À plusieurs endroits dans le monde, dont le Québec, l’énergie nucléaire revient dans le débat comme une option possible pour répondre à la demande croissante d’électricité sans augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Un retour au nucléaire serait une erreur, selon Mycle Schneider, analyste indépendant et spécialiste des politiques énergétiques et nucléaires, qui était conférencier mercredi à Montréal. Il a répondu aux questions de La Presse.

L’urgence climatique force le monde à trouver des solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). L’énergie nucléaire, qui n’émet pas de GES, semble vouloir faire un grand retour en popularité.

Il faut distinguer les perceptions et la réalité. La perception est que tout le monde construit des réacteurs nucléaires. Dans les faits, la production nucléaire a baissé de 4 % dans le monde l’an dernier. Il y a eu plus de réacteurs arrêtés que de réacteurs mis en service. Le parc nucléaire actuel est vieillissant, son âge moyen est de 31 ans. Les projets en construction sont en Chine ou dans l’industrie russe. Ailleurs, on n’investit plus.

On parle d’urgence climatique, donc du facteur temps. Pour moi, l’échéance vraiment capitale, c’est 2030. Or, en 2030, compte tenu des délais tellement longs, il n’y aura pas un kilowattheure nucléaire de plus. Ce n’est pas une question d’opinion, c’est la réalité.

Le nucléaire est irrelevant [hors de propos]. Si vous connaissez un mot français qui veut dire la même chose, je suis preneur.

Quelles sont les autres solutions ?

Il y en a des tonnes. Il faut penser en termes d’orchestre, de musique et de chorégraphie. Il ne faut pas chercher de silver bullet [solution miracle]. Il faut regarder dans chaque localité, dans chaque région, dans chaque pays ce qui est disponible et en faire une chorégraphie.

Quand vous avez de l’éolien et du solaire comme élément importants dans l’orchestre, la raison d’être du nucléaire disparaît. L’éolien et le solaire ont une grande complémentarité ; l’été, le solaire domine et l’hiver, c’est l’éolien.

Si on ajoute du stockage et d’autres moyens pour rendre ça équivalent à l’énergie de base comme le nucléaire, le résultat est phénoménal.

Comme autres moyens, je parle aussi de la gestion de la demande. Prenez l’exemple des véhicules électriques.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Mycle Schneider

Si on ne fait rien et qu’on met des véhicules électriques sur la route, y compris les camions, ça peut faire deux choses, une catastrophe ou un moyen parfait d’exploiter la gestion de la demande.

Mycle Schneider

Si on ne fait rien, les gens vont prendre leur véhicule pour aller au travail et le brancher tous en même temps au retour à la maison. C’est la catastrophe garantie et ça ne peut pas marcher. Pour tourner une catastrophe en potentiel, il faut transformer les réseaux.

On continue de parler de l’extension des réseaux. C’est une grosse bêtise. Il faut les transformer pour permettre au potentiel qui est chez les gens de servir à augmenter la flexibilité du réseau. Chaque frigo et chaque congélateur sont des stockages d’énergie qui peuvent être arrêtés pendant une heure ou deux. Un Ford 150 électrique a une batterie tellement énorme qu’une maison moyenne américaine peut être alimentée pendant une dizaine de jours avec cette batterie.

C’est un grand changement et ça vient avec une forte composante de sobriété et d’efficacité énergétique. Si on n’accélère pas là-dessus, on va droit à la catastrophe.

Est-ce qu’il restera toujours de l’énergie fossile dans le « mix » énergétique ?

En 2030, pour moi, certainement. C’est impossible de faire autrement. Je ne vois pas de problème si on passe d’ici 2030 de 30 % à 90 % d’énergies renouvelables.

Mais si on continue de mettre de l’argent dans les vieux mammouths plutôt que dans les solutions, on n’y arrivera pas.

Mettre 50 millions dans les petits réacteurs nucléaires, une filière totalement fantaisiste (comme l’a fait le gouvernement canadien), c’est 50 millions qu’on a enlevés à la solution au problème des changements climatiques.

C’est des peanuts pour le développement d’un réacteur, mais avec 50 millions, on peut faire beaucoup de choses en efficacité. Il y a beaucoup de maisons qu’on peut retaper avec 50 millions.

Si je dépense un dollar, je le mets où ? Le critère doit être que je dois acheter pour ce dollar l’option qui réduit les émissions le plus, et le plus vite.

Si je le mets dans du nouveau nucléaire, je vais augmenter les émissions de gaz à effet de serre puisque je ne l’ai pas mis, aujourd’hui, dans les options qui sont disponibles et j’ai aggravé le problème.

Au Québec, on discute de la nécessité d’augmenter la production d’électricité de 100 térawattheures pour électrifier l’économie, et toutes les options sont sur la table, y compris le nucléaire. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Je ne suis pas spécialiste du Québec, mais même si on n’est pas spécialiste, on voit que le potentiel est tellement gigantesque qu’on ne sait pas par où commencer. D’abord dans tout ce qui est sobriété et efficacité. On consomme de l’énergie dans ce pays, c’est hallucinant. J’entends déjà dire : oui, mais on a la distance et on a le froid. Même en tenant compte de tout, il n’y a aucune justification à la différence de consommation par personne au Canada par rapport à l’Europe.

Ce serait peut-être d’isoler un peu plus, pour commencer, et discuter ensuite comment on alimente la demande.

Mycle Schneider

La question n’est pas comment on trouve 100 térawattheures, c’est plus de dire comment je peux garantir que personne n’a froid l’hiver au Québec. Comment se fait-il qu’aujourd’hui, au XXIe siècle, les habitations ne sont pas équipées d’un minimum de garanties de service de ce genre ? Un kit solaire avec une batterie, aujourd’hui, ça ne coûte rien.

Il faut s’occuper des besoins des gens. L’industrie ? Il faut alimenter des sites et vous allez voir, les entreprises vont le faire elles-mêmes. Mais pas si on leur offre de l’électricité à bas prix. Le problème est plutôt là. Il faut se demander si on a une politique cohérente.