent toutes aux mêmes constats : les véhicules électriques (VE) émettent beaucoup moins de gaz à effet de serre GES sur leur durée de vie que les véhicules à essence, tout pris en compte.

Les GES au Québec

L’étude la plus connue au Québec a été réalisée en 2016 par le Centre international de référence sur l’analyse du cycle de vie et la transition durable (CIRAIG), affilié notamment à Polytechnique Montréal.

Sa conclusion : bien que les VE consomment un peu plus de ressources lors de la construction, notamment des métaux, ils gagnent nettement sur les indicateurs de changements climatiques, de santé humaine et de qualité des écosystèmes, entre autres.

Après avoir parcouru 150 000 km, les VE génèrent 65 % moins de GES que les véhicules à essence au Québec, selon l’étude. La proportion grimpe à 80 % après 300 000 km, ce qui est l’équivalent de 5 fois moins de GES !

Cet écart deviendra encore plus grand, puisque l’étude n’a pas tenu compte du recyclage des composantes de la batterie. Or, la technologie s’est beaucoup développée depuis 2016 et peu de projets sont aujourd’hui lancés sans prévoir le recyclage. C’est notamment le cas du projet Northvolt, récemment annoncé⁠1.

Les GES dans le monde

Les VE sont évidemment bien plus verts dans des endroits où la principale source d’énergie de recharge est renouvelable, comme le Québec, la Norvège ou la France, avec son nucléaire.

À l’époque de l’étude du CIRAIG, les VE n’étaient pas gagnants dans des pays comme l’Inde, l’Australie ou l’Afrique du Sud – où l’électricité vient beaucoup du charbon – ou moins avantagés dans des pays comme les États-Unis, qui dépendent des énergies fossiles.

Toutefois, avec les récents changements, d’autres études sérieuses constatent que les VE sont maintenant gagnants presque partout sur la planète. L’économie de GES sur le cycle de vie complet d’un véhicule en 2021 était de quelque 68 % en Europe, de 64 % aux États-Unis, de 41 % en Chine et de 27 % en Inde, selon une étude de l’International Council on Clean Transportation (ICCT).

Cet écart grimpera d’encore 5 à 16 points de pourcentage d’ici 2030, prévoit l’étude, avec la décarbonation de la production énergétique⁠2.

Le travail des enfants africains

Il est vrai que la batterie électrique traîne encore une grosse tache à son dossier. L’une des composantes de nombreuses batteries lithium-ion est le cobalt (batteries NMC ou nickel manganèse cobalt). Or, les deux tiers de ce minerai proviennent de la République démocratique du Congo (RDC), où les conditions de travail sont fort critiquées.

Dans ce pays très pauvre, de nombreux enfants travaillent dans les mines, détenues principalement par des entreprises chinoises. Les conditions les plus misérables viennent de la production artisanale (de 12 à 20 % de la production), achetée principalement par les Chinois, selon Amnistie internationale.

Cela dit, les véhicules électriques ne sont pas les seuls utilisateurs du cobalt congolais. La vaste majorité de nos appareils électroniques sans fil sont aussi munis de batteries NMC fabriquées avec du cobalt (téléphones, perceuses, etc.).

Et selon ce que me dit Manuele Margni, coresponsable du CIRAIG, « la grande majorité du cobalt vient de mines où il n’y a pas de travail d’enfants et où les droits de la personne sont respectés ».

Nul doute qu’il faut faire pression pour que changent ces conditions déplorables et exiger du gouvernement corrompu de la RDC qu’il rende les mines conformes aux normes. Toutefois, cesser d’y acheter du cobalt priverait le pays et ses habitants du boom des véhicules électriques, les laissant dans la misère.

Certains constructeurs comme Tesla commencent d’ailleurs à le faire, pour des questions éthiques et technologiques, misant davantage sur une batterie sans cobalt composé de lithium-fer-phosphate (LFP). Cette batterie équipe maintenant la populaire Tesla Model 3.

Le consortium composé de Ford, EcoProBM et SKOn a aussi l’intention de réserver l’une de ses 5 chaînes de production de cathodes à Bécancour aux batteries LFP, ai-je appris.

Tourner le dos à la RDC retarderait aussi le virage mondial vers les véhicules électriques, qui sont indispensables à l’atteinte de nos objectifs climatiques, puisque la seule utilisation des transports en commun par nos populations est illusoire, comme la privation totale de voitures.

D’ailleurs, « Amnistie internationale reconnaît l’importance cruciale des batteries rechargeables dans la transition énergétique pour mettre fin à la dépendance aux énergies fossiles », mais l’organisme exige, avec raison, une transition juste et la fin de la violation de droits de la personne en RDC.

Le secteur pétrolier, en passant, a lui aussi un historique entaché de violation des droits de la personne.

Sachant tout cela, il faut se demander à qui profitent ces dénonciations des véhicules électriques, souvent anonymes, comme celles dans la vidéo Facebook, qui provoquent une série de commentaires anti-véhicules électriques des internautes. J’ai comme un soupçon, on dirait…

Réduire le nombre ou l’utilisation des voitures est certainement la première solution en transport pour atteindre nos objectifs climatiques. Mais prétendre que les véhicules électriques polluent autant que ceux à essence, qu’ils sont inutiles et ne font pas partie de la solution est tout simplement une hérésie.

1. Les experts jugent que les ressources servant à la production des batteries électriques, notamment le lithium, sont amplement suffisantes pour alimenter la demande pendant des centaines d’années. La pollution produite par le développement des nouveaux gisements exige toutefois que nous misions sur le recyclage.

2. Une autre étude, cette fois de la firme T & E, constate que même dans un pays au charbon comme la Pologne et avec des batteries produites en Chine, les VE sont environ 37 % plus propres que les voitures à essence.

Consultez l’étude du CIRAIG Consultez l’étude de l’ICCT (en anglais) Consultez l’étude de T & E (en anglais)